Gastronomie
Baba au rhum ou Savarin ?
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 28 septembre 2019 à 10 h 05 min – Mis à jour le 30 septembre 2019 à 14 h 44 min
Le baba à l’origine des deux pâtisseries
Le baba fut d’abord un dessert de grand-mère russe traditionnel pendant les fêtes pascales — rappelons que les Orthodoxes fêtent Pâques selon le calendrier julien — tout comme le koulitch (grosse brioche safranée qui ressemble un peu à un panettone) et la pashka (entremets à base d’une variété de fromage frais de type faisselle très égouttée qui s’appelle le tvorog (prononcez « dvarog) travaillé avec beurre, jaunes d’œufs, sucre, crème et fruits confits, auquel on donne une forme de pyramide tronquée et sur lequel on dessine les lettres XB (Xristos Voskrese) qui signifient Christ est ressuscité). À l’origine toutefois, le baba n’était pas imbibé.
Mais le baba n’est pas seulement un dessert de grand-mère. De par sa forme, il ressemble à une »matriochka », cette poupée gigogne dont la silhouette aux formes généreuses rappelle celle des vieilles femmes de la campagne, autrement dit des grands-mères. Or grand-mère se dit « babuschka » en russe, mot dont dérive le nom baba qui fait donc bien allusion à ce rang familial. Le mot matriochka est d’ailleurs lui-même dérivé du mot « matriona » qui a donné également les mots « mère » et « matrone » en russe. Un dessert de femme, donc et même du gynécée.
Le baba a émigré en Pologne, puis en France
Le baba russe a conquis également la Pologne et l’on dit qu’au XVIIIe siècle, le duc Stanislas Leszczynsky, ex-roi de Pologne en exil en France, duc de Lorraine et par ailleurs beau-père de Louis XV (qui épousa sa fille en 1725), en était particulièrement friand. Et ce serait lui qui aurait introduit ce gâteau à la cour de Lunéville. À l’époque, au goût, le baba ressemblait un peu à une brioche très beurrée mais il était servi sec. Cependant, on avait coutume de l’accompagner du vin de Malaga sucré ou de tokay. C’est Stohrer, un pâtissier parent du pâtissier du duc qui eut l’idée d’arroser le baba aussitôt démoulé de sirop tiède, d’abord de tanaisie semble-t-il, puis de rhum. Et lui encore qui lui ajouta des raisins et de la crème pâtissière. C’est ainsi que naquit un gâteau qui se rapproche de notre baba actuel. Plus tard, Stohrer ouvrit d’ailleurs une célèbre pâtisserie rue Montorgueil, qui existe toujours.
Les Italiens prétendent quant à eux que le baba est d’origine napolitaine mais c’est via la France qu’il y est arrivé. On le fait là-bas avec un sirop de rhum ou de limoncello (liqueur à base d’écorce de citron). En Campanie, il bénéficie même d’une appellation au titre des « produits agroalimentaires traditionnels » italiens.
Le savarin, un hommage à Brillat-Savarin !
Au départ, le savarin est une déclinaison du baba sans raisins. Ce sont les Frères Julien (surnommés « Les Trois Frères ») qui, au milieu du XIXe siècle, ont eu l’idée de transposer la recette des gâteaux individuels en un gros gâteau en forme de couronne (donc évidé au centre), fait de la même pâte levée (très aérée) que les babas. Et ils l’appelèrent savarin en hommage au célèbre gastronome de l’époque : Brillat-Savarin. Mais leur coup de génie fut surtout de l’imbiber de sirop parfumé à l’absinthe et au kirsch : un baba presque contemporain.
Du même coup, le moule fut lui aussi rebaptisé moule à savarin. Par extension, le moule à kouglof, également troué en son centre, peut également servir à faire un savarin plus volumineux. C’est d’ailleurs comme cela qu’on le sert au restaurant Allard d’Alain Ducasse. Mais ce gabarit incite aussi parfois à transformer la recette de la pâte, comme nous le verrons plus loin.
La forme circulaire du savarin est en fait destinée à recevoir en son centre une garniture, soit de crème Chantilly ou de crème pâtissière, soit de fruits rafraîchis, au sirop, confits, à l’eau-de-vie, etc.
Enfin, il existe des savarins de petite taille qu’on qualifie de savarins « Montpellier » qui sont imbibés puis recouverts de crème à la vanille et parsemés d’amandes effilées et grillées.
Deux gâteaux, une même pâte, un même principe
A priori, babas et savarins se réalisent à partir de la même pâte levée à base de farine et de levure de boulanger, de lait, de beurre, d’œufs, de sucre en poudre, sans oublier un peu de sel et, facultativement, un peu de zeste de citron finement râpé. Certaines variantes incorporent à la pâte des raisins secs (de Corinthe) rehydratés et épongés (au passage, une petite astuce consiste à les fariner légèrement avant de les mêler à la pâte pour qu’ils ne tombent pas tous au fond mais restent bien répartis dans la masse) et de l’eau de fleur d’oranger.
Puisqu’il s’agit d’une pâte à la levure (de boulangerie), il faut d’abord délayer celle-ci dans un peu de lait tiède et la verser dans la farine creusée en fontaine, puis laisser le levain gonfler environ 15 minutes. Après quoi on incorpore le beurre fondu auquel on a préalablement ajouté le sucre, les aromates et les œufs battus en omelette et on pétrit vigoureusement jusqu’à l’obtention d’une pâte homogène qu’on laisse lever un certain temps pour qu’elle double de volume. On la pétrit alors à nouveau, et on l’installe dans le ou les moules farinés en laissant une marge car la pâte va encore gonfler à la cuisson. On laisse reposer une dernière fois 15 à 20 minutes et on enfourne 12 à 20 minutes pour des babas, 25 à 35 minutes pour un savarin (à 210 °C). Suivant la recette, on utilise plus d’œufs ou plus de beurre, ce qui tend alors à faire de la pâte à brioche fine, un peu moins aérée. Mais en principe, on peut transformer tout gâteau à pâte levée en baba ou en savarin en l’imbibant.
Il est à noter que certains restaurants servent le baba chaud, ce qui lui donne une autre dimension.
C’est le sirop qui fait presque tout
Tous les babas et savarins sont imbibés après leur cuisson d’un liquide sucré et alcoolisé : le sirop. Aujourd’hui, il est généralement à base de rhum et il doit être tiède au moment d’imbiber le gâteau encore chaud, à peine démoulé, pour qu’il pénètre régulièrement la mie alvéolée du gâteau. Il est évidemment impératif de choisir un rhum ambré de qualité. En restauration, il s’agit souvent de rhum Saint-James ou de rhum Clément. Mais il arrive aussi que le sirop soit préparé avec un rhum qui décape les muqueuses et donne l’impression de pouvoir subitement devenir en cracheur de feu. À éviter bien sûr.
D’autres détournent la recette en utilisant un autre alcool, limoncello par exemple ou piña colada comme au restaurant BBM (Bistrot Buci Mazarine). Question de goût. On peut préférer la tradition ou l’innovation.
Quid de la Chantilly ?
La crème Chantilly accompagne traditionnellement le baba au rhum, sans doute pour tempérer son côté alcoolisé. Souvent, elle est déjà dressée sur le baba qui peut recevoir d’autres éléments : zestes de citron ou d’orange confite, amandes effilées torréfiées, cerise confite, etc. Quelquefois même, il est ouvert en deux moitiés recouvertes de flocons de Chantilly. Ou alors, elle est présentée à part, ce qui est plus judicieux car on peut ainsi la doser selon son goût, voire ne pas en mettre du tout.
Savoir choisir son pâtissier, son boulanger et … son rhum
Une adresse mythique : Stohrer, 51 rue Montorgueil, 75002 Paris – Tél. 01 4233 38 20
La plupart des pâtisseries vendent des babas au rhum qui peuvent d’ailleurs être de qualités très différentes.
Au restaurant, c’est pareil, de nombreuses brasseries,…
Une adresse mythique : Stohrer, 51 rue Montorgueil, 75002 Paris – Tél. 01 4233 38 20
La plupart des pâtisseries vendent des babas au rhum qui peuvent d’ailleurs être de qualités très différentes.
Au restaurant, c’est pareil, de nombreuses brasseries, des restaurants populaires ou même gastronomiques en proposent.
Notre sélection d’adresses où le baba est souvent à la carte :
-L’Abordage, 2 place Henri Bergson, 75008 – Tél. 01 45 22 15 49.
Ouvert lundi , mardi, jeudi et vendredi de 8 h à 22 h, mercredi de 8 h à 0 h ; fermé samedi et dimanche.
–Allard (savarin), 41 rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris – Tél. 01 43 26 48 23.
Ouvert toute la semaine de 12 h à 14 h et de 19 h à 22 h.
-Bistrot Buci Mazarine (BBM), 82 rue Mazarine, 75006 Paris – Tél. 01 43 54 02 11
Ouvert de 12 h à 14 h 15 et de 19 h à 22 h 30 toute la semaine sauf dimanche et lundi.
–Brasserie Le Gallopin, 40 rue Notre-Dame des-Victoires, 75002 Paris – Tél. 01 42 36 45 38
Ouvert à déjeuner du lundi au dimanche de 12 h à 14 h
Ouvert au dîner : dimanche et lundi de19 h à 22 h 30 ; mardi, mercredi, jeudi, vendredi de19 h à 23 h ; le samedi de 19 h à 2 h 30.
–Les Canailles (servi chaud), 20 rue La Bruyère, 75009 Paris – Tél. 01 48 74 10 48
Ouvert toutes la semaine de 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 22 h 30 sauf samedi et dimanche.
–Le XVII (servi chaud), 41 rue Guersant, 75017 Paris – Tél. 01 45 74 75 27
Ouvert du lundi au vendredi de 12 h 14 h 30 et de 19 h 30 à 22 h 30 ; le samedi de 19 h 30 à 23 h. Fermé le dimanche.
–Les Grandes Marches, 6 place de la Bastille, 75012 Paris – Tél. 01 43 42 90 32
Ouvert de 8 h à 0 h tous les jours de la semaine.
–L’Opportun (baba en forme de savarin), 62 boulevard Edgar Quinet, 75014 Paris – Tél. 01 43 20 26 89
Ouvert du lundi au samedi de 12 h à 15 h et de 19 h à 23 h. Fermé le dimanche.
–La Rotonde, 105 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris – Tél. 01 43 26 48 26
Ouvert toute la semaine de 7 h 15 à 1 h.
Lire
Culture Rhum, Patrick Mahé, Editions E/P/A, 240 p. 35 €
Pour en savoir plus sur le rhum en voyageant à travers le temps et les mers, voici l’ouvrage de qui nous apprend tout. Du »match » des Antilles françaises, fières de leur rhum agricole, à la renaissance des rhums de l’Océan Indien (Île Maurice, La Réunion), il déroule, en textes et en photos, un large panorama autour des pays producteurs.
En fin d’ouvrage, un tour du monde en 80 rhums est proposé. Chaque bouteille est identifiée visuellement par son étiquette, sa production retracée et sa couleur, son nez et sa bouche sont commentés par les plus grands spécialistes. Très belle iconographie.
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