Vins & spirits
Beaux-livres : Les raisins de Pierre Joseph Redouté, commenté par Jean-Michel Boursiquot (Paulsen)
Auteur : Etienne Gingembre
Article publié le 22 novembre 2021
Un magnifique album de 83 aquarelles signées Pierre-Joseph Redouté représentent les cépages français au temps de Napoléon III (Editions Paulsen). Cet hommage aux prémices de l’ampélographie s’interroge aussi sur leur adaptation à l’évolution du réchauffement climatique. Au-delà de l’intérêt historique, Etienne Gingembre, auteur de ‘Quand le vin fait sa révolution’ commente l’éclairage scientifique sur la renaissance de certains cépages et sur l’avenir de la vigne au XXIe siècle.
Le réchauffement climatique va ressusciter les cépages disparus
Cette histoire commence en 1802. Depuis le coup d’Etat du 18 brumaire, la France vit sous le régime du consulat. Jean-Antoine Chaptal, l’illustre chimiste, est ministre de l’Intérieur de Bonaparte. Cela ne l’empêche pas d’avoir gardé un œil scientifique. Le Jardin du Luxembourg étant, à l’époque, un conservatoire des cépages français, Chaptal demande au peintre Pierre-Joseph Redouté de réaliser des aquarelles représentant les différentes espèces de raisins cultivées dans le poumon vert de la capitale. Ces 83 peintures à l’eau, qui ont récemment été retrouvées à l’Académie d’agriculture, sont le sujet principal du livre « Les raisins de Pierre-Joseph Redouté », un superbe album publié par les Editions Paulsen.
Comme l’indique le sous-titre du livre – « Des aquarelles pour l’avenir de la vigne » – cette représentation avait un objectif didactique et scientifique. Les peintures sont magnifiques, réalistes, les couleurs sont criantes de vérité, comme le constateront tous ceux qui comme moi, se sont amusés à les comparer à des photos. Car évidemment, depuis Pierre-Joseph Redouté, on a inventé la photographie. L’autre enseignement du beau livre, c’est que la plupart, voire la quasi-totalité de ces cépages vous resteront inconnus. Même le distingué professeur Mohamed Najim, avec qui nous venons de publier « Quand le vin fait sa révolution », aux Editions du Cerf, n’en connaissait pas le quart. Et pourtant…
Selon les spécialistes de l’ampélographie (la science des cépages) qui signent les textes accompagnant ces images, on recense de 6 000 à 10 000 cépages de par le monde, dont seulement 400 sont autorisés, en France, par les cahiers des charges de nos 300 appellations d’origine contrôlée. Que sont devenus les autres ? C’est l’objet des réflexions que nous livrent les six scientifiques signataires de l’album. Alors évidemment, ce sont des textes universitaires, comme en publient les revues de ce genre, et qu’il convient de lire un dictionnaire à la main.
Savez-vous par exemple, ce qu’est le Würm ? Non ? Eh bien, je ne le savais pas non plus. Mais il s’agit de « la dernière période glaciaire du Pléistocène dans les Alpes, qui s’étend de 115 000 à 11 700 ans avant le présent »…
Pourquoi, me direz-vous, s’intéresser au Würm ?
Parce que les six auteurs se sont interrogés sur les effets du réchauffement climatique sur le choix des cépages destinés à la viticulture. Ils commencent donc par retracer les deux millénaires et demi d’histoire du vignoble hexagonal « depuis Massalia » au VIe siècle avant notre ère, qui en réalité s’appelait Phocée. Au début, une multitude de cépages étaient cultivés dans nos contrées et nos provinces, pour la plupart en raison de traditions locales. Et puis certains se sont imposés, les plus productifs dans les vignobles orientés vers la production de masse, et les plus qualitatifs dans les vignobles qui s’adressaient à une clientèle plus huppée. Le phylloxéra puis l’invention des AOC ont encore réduit le nombre des cépages utilisés, jusqu’à ce qu’une dizaine seulement recouvre de nos jours 70 % des surfaces plantées.
Rupture climatique
Alors évidemment, le climat et les températures ont une influence déterminante sur le cycle végétatif de la vigne. Les auteurs expliquent que certains cépages sont mieux adaptés aux climats froids, d’autres aux climats chauds, d’autres encore aux climats océaniques ou humaides. Ils soulignent aussi que la date des vendanges est aujourd’hui plus précoce de deux à trois semaines qu’avant 1988. Cette date, c’est celle de la « rupture climatique » avons-nous expliqué nous-mêmes, avec Mohamed Najim, dans notre livre : depuis 1988, les températures ont augmenté de 1,5 degrés en moyenne, ce qui ne va pas sans créer des difficultés, comme par exemple des excès d’alcool. Ces dernières années, il n’était pas rare de voir des châteauneuf-du-pape titrer 16,5 degrés, nous racontait récemment un producteur de cette appellation.
Plaidoyer pour la diversité
Nos éminents universitaires signataires de l’album estiment donc « nécessaire de revenir à un encépagement plus diversifié » en développant les surfaces plantées en petit verdot, en morrastel ou en roussanne, qui résistent mieux aux montées en température. Ils proposent même de revaloriser « d’anciennes variétés autochtones qui ont été délaissées », comme le rivairenc, le piquepoul noir, le petit meslier, le castets, le manseng noir, le tardif, l’enfariné, le monbadon ou encore l’uva biancona (certains de ces cépages figurant parmi les 83 planches de Pierre-Joseph Redouté). C’est d’ailleurs ce que certaines régions font déjà, comme nous l’avons constaté, l’été dernier, en rédigeant notre petit bouquin : le Languedoc a replanté de la counoise, du rivairainc, de l’aramon ou de l’alicante. Quant à la Corse, elle a arraché aux ronces et au maquis des plants oubliés de barbarossa, de bianco gentile, de minustellu ou de riminese qui lui offrent des arômes incomparables tout en étant mieux adaptés à la nouvelle donne climatique. Le changement de cépages est incontestablement l’une des révélations de la révolution viticole.
Six nouveaux cépages
L’INAO en a d’ailleurs lui-même pris conscience, au point d’être disposée à faire évoluer sa réglementation. A titre d’exemple, cette administration autorise depuis cette année le recours à six nouveaux cépages (le touriga nacional, le castets, l’arrinarnoa, le marselan, le liliorila et l’alvarinho) dans l’assemblage des bordeaux et des bordeaux supérieurs. Ce coup de canif dans le sacro-saint cahier des charges ne risque-t-il pas de dénaturer l’identité des vins français ? A moins que cette identité n’ait déjà été altérée par l’abandon, depuis deux cents ans, d’une multitude de cépages vernaculaires.
Ainsi s’achève la réflexion de nos six scientifiques. Mais faute de savoir ce que pouvait être l’identité des vins français il y a deux siècles, ce dilemme risque fort de ne jamais être tranché. Et si, plus simplement, l’identité de nos vins n’avait cessé d’évoluer au cours des siècles, depuis leur introduction, dans l’Hexagone, par les Grecs et les Romains ?
#EtienneGingembre
Pour aller plus loin
Les raisins de Pierre Joseph Redouté, commenté par Jean-Michel Boursiquot (Paulsen)
Des aquarelles pour l’avenir de la vigne, préface de Jean-Robert Pitte, Président de la Société de géographie. 256 p. 42€
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