Vins & spirits

Frédéric Berne : "avec le bio l’image du Beaujolais a radicalement changé"

Auteur : Etienne Gingembre
Article publié le 22 avril 2024

[Les pépites de la révolution viticoleLe Beaujolais est une terre des possibles. Un terroir où une jeune génération de vignerons peut innover et faire leurs preuves une fois leur diplôme en poche, et après avoir fait souvent leur tour du monde. Frédéric Berne s’y est installé il y a dix ans, dans la commune de Lantignié, voisine de Fleurie ou de Chiroubles, pour faire, en biodynamie, des beaujolais de très grande qualité. Il est un de ses aventuriers de la révolution viticole dont Etienne Gingembre a raconté les défis, avec Mohamed Najim, dans le livre, Quand le vin fait sa révolution, aux Editions de Cerf (2021). Depuis, avec treize autres jeunes vignerons de son village, il s’est mis en tête de faire de Lantignié un cru à part entière, comme Brouilly ou Morgon.

En quoi les beaujolais que vous produisez, avec vos amis de Lantignié, sont-ils gustativement différents de ceux de la génération précédente, de ceux des années 1990 ?

Frédéric Berne parie au Lantignié onzième cru du Beaujolais

Frédéric Berne : Les beaujolais de la nouvelle génération sont plus concentrés parce que nous produisons entre 30 et 45 hectolitres à l’hectare, comme les grands crus de Bourgogne, alors que l’ancienne génération du Beaujolais en produisait le double et parfois jusqu’à 150 hectolitres à l’hectare. Je vous rappelle que le cahier des charges des beaujolais et beaujolais villages fixe un maximum de 58 hectolitres et celui des crus de 56 hectolitres à l’hectare.

Les nouveaux beaujolais ont également plus de pureté et davantage d’élégance s’ils sont produits dans de bonnes conditions, résultat d’une culture sans chimie, tout en faisant ressortir ce goût fruité caractéristique de la culture du gamay sur des terres granitiques.

Enfin, nous, la jeune génération, on fait découvrir le terroir en réalisant des cuvées parcellaires. Vinifier une parcelle particulière permet de faire comprendre gustativement les variétés géologiques et géographiques du vignoble.

Et avant ?

Avant, c’était des vins très dilués parce qu’on dopait la vigne aux engrais de synthèse pour produire à plein rendement. C’était des vins acides, verts parce qu’on vendangeait tard, souvent en octobre, des ceps surchargés et rarement à maturité en raison de mois de septembre frais et pluvieux.

La vieille génération ne faisait pas de parcellaire, l’ensemble des beaujolais avait un goût uniforme et terne, sans exprimer les caractères différents du terroir et la personnalité des vignerons.

Vignoble du Domaine Frédéric Berne en beaujolais Photo DR

Qu’est-ce qui a changé dans votre manière de cultiver la vigne ?

On a exclu la chimie, les produits dopants comme les engrais de synthèse ainsi que les désherbants ce qui nous permet de revenir à des rendements naturels. On pratique l’ébourgeonnage, en coupant des bourgeons pour limiter le nombre de rameaux sur nos ceps, ce qui permet de concentrer la sève sur les autres.

On vendange en vert, aussi, c’est-à-dire que l’on coupe, au début de l’été, quelques grappes sur les pieds surchargés. On peut aussi effeuiller, les années humides, pour exposer davantage les grappes au soleil. Nous faisons tout notre possible pour obtenir une belle qualité de raisin.

Et la vinification, en quoi est-elle différente ?

On commence par trier les baies pour ne faire macérer dans nos cuves que de beaux raisins. Et puis, à cette étape, nous sommes peu interventionnistes, d’autant que nous sommes en bio ou, comme moi, en biodynamie. Par exemple, chez nous, la fermentation est activée par les levures indigènes, celles qui sont naturellement présentes dans nos domaines, dans nos chais et dans nos vignes. Ce choix exclut les levures aromatiques, comme cette 71 B tellement prisée par certain négociant ou vigneron pour donner ce goût de banane au Beaujolais nouveau. Et puis, dans la vinification chacun a son coup de patte. On peut laisser macérer les baies entre 3 et 15 jours. En vinifiant, le vigneron exprime sa personnalité.

La nouvelle génération est plus créative, plus intuitive. Elle sait faire parler les terroirs. Avec des sols différents, des vignes plus ou moins vieilles, nous obtenons une belle diversité de cuvées.

Carte des Vignobles de Lantignié Photo DR

Vous-mêmes, vous faites des crus, des morgons, des chiroubles, des régniés. Mais vous estimez que le terroir de Lantignié, votre commune, produit des beaujolais caractéristiques, différents des autres. Comment les décririez-vous, ces vins de Lantignié ?

A la différence de Fleurie ou de Chiroubles, les communes voisines de la nôtre, dont la terre est essentiellement composée de granit rose, le terroir de Lantignié est composé à parts égales de granit rose et de pierres bleues. Le granit donne de la finesse, de l’élégance, du tendu, de la fraicheur, tandis que la pierre bleue donne de l’opulence et de la rondeur parce qu’il y a davantage d’argile dans les sols. L’altitude joue également un rôle important : nous sommes à une moyenne idéale de 380 mètres. Enfin, Lantignié bénéficie souvent des pluies d’été, avec cependant un risque accru d’orages.

En combinant tous ces caractères, nous obtenons des équilibres intéressants qui sont une signature digne d’un cru différent.

Vous vous êtes lancé un défi ambitieux : faire du Lantignié la onzième appellation communale. J’imagine que cela ne va pas de soi. Où en est ce projet ?

 

L’association Vignerons & Terroirs de Lantignié est forte de 14 membres Photo Frédéric Berne

On ne s’adresse pas directement à l’INAO, mais à l’Organisme de défense et de gestion des crus du Beaujolais, l’ODG qui écrit le cahier des charges et défend les dix crus du vignoble. C’est avec lui qu’on construit le dossier depuis près de deux ans. On nous a dit qu’il faudrait une dizaine d’années pour obtenir l’appellation Lantignié. En attendant nous avons créé une association avec une marque déposée : « Vignerons & Terroirs de Lantignié ». Notre association, forte de 14 membres, s’est dotée d’un cahier des charges exigeant et d’un site internet engagement-vins-lantignie.fr que j’invite les lecteurs à consulter.

Et cette ODG des crus, elle est favorable à votre initiative ?

Son président, Jean-Marc Lafont, estime que notre initiative va tirer la qualité des autres crus vers le haut. Nathalie Chuzeville qui a longtemps été la directrice générale de l’ODG est du même avis. En revanche, dans les crus, les réactions sont parfois hostiles. Si on a voulu créer notre appellation, c’est pour vivre dignement de notre métier et faire connaître et reconnaître nos terroirs de Lantignié.

Si le cahier des charges de notre marque est strict, obligeant nos adhérents à ne pas utiliser de pesticide de synthèse, c’est parce que nous voulons booster la qualité de nos vins.

Alors, on a des réactions du genre : « Ils veulent faire un cru bio, après nous aussi on sera obligés de passer en bio ». D’autres grommellent : « Pourquoi créer un nouveau cru alors que ceux qui existent ont déjà beaucoup de mal à se vendre… »

L’ensemble du Beaujolais est en profonde mutation depuis une vingtaine d’années, avec l’arrivée de cette nouvelle génération qui a choisi de faire des vins différents. Mais les conservateurs, ceux des beaujolais d’autrefois, tiennent toujours les instances professionnelles. Le rapport de force peut-il changer ?

C’est générationnel. La jeune génération, celle qui s’installe, ne veut pas faire du vin pour le vendre en vrac aux négociants bas de gamme, mais pour le vendre à des négociants haute couture ou à la bouteille, à des sommeliers, des cavistes et des consommateurs qui sont des amateurs. Le domaine à l’ancienne, c’est un couple sur 10 à 15 hectares qui va produire un maximum parce qu’il risque d’endurer des pertes liées aux aléas climatiques et autres, et qui vendra son vin au négoce quasiment a prix coutant.

Il faut savoir que les plus gros négociants achètent le moins cher possible pour rester compétitifs. Le Beaujolais nouveau, c’est 3 euros le litre. 60 % des vignerons s’adonnent encore à cette viticulture traditionnelle.

A côté, vous en avez 20 % d’autres qui concurrencent le négoce en répondant aux gros appels d’offres, ceux qui sont lancés par la grande distribution.
Enfin, vous avez 20 % de vignerons qui s’adressent au marché des bouteilles qualitatives ou des négociants haute couture, dont notre association fait partie. Alors ce sont bien sûr ceux de la première catégorie qui possèdent les terres et contrôlent les instances politiques du Beaujolais. Mais le rapport de force va changer car on arrive à la fin d’un cycle, avec le départ à la retraite de cette génération.

Vous avez vous-même été sollicité par une partie de la profession pour prendre la tête d’une liste de vignerons à l’occasion d’élections professionnelles. Mais vous avez ensuite été désavoué. Que s’est-il passé ?

Les anciens ont effectivement proposé aux vignerons de la nouvelle génération de figurer sur une liste commune pour les élections à l’ODG des beaujolais et beaujolais villages. Il y a deux présidents, un pour chaque appellation. Si j’ai proposé ma candidature à la présidence des Villages c’était dans un souci d’équilibre, l’autre président appartenant à l’ancienne génération. Mais cinq jours avant le dépôt des listes, la vieille génération et les jeunes des Jeunes Agriculteurs (FNSEA junior) nous ont évincés. On nous a reproché tout et n’importe quoi. De ne pas aller faire de manifestations violentes, certains incitant à brûler des bottes de foins devant les bâtiments des négociants. Les vieux m’ont dit : « On va vous exterminer », rien que ça. C’était très violent. J’en ai conclu qu’on nous avait sollicités pour nous massacrer. Comme je demandais des explications, on m’a dit : « C’est ça, la politique, tu ne peux pas comprendre »…

Pourtant, vous ne baissez pas les bras…

Frédéric Berne dans son Domaine en beaujolais Photo DR

Subitement, l’image du Beaujolais a radicalement changé. Il y a dix ans, quand je me suis installé, je m’entendais dire : « Mon pauvre, du Beaujolais, vous n’y pensez pas, c’est affreux… » On a été les premiers à y croire, puis on a bataillé pour séduire les sommeliers qui aimaient ce qu’on leur faisait goûter, étaient convaincus par notre rapport qualité-prix, mais nous disaient que leurs clients n’étaient pas prêts à commander du Beaujolais.

Et puis voilà que depuis quatre ou cinq ans, le vent a tourné : les sommeliers se sont mis à nous passer des commandes. Alors, la confiance revient petit à petit dans le vignoble. Le vieux Beaujolais est moribond, son système basé sur la vente au négoce bas de gamme s’amenuise.

Nous allons nous préparer pour les prochaines élections aux instances de l’ODG qui se tiendront dans quatre ans. Le travail d’une poignée de vignerons de l’ancienne génération couplé avec l’énergie de la nouvelle génération nous ouvre les portes d’un Beaujolais radieux.

Propos recueillis par Etienne Gingembre

En savoir plus sur la révolution viticole

Pour déguster la révolution du beaujolais bio 

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

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