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Alexandre Esteves transforme des objets hors d’usage en design « low tech »

Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 3 mars 2024

(Pour un design éthique) Dans ce qui ressemble fort à un recyclage, c’est en utilisant les objets hors d’usage qui participent à notre confort moderne, à commencer par les ballons d’eau chaude, que le designer Alexandre Esteves invente les objets « low tech » au service de la faune et de la flore et du lien social. Pour Anne-Sophie Barreau, sa démarche-manifeste questionne nos modes de consommation menacée de collapsologie autant qu’elle floute la frontière entre art et design. Elle a déjà eu les honneurs des grands rendez-vous de la discipline – dont Paris Design Week ou Paris & Co – et s’insère de plus en plus dans le cadre de politiques publiques. 

Mon père était entrepreneur. Nous avons toujours construit des choses à partir de chutes qu’il récupérait sur les chantiers.
Alexandre Esteves

Une histoire de famille

La Bleue chaise d’Alexandre Esteves Photo copyright Alexandre Esteves

La « circularité » qui irrigue aujourd’hui la pratique artistique d’Alexandre Esteves est au départ une histoire de famille : « Mes grands-parents étaient agriculteurs. Enfant, j’ai toujours été témoin du cycle où un objet avait un premier usage puis un autre quand il ne pouvait plus remplir sa fonction initiale, dit le jeune designer et plasticien, même chose chez mes parents, mon père était entrepreneur et nous avons toujours construit des choses à partir de chutes qu’il récupérait sur les chantiers. On recréait des objets, des micro architectures, des boîtes ».

L’idée m’est venue de récupérer des objets hors d’usage, mais pas n’importe lesquels.
Alexandre Esteves.

Le filtre à bio-sable d’Alexandre Esteves, Photo copyright Paul de Lanzac

Quand il entre à l’École supérieure d’art et de design d’Orléans et qu’il conçoit ses premières maquettes, il prend l’habitude sans même y penser de récupérer tout ce qui est destiné à être jeté afin d’imager ses objets. En 2019, Collapsolab’, projet autour de l’eau avec lequel il obtient son Diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP), théorise et conceptualise sa démarche.

Parallèlement à ma réflexion sur l’eau, je me suis intéressé à la collapsologie et à l’effondrement de notre civilisation basée sur les énergies fossiles à partir de l’exemple du Venezuela, gros pays producteur de pétrole, qui s’est retrouvé à ne plus avoir ni eau courante, ni électricité, ni gaz après la crise économique de 2018. Partant de là, je  me suis demandé comment je pouvais recréer des objets fonctionnels.
Alexandre Esteves.

L’Abri à insectes et mobilier imaginés par Alexandre Esteves Photo copyright Alexandre Esteves

De la récup au low-tech

Et pour cause : ballons d’eau chaude, bouteilles de gaz, vases d’expansion, ce sont précisément les objets qui participent à notre confort moderne qu’Alexandre Esteves utilise et transforme en objets « low tech » : récupérateur d’eau de pluie, filtre à bio-sable, contenant accueillant des plantes mellifères et de la biodiversité, frigo du désert conservant des aliments à brève échéance, séchoir alimentaire…autant de créations qu’il considère comme « des objets manifeste ».
Certes, le matériau n’est pas forcément le plus adéquat eu égard à la fonctionnalité recherchée reconnaît-il mais ces objets ont le mérite de « critiquer un système basé sur consommer toujours plus et où plus rien ne fonctionne dès qu’on connaît une pénurie de pétrole ».

Le Collapsolab’ permet à Alexandre Esteves d’imaginer toute une série de recyclages low tech Photo copyright Alexandre Esteves

Collapsolab’ séduit.

Et pas qu’un peu. En 2020, il est exposé à l’occasion de « France design week Loire Valley » à Tours, et en 2022, lors de la prestigieuse Biennale internationale de design de Saint-Etienne. Et ce n’est pas fini : en avril, le frigo du désert et le filtre bio-sable seront présentés dans le cadre de l’exposition « Eau » que présente ARCADE Design à la campagne, lieu de création et de diffusion en design et en métiers d’art au château de Sainte-Colombe-en-Auxois.

Collapsolab’

Le potentiel des déchets métalliques

L’abri à insectes issu d’un chauffe eau Photo copyright Alexandre Esteves

Par ailleurs, depuis Le Collapsolab’, Alexandre Esteves a généralisé l’utilisation des déchets métalliques dans ses autres créations, à commencer par le ballon d’eau chaude. « 1 500 000 ballons d’eau chaude sont changés et donc jetés chaque année, j’ai de la matière première un peu partout sur le territoire nationale, s’amuse le jeune designer, j’ai donc continué à explorer cette forme pour concevoir notamment des objets au service de la faune et de la flore – en particulier des abris à abeilles sauvages, à papillons et des récupérateurs d’eau de pluie à plus grande échelle – mais aussi du mobilier : des étagères, des jardinières, des tables, des assises… ».
Des créations qui pour certaines ont été exposées lors de la dernière édition de Paris Design Week, en intérieur mais aussi en extérieur, à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, dans le cadre du parcours « Design sur cours ».

Parallèlement à cette activité qui, dit-il, l’occupe « à 75% », il part dès qu’il peut en résidence. Celle qu’il cite en premier l’a conduit en 2021 à aller « directement en déchetterie ». Associé à une personne en réinsertion sociale, il a pendant deux mois glané les déchets jetés  par la communauté de communes de Saint-Antoine-du-Rocher puis en a tiré toute une gamme d’objets fonctionnels.

Quinze d’entre eux ont été présentés à Tours lors de l’édition 2021 de  « France design week Loire Valley ».

Cumulusland

L’idée est de créer des objets au service de la faune et de la flore et du lien social, notamment des abris à insectes et des bancs publics.
Alexandre Esteves

Le composteur d’Alexandre Esteves Photo copyright Alexandre Esteves

Une expérience qui fait sens pour celui qui, de plus en plus, souhaite mettre son expertise au service d’une politique publique, ce dont témoigne son dernier projet en date, Cumulusland.

En ce moment, je le mets en application à Sceaux dans le cadre de l’appel à expérimentation Paris&Co, Quartiers métropolitains d’innovations dont j’ai été lauréat. L’objectif est de recréer un lieu de biodiversité avec mes objets, et en parallèle de planter des arbres et des plantes mellifères afin d’apporter le gite et le couvert aux insectes que je souhaite préserver et régénérer, mais aussi d’animer des ateliers de sensibilisation avec les écoles avoisinantes mais aussi les personnes du champ social ».  

S’agissant de la forme des objets qu’il invente, c’est encore lui qui en parle le mieux :

J’essaye d’exploiter au mieux les contraintes de forme que m’impose le fait de travailler avec des déchets. A présent que j’ai un peu de recul sur ma pratique, je dirais que je travaille principalement sur la courbe et le filaire. Cela fait sens, tant par rapport au terme circulaire que par rapport à mon approche éco-responsable.

La boucle est bouclée.

Anne-Sophie Barreau

Pour suivre Alexandre Esteves

Le site d’Alexandre Esteves (en cours de développement) et linkedin

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