Vins & spirits

Balade dans les pinots noirs les plus atypiques de l’Hexagone

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 2 avril 2023

[Les pépites de la révolution viticole] Star incontestée de la Bourgogne rouge, le pinot noir a gagné d’autres régions, en s’invitant dans les AOC de la Loire ou de l’Est. Sans compter que ce cépage inspire également les aventuriers du sud depuis que la révolution viticole, racontée par Mohamed Najim et Etienne Gingembre dans leur livre Quand le vin fait sa révolution (Editions du Cerf, 2021), a relancé l’intérêt de la profession pour les vins de cépage. Ils ont dégusté pour vous ceux des Domaines Pellé (Menetou-Salon), Regina (Côtes de Toul), Muré (Alsace), comme ceux des alchimistes François Fourel (Domaine de Peyra, dans le Gers) et Jeff Carrel (Domaine d’Ansignan, près de Perpignan).

Le Domaine de Peyra est à Gondrin, dans le Gers, à une poignée de kilomètres au sud-ouest de Condom Photo Domaine du Peyrat

Le pinot noir est le cépage des grands rouges de la Bourgogne.

Raisin noir à jus blanc, c’est aussi l’un de ceux qui entrent dans les assemblages de la Champagne, autre vignoble septentrional de notre cher vieux pays. Très à son aise, donc, sous les lattitudes fraiches, il progresse en Suisse, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Canada, de même que dans les vignobles tempérés de l’hémisphère sud.
Pour autant, il ne se déplait pas non plus dans certains départements méridionaux, comme l’Aude, les Pyrénées Orientales et même le Gers.

Son origine est incontestablement française, ou plutôt gauloise.

Les Vignes canigou intégrées dans le domaine d’Ansignan prés de Perpignan Photo Jeff Carel

Selon les ampélographes, spécialistes scientifiques des cépages, il serait apparu à l’époque de la colonisation romaine du territoire des Allobroges, une tribu celte installée entre l’actuel département de l’Isère et le lac Léman. Sans doute issu d’une lambrusque, c’est à dire d’une vigne sauvage qui proliférait dans les forêts qui bordaient le Rhône, sa culture débuta du côté de Vienne après la création de la Narbonnaise, première province romaine de Gaule, conquise en 118 avant notre ère. Toujours selon les botanistes, cette allobrogica serait l’ancêtre du pinot noir mais aussi de la syrah, du gamay et du chardonnay. Surprenante et nombreuse descendance, mais la vigne est une plante qui a la particularité de muter très rapidement, y compris du rouge au blanc…

Des pinots noirs atypiques

Aujourd’hui, nous nous allons dénicher plusieurs pinots noirs atypiques, qui sont cultivés dans des vignobles plus modestes et moins connus que la Bourgogne ou la Champagne. Des rouges de cette origine on trouve aussi à Sancerre, appellation principalement blanche dominée par le sauvignon, et bien sûr dans les coteaux champenois, appellation rouge parsemée sur la Grande Montagne de Reims, survivance d’un vignoble principalement rouge au siècle de Louis XIV, quand le roi ne buvait que du champagne. Mais on en trouvera aussi dans le Jura et dans la Loire, sans oublier les rouges des cinq terroirs que nous avons dégustés.

Menetou-Salon est l’un des rares rouges de la Loire 100 % pinot noir

Le Domaine Pelle à Morogue est l’ambassadeur et de tête d’affiche de l »AOC Menetou-Salon Photo Domaine Pelle

Reuilly et Sancerre sont deux autres AOC ligériennes dont les rouges sont issus du pinot noir. A une dizaine de kilomètres au nord de Bourges, préfecture du Cher, les 600 hectares de Menetou-Salon sont également situés à une vingtaine au sud-ouest de Sancerre. Quant à Reuilly, c’est à l’ouest de Bourges. Les trois vignobles sont posés sur le même type de sous-sol et bénéficient du même climat. Dans l’appellation Menetou-Salon, nous avons choisi de déguster le pinot noir du Domaine Pellé, qui fait figure d’ambassadeur et de tête d’affiche de cette AOC obtenue en 1959 : c’est bien sûr le haut de la gamme, à 19 euros la bouteille.

Paul-Henry Pellé né en 1985 a choisi comme ses arrière grand-père, grand-père et père d’être vigneron Photo Pellé

Etablie dans ce vignoble depuis quatre générations, la famille Pellé nous offre un vin couleur sang, profond, gouleyant, plein de fruit d’une grande maturité. Le réchauffement climatique est bien présent dans le verre. D’ailleurs, ce rouge au bel équilibre titre ses 14,5 degrés d’alcool. Nous ne sommes pas les seuls à l’apprécier : le pinot noir du domaine Pellé fait l’unanimité des guides comme des sommeliers.
Rien à voir avec les bourgognes, mais ce vin accompagnera divinement une belle entrecôte.

Un pinot noir « de cépage » au pays du Bas-Armagnac

Le pinot noir de François Fourel, nous l’avons découvert, servi au verre, dans un restaurant de Bordeaux qui fusionne élégamment les influences française et asiatiques dans un festival d’arômes et de saveurs. Au royaume des cabernets et du merlot, c’est un pinot facile à boire, d’une couleur aussi soutenue qu’un médoc, fruité et frais tout à la fois : « Je mélange à part égale des raisins  très mûrs avec d’autres qui le sont moins ce qui donne beaucoup de fraicheur à mes vins », explique le magicien du Domaine de Peyra.

Le Domaine de Peyra au pied du Pic Saint Loup Photo François Fourel

« Fou du vin », comme il aime à se définir, François Fourel a passé sa vie dans les vignes depuis l’adolescence. Il a fait tous les métiers de la viticulture, il a gravi les échelons et a même dirigé de vastes domaines comme Tariquet et Puech Haut, au nord de Montpellier. Il a ensuite exercé le métier de caviste et a fini, avec le Domaine de Peyra, par se faire éleveur, pour élaborer des vins qui font plaisir à tout le monde : «Je voulais faire du vin pour tous les jours et pas seulement pour le week-end, un vin sans chichi mais dont on finit toujours la bouteille que l’on vient de déboucher ».
Nous sommes à Gondrin, dans le Gers, à une poignée de kilomètres au sud-ouest de Condom : les cuvées du Domaine de Peyra sont des vins de cépage appelés « cent pour cent » chardonnay, grenache et donc pinot noir que François Fourel vend au tarif modique de 10 euros la bouteille.

Un pinot noir œil-de-perdrix qui ne vient pas de Suisse mais de Perpignan

Le domaine d’Ansignan prés de Perpignan produit un pinot noir de soif Photo Jeff Carel

« En coteaux » est un pinot noir sudiste que sa fraicheur et sa couleur rubis apparentent, assez bizarrement, à ceux, plus septentrionaux, d’Alsace et de Lorraine. « C’est un pinot fin, une expression du pinot noir dans un climat méditerranéen sous une influence océanique qui rafraichit les nuits », le raconte son vinificateur, Jeff Carrel. Chimiste d’origine, il a suivi un cursus d’œnologie à Montpellier, avant de se faire consultant à Bordeaux, en Alsace et même chez Robert Mondavi, en Californie. Mais il finit par jeter l’ancre à Ansignan, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Perpignan, où il crée de toutes pièces et parcelles le Domaine d’Ansignan.
Son pinot noir est un vin de soif très gourmand à servir sur des charcuteries, un couscous, de la cuisine asiatique, en se faisant plaisir pour moins de 10 euros.

Les rouges fruités de Lorraine sont étonnants de finesse et de légèreté

Isabelle et Lorraine Mangeot, du domaine Régina Photo DR

Autrefois, les pinots noirs d’Alsace, mais aussi certains bourgognes, étaient des vins légers, à la couleur rubis transparente parfois appelée œil-de-perdrix, à mi-chemin entre les rosés et les rouges traditionnels. Avec la révolution viticole, ils ont pris du corps et de la densité. Le Domaine Regina, en AOC Côtes de Toul, sous-préfecture de Meurthe-et-Moselle à vingt-cinq kilomètres de Nancy, a repris cette tradition des pinots très légers avec sa cuvée Tradition (11,50 euros). C’est un vin aromatique, aux accents de cerises et de framboises, d’une grande finesse, avec de la rondeur et une belle longueur, qu’il convient de servir légèrement frais sur des viandes blanches, un poulet rôti ou une blanquette de veau.
Les appellations de Lorraine renaissent calmement – Côtes de Toul et Moselle totalisant à peine 200 hectares – en privilégiant la qualité. Leur typicité en fait des vins uniques en leur genre qui méritent d’être découverts.

Depuis trente ans, l’Alsace vinifie de vrais vins rouges, à la bourguignonne

Véronique & Thomas Muré produisent du pinots noirs en biodynamie Photo Domaine du Clos Saint Landelin

Les sols de la région de Rouffach, à une dizaine de kilomètres au sud de Colmar, dans le Haut-Rhin, sont composés de calcaire et surtout d’argiles riches en fer que trahit leur couleur rouge ocre. Assez banalement, cette géologie est particulièrement favorable aux rouges, donnant un pinot noir aux arômes de fruits noirs et avec une belle structure tannique.
Depuis une trentaine d’années, celles de la révolution qui nous est chère, les Alsaciens ne vinifient plus leurs pinots noirs comme des rosés à la couleur plus appuyée, mais comme de vrais rouges.
En biodynamie, le Domaine du Clos Saint Landelin -Muré propose un vin aux arômes de cerises et de mûres, relevé par des notes d’épices douces et une belle minéralité. Cette cuvée Argiles rouges (18 à 20 euros) dispose d’un beau potentiel de garde grâce à une structure tannique présente et fine.

#Mohamed Najim et Etienne Gingembre

En savoir plus sur la révolution viticole

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

Pour trouver les vignerons de pinots noirs dégustés

  • Domaine Pellé (Menetou-Salon), 6 Rte d’Aubinges, 18220 Morogues – Tél. : + 33 2 48 64 42 48
  • Domaine Regina (Côtes de Toul), 350 Rue de la République, 54200 Bruley – contact@domaineregina.com – Tél. : + 33 3 83 64 49 52
  • Domaine du Clos Saint Landelin -Muré (Alsace), 68250 Rouffach –  domaine@mure.com – Tél. : + 33 3 89 78 58 00
  • Domaine de Peyra, (François Fourel, Gers), Route de Lagardère 32330 Gondrin – + 33 (0)6 31 36 70 17
  • Domaine d’Ansignan, (Jeff Carrel près de Perpignan),  2 impasse du ière, 66220 Ansignan – contact@domainedansignan.fr – Tél. : + 33 6 27 91 18 76

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