Culture

Comment écrivent les écrivains de Belinda Cannone (Éd. T. Marchaisse) : chacun sa manière

Publié par Anne-Sophie Barreau le 8 mars 2025

(Artistes inspirants)  Belinda Cannone a l’art de jouer collectif. Il y a quelques années, aux côtés de Christian Doumet, elle a dirigé, à partir des contributions d’auteurs complices, la publication du Dictionnaire ‘des mots manquants’ (2016), puis ‘des mots en trop’ (2017) et, ‘des mots parfaits’ (2019) (éditions Thierry Marchaisse).
La voici aujourd’hui qui récidive chez le même éditeur avec Comment écrivent les écrivains, jubilatoire enquête pour Anne-Sophie Barreau dans les coulisses de la création littéraire menée auprès de quinze écrivains, confirmés, tels Emmanuel Carrère, Nathalie Azoulai, Jean-Christophe Bailly ou jeunes, telle Lilia Hassaine… Et propose accompagnés de certains des rencontres pour échanger sur les processus créatifs qui conditionnent l’écriture.

Belinda Cannone,auteure de Comment écrivent les écrivains de Belinda Cannone (Éd. T. Marchaisse) photo Lionel Cannone

Nulla dies sine linea

Quand elle a commencé à écrire, désespérée certains jours par son peu de fécondité,  Belinda Cannone confie qu’elle finissait invariablement par s’effondrer sur un lit. Comique de répétition qui a pris fin lorsqu’elle a pu dompter la peur, celle qui inévitablement tenaille à l’orée d’un livre qu’il faut inventer de « fond en comble », le jour, en l’occurrence, où elle a décidé de ne pas passer une journée sans écrire, Nulla dies sine linea.

Voilà pour elle, mais pour les autres : comment chacun fait-il pour conjurer la peur ?

L’idée la taraudait depuis longtemps d’interroger des écrivains amis sur leurs « rituels, routines, méthodes pour parvenir à écrire ». Chose magistralement faite aujourd’hui avec Comment écrivent les écrivains, lesquels, chevronnés ou plus récemment entrés en écriture, sont au nombre de quinze : Nathalie Azoulai, Jean-Christophe Bailly Miguel Bonnefoy, Emmanuel Carrère, François-Henri Désérable, Jean Echenoz, Jérôme Garcin, Cécile Guilbert, Lilia Hassaine, Marie-Hélène Lafon, Gérard Macé, Nicolas Mathieu, Marie NDiaye, Maria Pourchet et Jean-Pierre Siméon.

Au gré de chapitres aux titres éloquents

« Le vertige du commencement », « l’avant-écrire : carnets, notes, portable », « Au fait, pourquoi avoir commencé un jour ? »…

On se régale en effet tout du long, tour à tour surpris, émus ou amusés en découvrant les stratagèmes mis en place par les uns et les autres.

C’est Emmanuel Carrère qui, parlant de son « fantasme de la régularité », rapporte cette anecdote concernant Flannery O’Connor : « elle se mettait à sa table de telle heure à telle heure, peu importe s’il ne se passait rien, mais elle voulait être là s’il se passait quelque chose. Je rêve du confort psychique qu’on doit en retirer » (l’écrivain au passage est un ami de longue date de l’auteure et s’est déjà confié à elle sur sa méthode d’écriture lors d’une rencontre organisée en 2008 à l’IMEC) ; ou Nicolas Mathieu qui s’oblige à écrire mille mots par jour : « Je me presse le citron pour écrire mes mille mots. Mais en exerçant cette contrainte, des choses se déplient qui sans ça ne seraient pas sorties » ; Marie Ndiaye qui part d’un « songe créateur » lorsqu’elle commence un livre ; ou encore  les poètes Gérard Macé et Jean-Pierre Siméon qui pratiquent l’écriture mentale.

C’est Marie-Hélène Lafon qui, à côté des livres, enseigne avec passion, et bénit cette alternance qui « donne une dynamique d’écriture » ; Jérôme Garcin pour lequel l’écriture est indissociable de l’équitation :

« J’ai constaté qu’écrire et monter allaient pour moi très bien ensemble, et à présent, j’ai besoin de travailler un cheval pour travailler une page, un livre ».

C’est Nathalie Azoulai, écrivaine « SBF » – pour Sans Bureau Fixe – ainsi que la qualifie malicieusement l’auteure, qui écrit dans son canapé; à l’inverse, comme Jean-Christophe Bailly, ou l’auteure elle-même, c’est Cécile Guilbert qui ne pourrait pas se passer de son bureau, et le dorlote, au point qu’elle se demande s’il n’est pas « trop beau », qui dit encore, qu’elle a besoin « d’avoir du dur » sous ses pieds; Miguel Bonnefoy qui regrette de ne pas encore en avoir dit : « Avoir une petite chapelle….je l’appelle toujours « la chapelle ». Ce serait le rêve. » ; Ou encore Maria Pourchet qui « adore l’idée d’en avoir un » !

C’est aussi prendre soin et solliciter le « corps écrivant »

A l’instar de François-Henri Désérable, ancien joueur de hockey sur glace : « J’écris en marchant (…) Je réussis même à débloquer un certain nombre de choses en marchant. En nageant aussi parfois. »

Chez tous, l’utilisation du mot « truc » inspire cette réflexion

« Un truc est sans importance, sans grandeur, sans dignité particulière. Façon euphémistique de parler de l’écriture, de rester humble. Et puis pendant longtemps, pendant le « chantier », le livre n’en est pas un, c’est juste…un truc. Mise à distance, modestie, précaution, tant qu’on est dans le truc, on reste léger. »
Belinda Cannone

Autant que les réponses, c’est leur parfait agencement dans une trame où l’on reconnaît immédiatement la signature de l’auteure de L’Ecriture du désir qui fait tout le sel du livre.

« Je n’ai pas consacré un chapitre à chaque écrivain : leurs voix se tissent constamment à la mienne, composant un essai à la fois polyphonique et personnel »
Belinda Cannone.

Les pages de Comment écrivent les écrivains vibrent ainsi du même élan que celui qui pousse à se lancer dans une entreprise d’écriture toujours incertaine.  Elles vibrent tout autant du climat de confiance et de connivence qui a présidé à chaque entretien : « tu le sais, toi, Belinda ».

Heureux lecteurs qui, après l’auteure, bénéficient de ces confidences.

À la fin de Comment écrivent les écrivains, le lecteur, écrit Belinda Cannone, « ne saura pas à quoi ça sert d’écrire, encore moins comment écrire, mais juste comment s’y prennent les écrivains pour se mettre en état d’écrire ». On le sait maintenant, pour écrire, ils se mettent dans tous leurs états.

À la fin, c’est toujours l’écriture du désir qui gagne !

Auteur de l'article

Pour suivre Belinda Cannone

Rencontres

  • 11 mars, Librairie de Paris, Place Clichy, Paris: en compagnie de Nathalie AZOULAI, Miguel BONNEFOY, Emmanuel CARRÈRE, François-Henri DÉSÉRABLE, Jérôme GARCIN, Cécile GUILBERT, Gérard MACÉ, Marie NDIAYE, et Maria POURCHET
  • 14 mars, Librairie Maupetit, Marseille,
  • 21 mars, ATENEO VENETO, Venise, en dialogue avec l’écrivain vénitien Andrea MOLESINI
  • 27 mars, IMEC, Abbaye d’Ardenne, en compagnie de Nathalie AZOULAI & Marie NDIAYE
  • 12 avril, Festival du Livre de Paris, Grand Palais, Paris
  • 18 avril, Librairie Mollat, Bordeaux, en compagnie de Lilia HASSAINE
  • 26 avril, Librairie Le Passage, Alençon
  • 23 mai, Salon du Livre d’époque, Caen, en compagnie de ​Lilia HASSAINE​ & François-Henri DÉSÉRABLE

Bibliographie sélective

Chez Stock

chez Gallimard

  • Petit éloge de l’embrassement, Folio, 2021

chez Thierry Marchaisse éditions 

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