Culture

Cinéma Hommage à Jean-Luc Godard (1930-2022)

Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 14 septembre 2022 

Godard est mort. Si la mort reste toujours « dégueulasse », l’hommage des Tartuffes l’est plus encore. Plutôt que de dresser une statue de Commandeur à celui qui a explosé les codes narratifs du cinéma, ce qu’il n’aurait sûrement pas apprécié, Calisto Dobson souhaite rendre hommage à sa toujours folle modernité. Jean-Luc Godard est au cinéma ce que le Ulysse de James Joyce est à la littérature. Une complexité apparente cousue d’une réalité débordante de simplicité.

En littérature, il y a beaucoup de passé et un peu de futur, mais il n’y a pas de présent.
Au cinéma, il n’y a que du présent qui ne fait que passer.
Jean-Luc Godard

Modernité, le génie donne à ce mot-valise tout son sens.

De la fameuse citation qui vaut manifeste :  « Une histoire doit avoir un début, un milieu et une fin, mais pas nécessairement dans cet ordre”, tirons la substantifique moelle. Faire table rase de la façon de « raconter » avec une caméra. Godard a réussi à montrer que nous pouvons donner du sens à ce qui n’en n’a pas l’air. Qu’en prenant un propos à bras le corps et le cœur, il était possible au sein d’une séquence et tout le long d’un film, de tordre le bras à ce qui nous semble couler de source. Que la fin se retrouve au milieu avec un début éparpillé tout le long d’un puzzle narratif à recomposer en fonction de nos propres éléments de compréhension.

Écrire, tu vois, c’est quand même disparaître un peu.
C’est être derrière quelque chose.
Sauve qui peut (la vie), 1979

Ne pas se fier aux apparences

Jean-Luc Godard est au cinéma ce que le Ulysse de James Joyce est à la littérature. Une complexité apparente cousue d’une réalité débordante de simplicité. Du coup de semonce « À bout de souffle« , tout autant un “poing” final à la formalité narrative, qu’un appel d’air revigorant, à ses dernières réalisations composées de toutes les libertés et dotées d’une maîtrise absolue, il n’aura eu de cesse de remettre systématiquement en cause la façon de discourir avec un film, et de se méfier de la force de l’image, que lui savait dompter !

Au cinéma on ne pense pas.
On est pensé. On organise, on est, on participe par les mains les bras, la manière dont on met une caméra, dont on dit à quelqu’un de faire ceci…
mais on pense assez peu.

Jean-Luc Godard

Comme tous les grands cinéastes, il a toujours su concilier les fondamentaux magiques des premiers vagissements cinématographiques, que ce soit Lumière ou encore Méliès, avec une exigence d’évolution permanente vers une forme absolument dévouée au fond.
Puisant ses premières ressources à l’aune du réalisme poétique et du néo-réalisme le plus formel, Godard réussit à transcender non seulement les genres mais aussi à ouvrir toutes les portes du possible dans la conception d’un film.

On m’accuse de faire des films en franc-tireur. Mais c’est justement pour ça: je pars en reconnaissance.
Un missionnaire, c’est avant tout un explorateur, donc un cinéaste.
Jean-Luc Godard. Cahiers du cinéma.

Sans lui, pas de Huit et demi (Fellini), ni de Blow Up (Antonioni) et encore moins de cinéma indépendant américain. De Cassavetes à Monte Hellman, jusqu’à Tarantino bien sûr, Wes Anderson et tous les autres pour ne citer qu’eux, c’est une longue, très longue ribambelle de faiseurs de films qui lui doivent quelque chose. La fameuse « nouvelle vague » formule due à Françoise Girod, et son véritable acte de naissance – la fuite en avant de Michel Poiccard – aura redéfini tous les contours du cinéma mondial. Rien que ça.

Des Rolling Stones immémoriaux dans  One+One en 1968 rebaptisé Sympathy for the devil, aux Rita Mitsouko dans Soigne ta droite (1987), en passant par l’incarnation du Belmondo de toujours dont Pierrot le fou fait le portrait ultime, à Brigitte Bardot mise à nue au propre et au figuré dans Le Mépris, jusqu’à Johnny et Delon désacralisés (Détective en 1985 et Nouvelle Vague en 1990), Godard a magnifié jusqu’à l’os ceux qu’il a filmés.

Une filmographie au foisonnement ébouriffant

Cette œuvre au sens plein du terme dit bien plus qu’un simple engagement politique (rappelons que Godard eut une prime jeunesse au bord de la délinquance), ou même humaniste mais bien philosophique au sens premier. Toute sa « geste » cinématographique ne dit finalement pas autre chose, liberté de créer. Lorsque la Grèce en faillite économique risque d’imploser, il proposera que des droits d’auteur lui soient versés au titre du “donc” forgé par la dialectique hellénique.

L’Art se retire parce que les hommes n’ont plus besoin de lui.
Jean-Luc Godard, France Culture, A voix nue, 27 novembre 1989.

Il y eut d’abord Méliès et Griffith puis Charlie Chaplin, Orson Welles, Bergman et Godard. Après plus de monstres géniaux, juste de grands cinéastes accouchant de grands. films.

Le cinéma, ce n’est pas une reproduction de la réalité, c’est un oubli de la réalité.
Mais on si enregistre cet oubli, on peut alors se souvenir et peut-être parvenir au réel.

Jean-Luc Godard – Le Monde, 10 juin 2014.

#Calisto Dobson

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