Culture

Le carnet de lecture d' Axia Marinescu, pianiste

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 janvier 2022

Après deux enregistrements remarqués dédiés à Mozart et Schumann, Axia Marinescu met sa dextérité inspirée au service de huit compositrices françaises, d’Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) à Sophie Lacaze (1963-). Partageant leur liberté d’esprit et de pensée, la pianiste les relie à travers les siècles par les rythmes de la danse. « Les femmes dansent » (cd Klarthe) est aussi le programme de son récital à la Salle Gaveau le 30 janvier.

Un voyage musical à travers les siècles, guidé par les femmes qui dansent

« Curieux comme en peinture et en littérature les femmes excellent. Mais en musique ? Comment expliquer qu’on ne puisse citer une seule femme qui soit l’égale de Bach ou de Beethoven ? » constate la violoniste et soliste internationale Marina Chiche, dans son très remarquable « Musiciennes de légende. De l’ombre à la lumière » (France Musique et First Editions).

A sa manière, subtile et aérienne, Axia Marinescu signe elle aussi avec « Les femmes dansent » (cd Klarthe) un fervent « exercice de justice » autant que d’admiration pour celles qu’elle désignent comme des « personnalités musicales et humaines d’exception ».

Dans le livret qui accompagne le cd, la pianiste française d’origine roumaine croque en quelques mots ce qu’elle trouve ou doit à chacune : « Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729), l’une des compositrices les plus célèbres à la Cour de Louis XIV qui ouvre le chemin du développement de la danse comme forme et style musicaux ». Louise Farrenc (1804-1875) « créatrice prodigieuse et innovante », Pauline Viardot (1821-1910) « artiste pétillante à la personnalité polyvalente », Marie Jaëll ((1846-1925) « magnifique pianiste qui a fait de précieuses recherches et découvertes, notamment dans le domaine de la technique pianistique », Cécile Chaminade (1857-1944) musicienne originale et débordante, Mel Bonis (1858-1937) – l’une des figures les plus intéressantes de par sa profondeur de cœur et son sens musical, Germaine Tailleferre (1892-1983) « au tempérament courageux et original » et Sophie Lacaze (1963-) compositrice contemporaine solaire, dont la Tarentelle est enregistrée en première sur ce CD ».

Son subtil dialogue entre ces femmes compositrices, « dans un monde où elles faisaient souvent note à part » s’étoffe à travers la danse – de la Tarentelle, aux Valses, Mélancolique, Brillante ou Espagnole – et révèle un patrimoine riche, original et de grande valeur artistique. Pour la pianiste, « toutes incarnent la liberté d’esprit et de pensée et se sont faites remarquer dans le temps, par l’osmose de la force de caractère et de la douceur ». Cette osmose se retrouve aussi dans le jeu  d’Axia dont la passion pour la danse, qu’elle pratique régulièrement fait vivre à merveille ses condensés de vie et de caractère.

Un programme sensible et intime

Axia Marinescu dévoile beaucoup d’elle même dans son programme Les femmes dansent

Si ce disque libère une aura captivante, c’est qu’Axia y a mis beaucoup d’elle-même dans cette anthologie du geste libre. La diplômé en philosophie de l’Université de Paris trouve les mots justes et intimes pour éclairer ce que vit l’auditeur. « La musique française de danse pour piano ou instruments à claviers occupe pour moi une place tout à fait particulière dans l’histoire de la musique (…) La danse française se distingue parmi les autres danses européennes par la finesse, la subtilité, la grâce et l’élégance, mais aussi par une force à la fois bienveillante et imposante.
J’ai retrouvé dans l’expression de ces qualités, les valeurs qui m’attachent à la France depuis tant d’années et qui en ont fait ma maison et mon port d’ancrage dans la vie. Mais cela exprime avant tout, à mon sens, des valeurs incarnées éminemment par la figure de la femme, comme illustration d’une force douce et intime qui meut les choses depuis leurs profondeurs.
»

Le carnet de lecture d’Axia Marinescu

J’ai une relation très particulière avec mes coups de cœur, qu’ils soient musicaux, littéraires ou visuels. Et cela prouve le caractère ineffable et en quelque sorte permanent de la beauté, dont on ne peut pas s’en lasser, même avec le passage inéluctable du temps.

Mozart, Concerto pour piano no. 23 KV 488, Samson François, Victor Desarzens, Orchestre de chambre de Lausanne, Claves Records. Mozart a été et il le reste encore, la quintessence de la musique pour moi. Son inspiration, son originalité, son aisance, et à la fois sa complexité se fondent toutes dans une clarté de la pensée qui est propre aux plus grands et aux plus vrais. J’ai toujours trouvé que la capacité de rendre les profondeurs de la vie dans des idées simples et claires, relève non seulement d’une intelligence hors du commun, mais aussi d’une intuition de génie. Cet enregistrement m’a accompagnée quand j’ai travaillé pour la première fois le 23e Concerto. J’avais 11 ans et j’allais le jouer dans quelques mois avec l’Orchestre de la Radio de Bucarest. Cela a été un merveilleux enseignement pour l’enfant que j’étais à l’époque. J’ai découvert récemment la version de Samson François qui m’a charmée sur le coup et m’a apporté un brin de fraîcheur pétillante dans ma mémoire discographique.

Brahms – Klavierstücke op.118, Radu Lupu, Decca. Ce florilège de morceaux écrits par Brahms à la fin de sa vie, fait partie de mon panthéon musical. Il y a dans ces pièces un sentiment profond, je dirais presque métaphysique, d’une autre dimension du vécu. On a l’impression que la musique nous transporte sans aucune autre interface, directement dans un paradis sonore de la tendresse infinie. Il y a tellement de fragilité et de bonté dans ce testament musical que Brahms nous a laissé. Connaisseur ou pas, on ne peut pas rester sans émotion devant cette musique. Je trouve que Radu Lupu surprend par la vérité de son toucher, mais aussi par sa sensibilité pure et sincère l’essence même de ces pièces, ô combien subtiles et raffinées.

Danse. Le Tango dans les milongas de Buenos Aires et Coppélia (Opéra de Bucarest dans mon enfance). Je n’aime regarder la danse qu’à travers le spectacle vivant. L’énergie et la plastique du mouvement qui explosent sur scène où dans une banale milonga, sont pour moi irremplaçables. C’est une effusion de sens et de bonheur à la fois, de joie et d’empathie. Les danseurs s’unissent dans une étreinte inconditionnelle, emportés par un flux qui vient décidément d’ailleurs. J’ai une véritable passion à regarder les danseurs même avant le spectacle, quand ils répètent. La quête du geste, de son adéquation à la musique, je la retrouve dans le travail du pianiste qui doit adapter ses mouvements pour obtenir le bon geste technique et pouvoir exprimer en fin de compte l’ineffable du phrasé musical.

La technique des musiciens, comme le geste du danseur, est le résultat d’une pensée artistique juste et non l’inverse.

Tarkovsky – Stalker. J’avais lu il y a quelques années un livre que Tarkovski lui-même avait écrit. Il s’appelle Le temps scellé et raconte très intimement la démarche artistique du réalisateur. L’une de ses idées phares qui me tient particulièrement à cœur, car elle recoupe ma vision sur l’art en général, c’est l’importance que Tarkovski donne à l’amour comme définition de l’art.

« J’ai essayé à travers mes films de rendre visible la capacité d’aimer de chacun d’entre nous », disait-il.

Or, pour moi, ce film illustre par sa pureté de la pensée, des couleurs, de la photographie, de la musique et rythmicité des images, une sensibilité profonde qui jaillit d’un amour inconditionnel envers l’être humain et la vie. Au-delà de tout cela, le pouvoir d’évocation des symboles que le réalisateur a mis en œuvre, est tout simplement époustouflant.

Platon – Phèdre (dialogue). L’un de mes dialogues préférés de Platon, Phèdre a été le texte qui m’a ouvert la voie et m’a guidée pendant mes études de philosophie. Je le connais depuis des années, mais je ressens toujours le même plaisir de le relire et lui trouver à chaque fois tant de beauté cachée, tellement évidente à la fois. C’est également l’un des premiers écrits qui a proclamé la naissance de ce que plus tard est devenue l’esthétique, comme discipline qui étudie le Beau, en tant que partie intégrante des principales valeurs de la vie. J’aime toujours penser que la philosophie représente une forme de beauté aussi, et non pas seulement un processus rationnel, stérile et scolaire. La philosophie est, elle aussi, passionnante.

Ant last but not the least: La peinture dans tous ses états
J’adore la peinture ! En partant de la peinture byzantine avec ses formes plates, aérées, sans perspective, pour arriver à l’art direct, puissant qui impacte par le charnel des formes et des couleurs. Je suis une inconditionnelle des musées partout dans le monde, il me semble qu’ils sont des étiquettes incontournables d’une ville, d’une civilisation…

Pour suivre Axia Marinescu

le site d’Axia Marinescu

Agenda

30 janvier 22, Salle Gaveau, récital Les femmes dansent

Partager

Articles similaires

Trois questions à Pascal Amoyel sur Chopin, Une leçon de piano de Chopin (Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi, comédienne, Le Radeau de la Méduse

Voir l'article

Une leçon avec Chopin transcende Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de Lecture de Caroline Rainette, auteure et comédienne, Alice Guy, Mademoiselle Cinéma

Voir l'article