Culture
Auguste Herbin, Le maître révélé (Musée de Montmartre – El Viso)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 4 septembre 2024
A la différence de Jean Hélion (1904-1987), son compagnon de route du Collectif Abstraction-Création créé en 1931, qui fit l’objet d’une remarquable rétrospective au MAM de Paris, Auguste Herbin (1882-1960) n’ a jamais cessé de creuser son vocabulaire abstrait géométrique, au point d’imaginer un « alphabet plastique ». Sa foi en l’art non-objectif est fait un modèle et un maître pour la seconde génération d’artistes abstraits, de Vasarely et Dewasne, …. Malgré cette aura, le peintre reste incompris et méconnu. « Le maître révélé » , l’exposition du Musée de Montmartre jusqu’au 18 septembre et le catalogue El viso, réussit pour Olivier Olgan à mieux faire comprendre son cubisme radical.
Il y a en effet un cas Herbin, inexplicable, incompréhensible, l’artiste et son œuvre après avoir été au sommet ayant petit à petit disparu de l’histoire de l’art à la fin du siècle passé, la tendance s’étant même accentuée au cours des vingt dernières années.
Serge Lemoine, A Paris, Catalogue
De tous les combats esthétiques et engagements politiques
Ce qui est fascinant dans le parcours d’Auguste Herbin (1882-1960) – que les premières salles du Musée de Montmartre font éclater– est sa capacité à intégrer et marquer profondément de son empreinte l’histoire et l’évolution de l’art moderne du xxe siècle.
Celui qui a vécu près de vingt ans au Bateau-Lavoir fut un héraut du fauvisme, puis l’un des inventeurs du cubisme, en tire dès 1909 toutes les conséquences dans sa peinture. Sans rupture, Herbin évolue structurellement vers l’art abstrait à partir de 1917, s’engageant dans une voie qu’il sera seul à suivre et qui le conduira vers la peinture murale et les arts appliqués, à pratiquer le relief à partir de 1919, une forme de sculpture très originale, polychrome, pensée par plans, pour ensuite développer un cubisme géométrique abstrait radical.
Pionnier de l’art non-figuratif non-objectif
Malgré les « retours à l’ordre » de l’entre-deux-guerres, la création en 1931 avec Georges Vantongerloo de l’association Abstraction-Création, prenant la suite de Cercle et Carré et d’Art concret réunit les artistes abstraits de toute l’Europe, organisant des expositions, et fait de Paris la capitale de l’art abstrait. En 1937, il est l’un des acteurs majeurs aux côtés de Robert Delaunay de la consécration de la peinture abstraite qui advient à l’Exposition internationale des arts et techniques à Paris. Pour ensuite être attaqué par les retours à l’ordre et les néo figuratifs de tout poil.
Indépendant et résistant
Paris devint, après Berlin, la Babylone de l’art d’avant-garde, le terrain de la redéfinition des fins et moyens de l’art abstrait. Face au rejet et à l’hostilité qui frappait ce courant, les artistes abstraits prendront parti, soit en s’engageant fermement contre les diktats imposés par quelque régime que ce soit, soit en refusant tout engagement, prétextant l’autonomie et l’indépendance de leur langage.
Auguste Herbin incarne cette double position. Il ne renonce ni à sa liberté individuelle en tant qu’artiste ni à ses idéaux politiques. Il dénonce les diktats qu’on veut lui imposer et incarne à la fois l’engagement et la résistance des artistes abstraits dans les années trente, dans un paysage où ceux-ci furent trop souvent négligés sous le poids des artistes surréalistes.
La cohérence de son parcours et son renouvellement créatif permanent, soutenus avec force par un effort de recherche et de conceptualisation de son œuvre qui en fait un maître dont l’influence a rejailli sur nombre des grands artistes du xxe siècle et l’aboutissement de ses recherches s’expriment dans la publication en 1949 de son livre L’art non-figuratif non-objectif.
Un « alphabet plastique« , manifeste esthétique et synesthésique
La création de son « alphabet plastique » qu’il conçoit comme un langage universel liant les formes, les couleurs, les lettres de l’alphabet et les notes de musique nourrit à la fois une incompréhension et une postérité qui se prolongent dans une seconde génération d’artistes abstraits, où figure en chef de file Victor Vasarely, mais aussi des critiques particulièrement injustes qui ont contribués à le mésestimer aujourd’hui.
Un jour en écoutant de la musique, la dernière fugue de Bach, j’ai été définitivement éclairé. En effet, le contresujet de cette fugue est écrit sur les quatre notes qui sont, en allemand, désignées par les quatre lettres : B, A, C, H.
C’est là que m’est venue l’idée initiale d’un alphabet plastique et de trouver pour la peinture les mêmes possibilités avec les lettres dans leur rapport avec les couleurs et les formes. »
Herbin, cité par Roger Van Gindertael, dans « Le passage de la ligne », p. 59, Art d’aujourd’hui, octobre 1952
Au cœur d’une génération de peintres pionniers de l’abstraction à l’instar de Vassily Kandinsky, Frantisek Kupka, Piet Mondrian ou Paul Klee, l’idée que les couleurs pourraient être comprises par analogie avec les sons de la musique est une évidence pour le vocabulaire d’Herbin puisque la couleur est comme le son, une vibration de la matière.
Un cubiste radical
« Plus l’art est abstrait, plus il exprime la personnalité. Plus l’art est abstrait, plus il s’identifie à mille et mille personnalités. »
Herbin, Cahier d’Abstraction, création, art non figuratif, no 1, 1932
Au terme d’un parcours commencé à la toute fin du xixe siècle, Herbin apparaît dés 1925 comme le cubiste français le plus radical dans la suppression des scories liées à l’art représentatif. Il est celui qui, parti de l’œuvre de Cézanne, comme ses contemporains Picasso, Braque, Léger, Gris, Lhote ou Le Fauconnier, (..), s’est aventuré le plus loin dans le monde sans objet, si cher à Malevitch.
Une recherche de la forme et de la couleur à l’avant-garde de son siècle
L’autre aspect incontournable de son œuvre, c’est qu’il est un formidable coloriste. « D’instinct par besoin naturel je me suis intéressé à la couleur parce qu’il paraît que les peintres du Nord sont très coloristes. » À contempler ses œuvres on ne peut en effet qu’admirer cette maîtrise de la couleur qui le rapproche de Van Gogh ou de Gauguin.
« Il faut toujours briser des chaînes. L’être humain est profondément imprégné des forces obscures et puissantes de son origine. À travers les civilisations on peut constater la lutte terrible entre ces forces primitives et les forces qui aspirent plus ou moins clairement à une délivrance, à une construction de l’avenir. »
Auguste Herbin Testament spirituel
De toute évidence, Herbin a réussi à briser ses chaînes. Son art est celui d’un homme libre qui a résisté aux formules faciles et a laissé au monde une œuvre d’une grande richesse qui n’a pas fini de révéler ses charmes et ses mystères. Par son exemple et son parcours, l’histoire du cubisme continue de s’écrire. Ses peintures comptent parmi les plus belles œuvres de l’histoire de l’art « non-objectif « .
Reste encore à sortir Herbin révélé de son injuste purgatoire. L’exposition du Musée de Montmartre y contribue.
Pour aller plus loin
Jusqu’au 18 septembre, Musée de Montmartre
Catalogue, sous la direction de Céline Berchiche et Mario Choueiry. Editions El viso, 98 p.
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