Culture
Pour Gilles Lipovetsky, plaire et toucher sont au coeur de la société de séduction
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 2 février 2018 à 16 h 55 min – Mis à jour le 13 août 2018 à 17 h 45 min
Constatant qu’une « séduction tentaculaire » s’immisce dans tous les comportements de la société : de l’économie aux médias, de la politique à l’éducation, parachevant la sécularisation de tous les pouvoirs, le philosophe Gilles Lipovetsky dans son dernier livre « Plaire et toucher » en brosse l’histoire, entre rituels anthropologiques et individualisme assumé, entre avancées démocratiques et frustrations narcissiques. Et en appelle à une « séduction augmentée » pour sortir d’un consumérisme forcené.
L’émotionnel, l’outil obligatoire pour (se) vendre
« La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » La suprématie de la séduction que Racine revendiquait pour le théâtre dans son introduction à sa pièce Bérénice en 1670, se généralise désormais pour le philosophe Gilles Lipovetsky à l’ensemble de notre culture. L’ère d’une « séduction tentaculaire », définie comme une dynamique déritualisée et traditionnalisée de l’ensemble des comportements remplace une esthétique de la séduction, invariante dans toutes les sociétés humaines.
L’hypermodernité libérale, une exacerbation des mécanismes de séduction
Si les rituels de séduction ont toujours existé mais sont restreints par des obligations collectives – l’auteur retrace l’histoire de leur libéralisation et industrialisation : du flirt individuel à l’hypermarché www.adopteunmec.com – c’est la première fois qu’une exigence de séduction (re)centrée sur l’individu s’est dilatée au point de structurer l’ensemble de l’ordre social : des relations que l’individu a avec lui-même, ses relations et ses prochains, mais celles aussi qu’il tisse avec le collectif, collectif qui est lui aussi sommé de séduire et de convaincre, plutôt que d’imposer. Le ‘plaire et toucher’ cher à Racine n’est plus seulement une règle de représentation, mais une exigence permanente de fabrication de désir(s) qui s’infiltre partout tout en remplaçant tous cadres et règles traditionnels. Sur fond de main mise des acteurs privés en lieu et place des pouvoirs publics, et d’une défiance généralisée des citoyens pour les politiques.
Le triomphe de « l’affectuel »
Moins de raison mais plus d’émotions. L’« affectuel », ce rapport aux autres décliné au seul bénéfice du rapport à soi entraîne l’individualisation de la morale, la projection de l’intimité dans les réseaux sociaux, l’importance du « cool » dans l’éducation et l’extension du ludique. Le primat de la séduction participe aussi au triomphe de la consommation « expérientielle » – c’est à dire cette préférence à la sensation englobante plus que de la possession des objets qui partis des biens culturels a conquis tous les domaines de notre consommation. « Si l’univers de la séduction généralisée réduit la violence de la conflictualité collective, insiste Lipovestky, il intensifie la désorientation subjective, les blessures intrapersonelles. » L’enfer, ce n’est plus les autres, comme disait Sartre mais plutôt celui de la fragilité subjective, de la nécessité de plaire et d’être séduit.
Vers une « séduction augmentée », antidote à l’hyperconsommation.
Malgré l’infobésité, la porninflation, l’auteur se refuse à diaboliser la séduction, au contraire, « sans séduction, il n’y a plus de vie ». S’il croque parfaitement les embardées d’une tentation consumériste omniprésente, c’est pour mieux appeler à créer des contextes sociétaux susceptibles de « favoriser le développement de nouveaux objectifs existentiels ». Et de revendiquer une « écologie des esprits » pour développer des modes de vie plus « riches » au service du développement personnel des individus. « Notre responsabilité, c’est de promouvoir en lieu et place d’une séduction passive, une séduction augmentée impulsant les passions riches et bonnes, celles qui permettent la progression de soi, l’enrichissement des expériences et des facultés humaines. » Non pas en tournant le dos à la séduction, mais pour la réenchanter.
Références
Gilles Lipovetsky
Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction
Gallimard, 480 p., 23€. Essai
Références
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Gilles Lipovetsky
Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction
Gallimard, 480 p., 23€. Essai
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