Gastronomie
« Chez Françoise », institution politico-culinaire
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 30 août 2019 à 18 h 51 min – Mis à jour le 28 septembre 2019 à 10 h 25 min
Si ce restaurant parisien, fréquenté par des hommes politiques de tout poil – ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « la cantine des parlementaires » – mais également des hommes d’affaires influents et, osons le dire, le Tout-Paris, offre des singularités, c’est aussi par l’ambiance qui y règne et la cuisine qui y est servie, sous la houlette de son propriétaire, Pascal Mousset, et de son chef Philippe Léglise.
Pascal Mousset, gardien du temple politico-culinaire
Si la réputation de « Chez Françoise » a perduré jusqu’à notre époque, c’est donc beaucoup grâce à Pascal Mousset qui gère l’établissement depuis 1993, concomitamment au restaurant (privé) du Sénat (depuis une dizaine d’années), au Petit Marguery du boulevard de Port-Royal (13e), au Petit Marguery rive droite, avenue des Ternes (17e) et à la Marée rue Daru (8e). Petit-fils de paysans et fils de cafetiers, après un BTS en hôtellerie-restauration, Pascal Mousset a fait ses armes chez Flo et à La Coupole avec Papa Jean-Paul Bucher, puis a tenu Le bistrot 121 dans le 15e. Fidèle aux principes de son éducation et aux idées de Turenne Rousseau (créateur du lieu) qui mettait en exergue les produits fermiers, Pascal Mousset s’astreint à ne proposer que des produits à la traçabilité exemplaire et son chef, Philippe Léglise (dans la maison depuis 27 ans) les met en scène avec brio, panachant produits nobles et plats canailles sur une carte de brasserie traditionnelle tendance chic. Une cuisine de type familial mais avec du style. « Last but not least » Pascal Mousset est signataire de la charte Ethic Océan, association qui milite, avec de grands chefs, pour la préservation des océans et de leurs ressources (Lire l’article –> Ethic Océan et des Chefs pour préserver les ressources de la mer).
Brasserie de tradition et produits fermiers
Chez Françoise les légumes sont fournis par Jean-Pierre Clos, maraîcher dans le nord de la France, le bar et les Saint-Jacques (en saison) viennent de Port-en-Bessin, et il y a au minimum 5 produits d’Ïle de France : le cresson de Méréville dans l’Essonne, la moutarde de Pommery, le mesclun et les épinards de la maison Beauce dans l’Essonne également. Le veau vient de la ferme Ricaud dans l’Aveyron (côtes IGP, l’agneau allaiton aussi. Les lapins sont de ferme, et tout à l’avenant. Cerise sur le gâteau, les déchets sont traités en bio. Bref une charte de qualité est la règle.
Le jour où j’y ai déjeuné, j’ai opté pour les suggestions du jour : poêlée de girolles (échalotes fondues et persillade) absolument épatante en entrée, salade de homard européen (voir notre article –> Le homard on en pince pour lui sur les grandes tables) aux haricots verts et à la mangue tout à fait succulente en plat principal et tarte aux nectarines en dessert. Avec un verre de chablis 2013 de chez Jean-Marc Brocard sur l’entrée et un verre de mâcon-charnay blanc 2017 de chez Trenel sur le homard. Un repas gourmand véritablement excellent et à prix raisonné pour le quartier (voir les menus en ligne : menu parlementaire à 35 €, menu Bonne Conscience à 29 €, carte du jour, carte dimanche) ; Carte des vins classique (voir nos sélections dans l’onglet Informations pratiques).
Un peu d’histoire, ancienne et récente…
Mais pourquoi donc ce restaurant s’appelle-t-il « Chez Françoise » ? Car cette Françoise n’était ni la patronne ni même cuisinière. Tout commence en fait par l’amitié de deux hommes juste avant le Seconde Guerre mondiale : l’ingénieur automobile Jean Albert Grégoire, inventeur du joint tracta (traction avant) et Léon Langlois dont l’épouse (née Gaillard) se prénommait Françoise. Ils dînaient souvent ensemble dans des restaurants prometteurs jusqu’à ce qu’ils découvrent le chef Turenne Rousseau, adepte des produits fermiers, grand connaisseur de vins blancs (notamment les chablis) et pratiquant un très bon rapport qualité/prix. Ils devinrent amis. Turenne Rousseau gérait déjà un restaurant dans la capitale ainsi que celui de l’Assemblée Nationale quand, en 1949, il s’est vu confier par Air France — qui souhaitait créer un restaurant pour ses voyageurs — la direction d’un restaurant sous l’aérogare des Invalides. Et c’est tout naturellement qu’il tint à le baptiser du prénom de sa très chère amie Françoise qui devint la marraine du lieu. Après l’inauguration du restaurant, la famille Langlois et Jean Albert Grégoire s’y retrouvaient chaque dimanche pour déjeuner.
Toujours est-il que depuis 1949, des centaines de personnalités françaises ont fréquenté cette table parisienne incontournable. Comme le disait Bossuet (1627-1704) : « C’est à table qu’on gouverne », affirmation que n’aurait pas démentie le grand stratège que fut Talleyrand (1754-1838). Élus (députés, sénateurs, ministres et j’en passe), journalistes, intellectuels, grands patrons ont participé ici à l’histoire politique et économique du pays, quelles qu’aient été leurs étiquettes politiques ou spirituelles : gauche, droite, centre, chrétiens, athées, francs-maçons, etc. À tel point qu’on surnomme « Chez Françoise » « la cantine parlementaire ».
Et quand on sait que les politiques ont de la gueule au sens propre quand ils ne mâchent pas leurs mots pour se faire entendre, mais aussi au sens plus convivial d’aimer manger (et boire) — chacun ayant ses petites manies, ses goûts et ses dégoûts que nous ne dévoilerons pas ici — ce n’est pas un mince compliment que de fréquenter assidûment une cantine parce qu’on y mange bien, même si on s’observe discrètement d’une table à l’autre. Car « Chez Françoise » est aussi un excellent poste d’observation, un lieu où se croiser (et discuter) sans concertation préalable, sans rendez-vous officiel, en somme sans autre protocole que le hasard.500 personnalités sauvent la tradition
Mais voilà-t-il pas que l’an dernier, un projet de réaménagement de l’aérogare d’Air France (18 000 m 2) mettait en péril la pérennité de ce haut lieu politico-culinaire. C’était sans compter sur le soutien sans faille de ses clients fidèles. Sous l’impulsion du Club de la Table Française plus de 500 personnalités de tous horizons dont 70 parlementaires ont décidé de rejoindre le « Club des Ami(e)s de Chez Françoise », ce qui a déterminé la ville de Paris à maintenir l’établissement mythique dans le projet « Aérog’art » mené par l’architecte Dominique Perrault (architecte de la bibliothèque François Mitterrand), retenu par la ville de Paris pour réaménager la parcelle de l’Esplanade des Invalides. « Chez Françoise » va se déplacer de quelques mètres. Mais ça ne sera qu’à partir de 2025 (après les Jeux Olympiques) que le restaurant accueillera ses clients dans la nouvelle grande Halle souterraine située sous l’avenue du Maréchal Galliéni (avenue centrale de l’Esplanade, non bordée de maisons). Cette grande Halle proposera également le MIAM, Marché des Invalides dédié à l’Alimentation Multigénérationnelle, ainsi qu’un musée des enfants « Oli-Oli » à destinations des 6-12 ans.
Bon, cela implique une restauration éphémère pendant deux ans mais c’est tout de même ragaillardie et en toute sérénité que « Chez Françoise » a donc fêté ses 70 ans le 26 juin dernier.
« The place to be »
Vous l’aurez compris, on ne vient pas seulement « Chez Françoise » pour voir et être vu, on y vient aussi pour le contenu de l’assiette. De nombreuses associations ne s’y trompent pas qui viennent y côtoyer la clique politique pour festoyer en toute convivialité, comme par exemple le « Club des Amis du Cochon ». Des agapes maçonniques s’y tiennent aussi régulièrement.
Je me suis même laissé dire que le lieu fait tellement partie du patrimoine français qu’il aurait inspiré Louis de Funès pour l’écriture du scénario de son film « Le Grand Restaurant » !
Informations pratiques
Chez Françoise – Aérogare des Invalides – 75007 Paris
Ouvert tous les jours de 12 h à 15 h et de 19 h à 23 h
Tél. 01 47 05 49 03
• • •
Chez Françoise – Aérogare des Invalides – 75007 Paris
Ouvert tous les jours de 12 h à 15 h et de 19 h à 23 h
Tél. 01 47 05 49 03
• • •
Les vins à déguster
• Domaine Jean-Marc Brocard
3, route de Chablis – 89800 Préhy – Tél. 03 86 41 49 00
• Maison Trénel Fils
33 chemin de Buery – 71850 Charnay-les-Mâcon -Tél 03 85 34 48 20 – trenel.fr
Partager