Culture

Le carnet de lecture d'Éric Charvet, aphoriste, L’avenir a déjà été.

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 5 novembre 2024

« Notre société étouffe de ne pas savoir respirer » : Avec son anthologie L’avenir a déjà été, aphorismes et pensées (Editions Memogrames), Eric Charvet rappelle la pertinence de l’ aphorisme – ce « bref énoncé résumant une théorie ou un savoir » nous dit le Robert.  Celui qui se définit non sans ironie ‘expert en philosophie de comptoir‘ montre son goût de la formule bien ciselée pour Patricia de Figueiredo, délivrant son petit concentré de mots bien denses, libérant réflexions mordantes ou coups de pattes pas si caressants. 

La société du spectacle incite l’individu à se présenter en porte-parole de la contestation…conforme ! Sous prétexte de faire vivre l’esprit démocratique, elle instaure son dévoiement et réduit le réfractaire à balbutier des phrases toutes faîtes !
Éric Charvet, L’avenir a déjà été

Un jongleur de mots

Éric Charvet connut plusieurs activités dont le socle reste la culture : notamment journaliste pour Le Progrès de Lyon, directeur général dans une maison d’éditions spécialisé dans les guides pratiques pour les étudiants et jeunes diplômés, il est désormais producteur de films à la tête de la maison de production Les Mille et une marches (dernier film produit : « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part » d’Arnaud Viard).

 « J’ai toujours aimé les aphorismes.  En peu de mots, on dit une vérité pour beaucoup de gens. »
Éric Charvet

Une lente maturation

Celui qui se qualifie comme « Expert en philosophie de comptoir » a commencé à en écrire dans les années 80 son premier : « L’argent donne le goût du pouvoir. Il ne donne pas le pouvoir du goût ». Une vingtaine suivent pendant 20 ans sur des cahiers. Il les retrouve il y a quelques mois. « Je me suis dit que ce n’était pas mal, j’étais dans un jour positif. » L’idée d’un livre suit :  Il en écrit 500 en six mois.

L’auteur convoque aussi des plumes illustres – Machiavel, Malraux, Bossuet… « pour appuyer mon propos ou pour l’ornementer » précise-t-il. Et bien sûr, l’ancêtre de tous, « le maître du genre » : L’Ecclésiaste, que l’on retrouve dans la Bible hébraïque et dans l’Ancien Testament.

« Le passé a existé dans un passé antérieur ; l’avenir a déjà été. »
« Vanité des vanités et tout est vanité ».

Une lucidité de pirouette philosophique

« L’homme est parfaitement prévisible. Et invariablement inconstant. »

Si le genre littéraire presque millénaire parait à certains démodé ou désuet, l’aphorisme colle pourtant au format de notre société qui accélère toujours plus vite, exige des pensées toujours plus courtes, frappée d’une concentration qui s’effrite. Et que dire du Moi, Moi, Moi ! Dans les selfies, la courses aux likes, les réseaux sociaux sont un formidable démultiplicateur en excès de vanités.

« L’art réside dans l’art de se moquer sans être moralisateur. Un regard de bon sens, acéré et bien écrit. »

Toutes les couleurs de l’âme

Éric Charvet, aphoriste, L’avenir a déjà été Photo DR

Rangés en 5 chapitres dont le titre annonce la couleur :  Tout n’est que pâture du vent ; le conformiste et le pseudo-contestataire ; Vices et versa ; Hypothèses transitoires et Ah ! Que la vie est quotidienne !

Ces piques d’humour permettent aussi de se moquer de tout, et notamment de certaines modes du moment comme le wokisme :

« Il existe deux formes d’illusion rétrospective : l’une consiste à juger le passé à l’aune du présent ; l’autre réécrit le passé pour expliquer le présent. Dans les deux cas, l’illusionniste refait l’histoire en se donnant le beau rôle. »

Des bijoux d’humour et d’absurdité.

Tous nous font sourire ou réfléchir ou les deux à la fois et c’est déjà beaucoup.
Petit florilège de mes coups de cœur :

– Pour le snob, le parvenu n’est pas près d’arriver.

– Le génie du capitalisme? Inventer une boisson qui donne soif.

– La société du spectacle incite l’individu à se présenter en porte-parole de la contestation…conforme! Sous prétexte de faire vivre l’esprit démocratique, elle instaure son dévoiement et réduit le réfractaire à balbutier des phrases toutes faîtes!

– La religion est à la foi ce que le carcan était aux galériens: un collier fixé à un poteau qu’on leur posait pour qu’ils ne s’échappent pas.

– Notre société étouffe de ne pas savoir respirer

Patricia de Figueiredo

Le carnet de lecture d’Éric Charvet

Un choix cornélien, dans lequel auraient aussi bien pu figurer des auteurs très connus comme Montaigne, La Rochefoucauld (le maître de l’aphorisme), Herman Hesse, Gabriel Garcia Marquez, Milan Kundera… Ou un peu moins connus comme Alice Munro et ses formidables nouvelles, ou Jorn Riel (« Le jour avant le lendemain ») …

Sénèque, Lettres à Lucilius

124 lettres d’une grande sagesse, rédigées par celui qui fut homme d’État, philosophe et dramaturge. Acculé au suicide par ordre de Néron. L’un des grands maîtres du stoïcisme romain.

Honoré de Balzac,  Illusions perdues

Parce que Balzac a écrit, avec la Comédie humaine, un formidable portrait de l’époque – et du genre humain. Une œuvre énorme : 90 ouvrages rédigés en 20 ans, qu’il a souvent livrés la nuit, en « feuilletons », alors même que les huissiers faisaient le siège de son appartement…

Fiodor Dostoïevski, L’Idiot

La littérature russe du 19ème est une vieille compagne. Parmi les Tolstoï, Lermontov, Tourgueniev, Tchekhov, je choisis le plus tourmenté, Dostoïevski et son incomparable Idiot.

John Steinbeck, A l’Est d’Éden

Un de mes romans préférés, par de mes auteurs favoris, dont j’invite aussi à (re)découvrir les ouvrages picaresques et drôles comme « Tortillat Flat ».

Philip Roth, Pastorale américaine

S’il faut retenir un Philip Roth, romancier majeur du 20ème siècle, ce sera le superbe « Pastorale américaine », prix Pulitzer de la fiction en 1998.

Propos recueillis par Patricia de Figueiredo le 24 octobre 2024

Pour aller (encore) plus loin avec l’aphorisme

La bibliothèque idéale de l’aphorisme

Philippe Moret, Le bouquin des aphorismes, Bouquins Robert Laffont, 992 p. 31€ Illustrée à l’origine par Plutarque, Héraclite, Aristote ou Marc Aurèle, elle est poursuivie par Villon et Montaigne (Essais), puis par La Bruyère, Chamfort, Vauvenargues ou La Rochefoucauld, et jusqu’à Oscar Wilde, Cioran. Tous firent de cet « art de la pointe » un art à part entière.

Dominique Noguez« Bref traité de l’aphorisme », dans Pensées brèves, Equateurs, 

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