Culture

Le carnet de lecture de Gaétan Jarry, chef de l'ensemble Marguerite Louise

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 11 aout
2021

Chef d’orchestre et organiste français, titulaire des orgues de l’église Saint-Gervais à Paris, Gaétan Jarry est le fondateur de l’ensemble et chœur Marguerite Louise. Avec ses complices, il s’est lancé à la recherche du naturel musical du répertoire de la cour de Versailles. Son passionnant programme de Grands Motets de Mondoville et de Rameau, les deux extrêmes de la sensibilité du Grand Siècle ouvre des Rencontres musicales de Vézelay le 19 aout, avant la Chapelle Royale de Versailles, le 10 décembre. L’ensemble Marguerite Louise sera aussi à Sinfonia en Périgord 26 août, et à Fontainebleau 19 septembre 21.

Le refus d’être un autopsiste d’une musique historique

Gaetan Jarry, chef de choeur, organiste, et chef fondateur de l’ensemble Marguerite Louise, Photo Francois Berthier

A tous ceux qui croient la vague baroque ralentit, faute de partitions à découvrir ou d’ensembles pour prendre le flambeau des pionniers et des arpenteurs, l’enthousiasme de Gaétan Jarry apporte un cinglant démenti. Le chef d’orchestre et organiste né en 1986 ne mache pas ses mots pour balayer une recherche d’archéologue : « Même si nous sommes historiquement informés sur les instruments anciens, le style de l’époque, notre démarche est actuelle, et non archéologique. Je dis souvent que je refuse d’être un « autopsiste » de la musique ancienne mais, bien au contraire, mon but est de lui redonner vie ! »

Une double carrière menée tambour battant

« Quand j’étais enfant, je jouais tout le temps au chef d’orchestre. confie volontiers Jarry, assumant une vocation précoce. Je faisais baguette de tout bois, aiguille à tricoter, barre en plastique de Mecano, debout sur un seau de ménage en guise d’estrade, devant la chaîne Hi-Fi…» La trajectoire impeccable de cet enfant de la balle – tout le monde dans sa famille fait de la musique, dans des univers différents – rappelle le parcours de glorieux ainés. A peine bouclé son diplôme licence d’organiste-interprète du CNSM de Paris, une double carrière est menée tambour battant. Organiste à l’église Sainte Jeanne d’Arc de Versailles, il devient en 2016 co-titulaire des Grandes Orgues Historiques de l’église Saint Gervais à Paris.

Coté chef de chœur, il dirige la Maîtrise des Petits Chanteurs de Saint-François de Versailles de 2010 à 2017.

Avant tout des musiciens de notre siècle

L’ensemble et choeur Marguerite Louise lancé à la recherche du naturel musical du Grand Siécle. Photo Franz Griers

L’ambition de valoriser son répertoire et imprimer sa marque prend forme avec la création de l’ensemble Marguerite Louise, et comme toujours la dénomination ici une définit autant un champ d’actions qu’un manifeste de correspondances : « Marguerite-Louise Couperin (1676-1728), cousine de François Couperin, était une chanteuse extrêmement réputée pour la beauté et la pureté de sa voix. Sa voix inspirait notamment Couperin à écrire pour elle dans un style extrêmement moderne, voire inédit pour l’époque. À vingt ans, Marguerite Louise était une véritable star de la musique sacrée à la cour de Versailles. Elle est l’une des premières femmes à avoir chanté à la tribune de la Chapelle royale, un privilège autrefois réservé aux petits pages ou aux castrats venus d’Italie. C’était une petite révolution féminine ! »

Ports d’attaches et de conquêtes

Fière de cette identité d’ « égérie pop du Grand Siècle », la formation n’attend pas pour se lancer dans la conquête du répertoire français – musique sacrée, de musique de chambre et d’opéra – du XVIIe et XVIIIe. Elle s’appuie sur deux ports d’attache bienveillants chargés d’histoire ; l’église Saint Gervais – Saint Protais à Paris, dont l’orgue fut tenu par la dynastie des Couperin père (Louis) et fils (François), et le Château de Versailles (Spectacle) qui lui ouvre sa Chapelle et son Opéra Royal, les lieux mêmes où s’illustrait Marguerite Louise Couperin, l’une des premières femmes admises à y chanter qui y brillait « avec une grande légèreté et un goût merveilleux » (Titon du Tillet).

 Une gourmandise inextinguible de sonorités naturelles 

Au regard de leur discographie d’une demi-douzaine de titres, et de leur intense production, rien n’arrête Gaétan et ses complices, et avec un vrai bonheur de sonorités ils multiplient les hauts faits vocaux :  des Motets de Charpentier aux Grands Motets de Rameau, des fêtes de Versailles aux comédies de Molière-Lully,… Spectacle après spectacle, l’ensemble Marguerite Louise donne de nouvelles couleurs à un répertoire qui mérite sans cesse un nouveau sang. L’esprit de pionnier des Malgoire, Herreweghe, Gardiner, Rousset, … fait place à celui des coloristes et des orfèvres de l’intensité et de la précision. Leur lecture éclairante, s’appuie sur une forte récitation du texte et une scansion rythmique sculpte le raffinement avec un je ne sais quoi d’intime, loin des cérémoniales amidonnés.

Le meurtre du Père

Avec son remarquable spectacle et enregistrement de l’opéra de Charpentier Les Arts Florissants, l’ensemble Marguerite Louise rompt toutes les amarres pour plonger dans la grande histoire du mouvement baroque. En effet, Les Arts Florissants, c’est aussi le nom du mythique ensemble de William Christie crée en 1975.

Avec cette analyse fine et pertinente qui kle caractérise, Gaétan reconnait sa dette et l’aiguillon qu’a apporté son aine : « Dans ma famille, tout le monde fait de la musique, dans des univers différents. Il se trouve que mon père a pour cousine Agnès Mellon, qui était la soprano fétiche de William Christie dans les années 1980, grande époque du renouveau baroque. Nous avions donc beaucoup de ses CD dans la discothèque familiale, dont celui des Arts Florissants de Charpentier dans l’emblématique version des Art Florissants eux-mêmes ! J’en adorais l’ouverture. Et lorsque j’entendais la voix d’Agnès Mellon, naturelle, authentique, j’avais des frissons extraordinaires. C’est par ce disque que je suis entré dans la musique ancienne. C’est en quelque sorte ma madeleine de Proust. Cette œuvre me poursuit dans la recherche du naturel musical que nous cultivons avec Marguerite Louise. »

Des Grands motets contrastés

Ce que dit Gaétan Jarry de programme de Grands Motets commande des Rencontres Musicales de Vézelay qui ouvre le 16 aout l’édition 2021, met finement en regard les œuvres de Rameau et Mondonville, deux compositeurs contemporains, écrites à des moments très différents de leur carrière, et rappelle les enjeux de sa démarche : « Rameau, que l’on connaît surtout pour ses grands opéras, a pourtant consacré l’essentiel de sa vie à la musique sacrée. Quand il écrit ses motets, Quam dilecta tabernacula et In convertendo Dominus, Rameau ne cherche pas la grandiloquence, les effets : ces œuvres, assez austères, empreintes de spiritualité, sont avant tout celles d’un compositeur liturgique. Et cependant, harmoniquement, musicalement, on y retrouve les surprises et déjà certaines lignes sublimes que cet immense novateur nous réservera, des années plus tard, dans ses opéras. À contrario, les motets de MondonvilleDominus Regnavit et In exitu Israel, sont emblématiques du XVIIIe siècle, du siècle des Lumières. Ce sont des œuvres extrêmement théâtrales, pleines d’effets, d’une intensité incroyable, conçues par un musicien extravagant : de la musique de concert avant d’être une musique écrite pour la messe. Les motets de Rameau et de Mondonville, c’est en quelque sorte la spiritualité versus le spectacle. Ils sont souvent joués ensemble, car avant d’être très complémentaires, ces motets font probablement partie des chefs-d’œuvre les plus aboutis du genre. »
Cet enthousiasme communicatif entretient un nouvel élan pour une musique qui reste, génération après génération de chefs passionnés, toujours actuelle tant elle conjugue le spirituel avec une profonde sensibilité du message humain et sacré de magnifiques chefs d’oeuvres.

Carnet de lecture de Gaetan Jarry, ensemble Marguerite Louise

Un livre… Fascinante. Gloire de mon Père de Marcel Pagnol, je lis et relis sans cesse n’importe quel passage, ému par la beauté des mots et leur simplicité. Chaque souvenir, chaque petite scène de vie quotidienne trouve une substance extraordinaire sous le regard intact du grand enfant qu’était Marcel Pagnol.
Lorsque j’étais moi-même enfant, je regardais en boucle le film d’Yves Robert (extrêmement fidèle au roman), dont je connais encore par cœur la moindre tirade. Ce chef d’œuvre est tellement encré dans ma vie que j’ai souvent l’impression que l’oncle Jules, la tante Rose, Augustine ou Joseph font partie de ma famille !

Un film… Huit Femmes de François Ozon. Sur fond d’histoires de famille, d’enquête policière, de comédie musicale, ce film m’a profondément marqué non pas forcément par l’extrême richesse de son intrigue (il s’agit de l’adaptation d’une pièce de théâtre de Robert Thomas), mais par l’immense acuité d’Ozon à restituer des ambiances, comme ici l’atmosphère feutrée d’une maison de famille dans l’indescriptible torpeur des fêtes de fin d’année. Le poids des secrets, le tempérament très subversif des personnages, tous associés à une couleur tels des pions dans un jeu de société, admirablement incarnés par Ardant, Ledoyen, Béart, Huppert, Deneuve… font de ce huis clos (pourtant assez malsain !) l’un des films les plus délicieux que je puisse connaitre.

 

Un disque… You must believe in spring, de l’immense pianiste de jazz Bill Evans. Ce disque est probablement l’une de mes plus attachantes madeleines de Proust, indéfectiblement liée aux heures passées quand j’étais enfant, à refaire le monde avec mon frère dans notre grenier. Je ne fume pas, ou très occasionnellement ; mais lorsque j’écoute la Valse pour Elaine (plage 1 du disque), je ressens une irrépressible envie de cigarette, de fumée, de nuit, de ville illuminée contemplée depuis une fenêtre de toit.

https://youtu.be/zWBpVYR406E

Une série… Encore pour cette ambiance de moquette… en fait c’est ce que je préfère ! Mad Men : Formidable série américaine retraçant les ascensions (sociales, professionnelles et personnelles) et les chutes multiples de l’impénétrable Don Draper, publicitaire charismatique new-yorkais dans les années 60’. Cette série est volontairement lente, et c’est ce qui en fait tout son charme ! Dans des vapeurs de whisky, quasiment toujours à la bouche des protagonistes, la centaine d’épisodes propose une extraordinaire description sociale des Etats-Unis entre la fin des années 50’ et le début des années 70’. Quelque chose d’hypnotisant lorsque l’on ne recherche pas d’action !!

 

Un coffret de cassettes audio ! Bach à l’usage des dimanches, par Michel Chapuis. C’est là que tout a commencé ! Ce vieux coffret de 6 cassettes issu de la première intégrale Bach de l’organiste Michel Chapuis fut peut-être mon tout premier vecteur d’émotion musicale. Je l’écoutais sur un vieux walkman jusqu’à en user la bande. La première cassette commençait par le choral Schübler « Kommst du nun, Jesu, vom Himmel herunter » BWV 650. Je découvrais alors le feu de Michel Chapuis, son rapport instinctif et très direct à l’instrument. Sa manière inimitable de faire sonner un orgue m’offrit ma première rencontre intime avec l’œuvre de Bach et je pense que c’est le point de bascule de ma vie !

 

Une partition… Encore du Bach… Presque comme un « grigri » je me sépare très rarement de ma partition des chorals de Leipzig de Jean-Sébastien Bach (vol.7 chez Breitkopf pour les intimes!), précieux objet de mon adolescence, recouvert maintes et maintes fois par ma chère maman, et surtout largement annotée par mon très cher maître Frédéric Desenclos qui me fit don de l’ineffable passion que je nourrie chaque jour à l’égard de cette musique extraordinaire.

Une saga… La Saga Malaussène de Daniel Pennac, où la dernière fois que j’ai ressenti l’impossibilité de mettre un terme à une lecture. Conseillé par l’un de mes meilleurs amis il y a une quinzaine d’années, c’est sans grande conviction que je pénétrai ce cycle romanesque des aventures de Benjamin Malaussène (bouc-émissaire professionnel !!) et de sa famille.
J’ai été littéralement happé par la magie de Pennac, celle de procéder d’un langage populaire pour façonner la plus prodigieuse musique des mots.  » _Dis voir, Ben, est-ce que tu pourrais me dire pourquoi cette saloperie de participe passé s’accorde avec ce connard de C.O.D. quand il est placé avant cet enfoiré d’auxiliaire être ? _ »Avoir », Jérémy, devant l’auxiliaire « avoir ».  » (Au bonheur des Ogres, le premier volet !)

Pour suivre Gaétan Jarry et l’ensemble Marguerite Louise

Prochains rendez vous

Discographie

  • 2015, Charpentier, Motets pour une Princesse (L’Encelade),
  • 2017, Charpentier, Les Arts Florissans, label Château de Versailles Spectacles (CVS)
  • 2019, Noëls Baroques à Versailles, enregistré aux Grandes Orgues de la Chapelle Royale de Versailles, en collaboration avec les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, label CVS
  • 2019, Lully, De Lalande, La Messe du Roi Soleil grands motets royaux, label CVS
  • 2020, Lully/Molière, George Dandin et La Grotte de Versailles, label CVS

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture de Florentine Mulsant, compositrice

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Hanna Salzenstein, violoncelliste, E il Violoncello suonò (Mirare)

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Emmanuel Coppey, violoniste, PYMS Quartet

Voir l'article

Le carnet de lecture de Catherine Soullard, romancière et critique de cinéma

Voir l'article