Culture
Albert Palma. Lire, Dessiner, de Henry Bauchau à Pierre Michon (Galerie 24b)
Forces et formes primitives sont les deux facettes d’un même geste artistique chez le peintre et calligraphe Albert Palma dont les œuvres sont parfois comparées à des mandalas. En témoigne le parcours immersif autour de certaines de ses pièces majeures que la galerie 24b propose jusqu’au 9 mars dont Anne-Sophie Barreau est ressortie avec la sensation d’avoir fait une expérience quasi-mystique.
La plume, le vide et l’encre, rien de plus.
Albert Palma
Rien de plus vraiment ? Pour le visiteur qui découvre son œuvre à l’occasion de l’exposition que présente la galerie 24b sous le titre « Albert Palma, lire, dessiner, de Henry Bauchau à Pierre Michon », rien n’est moins sûr.
De manuscrits revisités à la manière médiévale à des paysages originels que l’on jurerait en mouvement en passant par des œuvres entièrement construites sur la répétition d’un même geste graphique, la plume, le vide et l’encre, sous la main d’Albert Palma, saisissent par leur force d’évocation.
C’est tout un monde de formes premières autant qu’un monde qui fraye vers le sacré qui émerge, un monde tout à la fois vibrant, que l’on ressent, et contemplatif, où nature et page d’écriture, laquelle témoigne de la haute considération dans laquelle l’artiste tient la littérature, envoûtent.
Un monde placé sous le signe des origines qui fait écho au recommencement auquel Albert Palma doit sa vocation artistique.
En 1975, il est grièvement blessé sur le tournage de L’Affiche rouge de Frank Cassenti dans lequel il joue l’un des membres du groupe Manouchian. Il part au Japon « dans un très sale état » comme il le confie dans un entretien à Philippe Nassif où son initiation au Shintaïdo s’avère décisive. Cet art martial lui permet en effet au bout de quelques années « de jouir d’un corps délié : bien planté dans son axe, doté d’un dense centre de gravité, porté par le souffle » – voilà qui a tout l’air d’un manifeste artistique pour celui qui réalisant toutes ses œuvres à main levée peut rester penché 72 heures de suite sur une même planche.
Ne reste plus qu’à allumer la mèche, ce que la lecture de l’œuvre d’Henry Bauchau, à commencer par celle d’Œdipe sur la route, se charge de faire.
L’exemple, chez lui, du dépouillement extrême a été pour moi décisif. Ma technique picturale est d’abord fruit de la conscience aiguë que l’on peut découvrir de grandes choses en allant vers l’infiniment petit.
Infiniment petit et foisonnement d’un trait – 35 000 sont parfois nécessaires pour avoir une image d’ensemble – qui au final font place à la grande image « de l’ordre de la quête ».
On entre en contemplation devant ces œuvres auxquelles, dans un geste sûr et juste, le corps délié et la danse de la main sur la planche, ont donné vie. Devant la nature, on ne cesse d’abord de s’approcher au plus près. La précision et la délicatesse du trait, telle une résille posée sur le magnifique ordonnancement du vivant, semblent être une invitation implicite à le protéger.
Puis on prend du recul et parfois c’est une autre nature, tellurique, en relief, comme en 3D, que l’on dirait tout droit issue de l’immédiat après tectonique des plaques, que l’on a sous les yeux, c’est le feu.
Le mouvement est le même devant les dessins calligraphiés inspirés des textes de Pierre Michon, projet débuté en 2019 qu’accompagne une correspondance affectueuse et chaleureuse entre le plasticien et l’écrivain. Correspondance à l’image de celles de l’artiste avec d’autres écrivains admirés – Henry Bauchau bien sûr, mais aussi Jean-Luc Nancy, Yves Bonnefoy – dont témoignent quelques lettres manuscrites exposées sous vitrine.
L’exercice d’admiration est dans les deux sens.
Un exemple tiré du Roi du bois paru en 1996 : Les yeux d’abord isolent cet extrait – pourquoi sur la page remplie de mots précisément celui-ci, est-ce à cause d’une majuscule, d’un trait différent ?
Mystère, le hasard, qui n’en est peut-être pas un, fait en tout cas bien les choses :
Mes parents étaient de pauvres diables, sans avoir et bien sûr sans sagesse, ils n’en avaient pas le loisir, je crois que je les aimais, ils louaient leurs bras et les miens, ceux de mes frères chez les gros paysans des Castelli qui eux-mêmes n’avaient qu’un peu plus de grain en réserve.
Pierre Michon
Puis on recule de trois pas. La page avec ses enluminures ressemble à un parchemin. On repense aux mots que l’on vient de lire. La main qui danse sur la planche vient de nous faire entrer dans un conte des temps anciens… ou moderne ?
On ne sait plus. On est dans l’essence des choses.
Pour suivre Albert Palma
Le site d’ Albert Palma
Le site de la galerie 24b
A lire d’Albert Palma
- Le Peuple de la main. Henry Bauchau sur ma route. (Journal 2001-2006), préface d’Henry Bauchau (Jean-Paul Bayol, 2007)
- Je suis la paix, poème de Werner Lambersy calligraphié et illustré par Albert Palma (Atelier Del Arco et Société des gens de gestes/Mixtec productions, 2007)
- La pierre sans chagrin, poèmes d’Henry Bauchau calligraphiés et illustrés par Albert Palma (Société des Gens de Gestes/Mixtec productions, 2006)
- Petite suite au 11 septembre, poèmes d’Henry Bauchau calligraphiés et illustrés par Albert Palma (Le Grand Miroir, 2003).
A lire sur Albert Palma
- Sur l’atelier d’Albert Palma – Degrés – Dominique Rabaté 2018 (Texte en pdf)
- Quand tout arrive de nulle part. Sur l’oeuvre d’Albert Palma. Jean-Luc Nancy (Manucius 2015)
- Le fond de l’aube – Henri Raynal, Phoenix, n°18, été 2015
- Revue Internationale Henry Bauchau – n°6 – 2014 – Aux sources de la création poétique. Presse Universitaires de Louvain.
- Pascal Quignard, la voie de la danse – Chantal Lapeyre-Desmaison – Presse Universitaires, Septentrion – Janvier 2013
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