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La facture instrumentale joue la carte du bois local grâce à l’ITEMM
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 4 juin 2024
(Pour un design éthique) Friande de bois rares venus de l’autre bout du monde, depuis un écosystème en déclin, la lutherie a entamé sa révolution verte. Installé au Mans, l’Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM) développe des procédés permettant de remplacer les bois tropicaux par des bois locaux aux propriétés équivalentes. Le développement de ses matériaux alternatifs vise aussi à consolider une filière d’approvisionnement revendique Romain Viala, responsable du pôle recherche et innovation de l’ITEMM interrogé par Anne-Sophie Barreau pour « aller encore plus loin dans la complexité et parvenir à fabriquer une gamme d’instruments complets » à même de séduire les mélomanes les plus exigeants.
Les bois tropicaux, espèces en déclin
Palissandre, ébène, acajou : au moment de l’expansion des empires coloniaux, l’utilisation de bois tropicaux dans la fabrication des instruments de musique s’est généralisée se substituant peu à peu à celle des bois de pays qui avait cours depuis l’époque médiévale.
« Ces bois ont des propriétés mécaniques spécifiques qui ont permis de concevoir des instruments de musique nouveaux, l’ébène du Mozambique par exemple, la grenadille, est un bois dense et résistant à l’humidité. Dans le cas d’un instrument à vent, dans lequel on souffle, c’est un véritable atout ».
Romain Viala, docteur en mécanique, responsable du pôle recherche et innovation à l’Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM)
Inventer le matériau de l’archet moderne
Seulement voilà : ces bois connaissent aujourd’hui une dégradation à l’état sauvage. La forêt brésilienne, autrefois riche en pernambouc, ce bois utilisé pour faire des archets prisés par les plus grands violonistes, a ainsi « perdu 90% de sa superficie » indique Romain Viala.
Conséquence : le commerce est de plus en plus réglementé. Le pernambouc, toujours lui, a été classé espèce protégée dès 2007, une mesure indispensable au regard des enjeux écologiques mais qui a plongé la profession des archetiers en plein désarroi, et avec elle un savoir-faire français qui reste aujourd’hui encore sans égal depuis que François-Xavier Tourte (1748-1835) exploita le premier les caractéristiques – densité, rigidité – du pernambouc pour inventer l’archet moderne.
Des matériaux alternatifs
Seule solution : remettre sur pied une filière de bois local et doter les espèces utilisées des propriétés si prisées des bois tropicaux. Un défi auquel l’Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM) s’attèle depuis deux ans avec le soutien du volet culture de France 2030, le plan d’investissement tourné vers l’avenir et l’innovation. « 50% de ces activités sont prises en charge par France 2030 » précise Romain Viala.
Le pôle d’innovation de l’ITEMM développe ainsi trois axes : l’adaptation aux contraintes écologiques en développant des matériaux alternatifs ; la transition technologique en favorisant des méthodes de conception et de fabrication semi industrielles ; enfin, le soutien à la culture et au patrimoine en développant des méthodes associées à la reproduction d’instruments anciens et la conservation du geste.
Une filière 100% locale
La mise au point d’un procédé « consistant à injecter une molécule proche du plexiglas à l’état liquide qui va se greffer sur les composants des cellules en bois pour le fortifier, l’imperméabiliser » et l’usinage de parties d’instruments de musique qui sont ensuite directement proposées à la vente aux professionnels en « B to B », permettent aujourd’hui d’asseoir la croissance de cette filière de bois local – le bois utilisé vient exclusivement de la Sarthe et des alentours NDLR.
Les résultats sont là.
Artisans et petites entreprises forment aujourd’hui le gros des clients de l’ITEMM qui souhaite « aller encore plus loin dans la complexité et parvenir à fabriquer une gamme d’instruments complets ».
À ceux qui pourraient s’émouvoir de l’emploi d’un procédé chimique dans la fabrication de ces pièces, la réponse de Romain Viala est sans appel :
« Si au niveau de l’acoustique c’est satisfaisant, et ça l’est, c’est tout vu : je préfère mettre 10% de chimie dans un instrument de musique plutôt que de faire venir un bois rare de l’autre bout du monde, depuis un écosystème en déclin ».
Pour suivre les initiatives du réseau Résilience
le site de l’Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM) : Centre de formation des apprentis (CFA), école technique privée, centre de formation continue, pôle recherche et innovation, centre documentaire et technique, l’ITEMM est dédié aux métiers techniques de la musique. Facture instrumentale – lutherie, réparation, accord – en piano, guitare, instruments à vent et accordéon, commerce des produits musicaux et sonorisation forment le cœur des activités de l’institut depuis 30 ans.
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