Culture
Dennis Morris, Music + Life, de Marley aux Sex Pistols (MEP – Thames & Hudson)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 19 février 2025
Dennis Morris est l’un des plus grands photographes de la musique et de la culture pop noire. « Music + Life », au MEP jusqu’au 18 mai 2025 et le catalogue Thames & Hudson retracent l’ensemble d’une carrière où la passion pour la musique et la photographie est intimement mélée. Des premières images dans son quartier d’Hackney à Londres jusqu’aux clichés iconiques des Sex Pistols, sans oublier sa rencontre déterminante avec Bob Marley, le photographe anglais a la faculté de capter l’âme de ses sujets, constate Baptiste Le Guay, qu’ils soient inconnus ou des légendes de la musique.
Growing up Black
A 4 ans, Dennis Morris émigre depuis sa Jamaïque natale au début des années 1960 pour Hackney, dans le nord-est Londonien. Il fait partie de la génération Windrush, un terme provenant du HMT Empire Windrush, nom porté par le navire qui transportait les premiers grands groupes de migrants caribéens vers la Grande Bretagne. Ces immigrés arrivent entre 1948 et 1970, notamment pour participer à la reconstruction d’un pays très abîmé après la Seconde Guerre Mondiale.
En fait, j’étais très timide, mais avec un appareil photo à la main, je me sentais intouchable, c’est pourquoi, je pense, j’ai pu passer la porte des gens et les mettre à l’aise. On trouve toujours un moyen d’être invisible.
Dennis Morris

Three Kettles, Hackney, 1972, Dennis Morris, photo Baptiste Le Guay
La photographie devient une révélation
Le jeune Dennis brosse ainsi le portrait d’une diaspora noire qui subit discrimination, pauvreté, racisme et la difficulté de l’assimilation culturelle. Le Windrush symbolise le début d’un combat lancé par la communauté afro-caribéenne pour parvenir à l’égalité et l’intégration.
“A chaque étage d’une maison, il y avait trois ou quatre chambres, avec une famille dans chaque chambre et une cuisinière commune sur le palier. Si vous aviez le malheur de ne pas être le premier à la cuisinière, vous commenciez à cuisiner dans votre chambre, sur le poêle à pétrole… […] Il y avait souvent des incendies quand les enfants renversaient le poêle ».
Dennis Morris
Ses premières images capte les conditions de vie difficiles des habitants de son quartier, même si ces derniers restent dignes et fiers malgré un quotidien morose.

Car Boot Conversation, Hackney, London, 1976, Dennis Morris, photo Baptiste Le Guay
La rencontre d’une vie avec Bob Marley
Alors que Morris est encore au lycée, sa carrière décolle grâce à une rencontre déterminante, bouleversant sa vie pour toujours.

Car Boot Conversation, Hackney, London, 1976, Dennis Morris, photo Baptiste Le Guay
En 1973, il sèche les cours pour aller voir Bob Marley et les Waillers, dans leur tournée Catch a Fire et surtout attendre toute la journée devant le Speakeasy Club pour tenter de photographier son idole : « Ils sont enfin arrivés. Je suis allé voir Bob et je lui ai demandé si je pouvais le photographier. Mon accent cockney l’a fait rire et il m’a répondu : ‘Yeah man, viens’ ».
Le courant passe à merveille, Bob Marley lui pose des questions sur sa vie d’ado noir en Angleterre et Morris sur la Jamaïque. Le bon feeling est tel que Bob Marley lui propose de le suivre pendant sa tournée. « Bob s’est juste tourné pour me demander : ‘T’es prêt, Dennis ?’ ‘Prêt !’ j’ai répondu, en prenant une photo. Et l’aventure a commencé ».
Lors de cette tournée en 1973, l’icône du reggae joue ‘seulement’ devant 200 personnes alors que la salle a une capacité de 2000 places, trouvant son public majoritairement dans les communautés caribéennes, et n’a pas encore de notoriété grand public.

Les photos de Morris font les couvertures des magazines Melody Maker, photo Baptiste Le Guay
L’explosion de la notoriété du roi du Reggae
Deux ans plus tard au Lyceum, Morris suit toujours Marley. Sauf que cette fois-ci, les photographes de rock sont présents également.
« Je savais comment Bob évoluait sur scène, je me suis donc placé de manière à obtenir les meilleurs clichés. Après ce concert, tout le monde réclamait des photos de lui, j’en avais des géniales, de ce concert et de celui deux ans auparavant ».
Ses clichés s’affichent sur les couvertures des magazines du NME, de Melody Maker et Time Out. Grâce à ses images, Morris contribue à bâtir la légende de la plus grande star de reggae.

Trenchtown kids Dennis Morris, Music + Life (MEP) photo Baptiste Le Guay
Saisir et construire la légende
Le photographe fait désormais partie de la garde rapprochée de Marley jusqu’à qu’une forme rare de cancer de la peau vienne lui ôter la vie, à l’âge de 36 ans. Pour illustrer la générosité du chanteur, Morris raconte : « A chaque tournée, on s’arrêtait dans un magasin de sports, et il achetait des tas de choses : des dizaines de ballons de foot, de paires de chaussures, de shorts, de maillots et de sacs pour les gamins de Trenchtown, chez lui en Jamaïque. Une foule immense l’attendait toujours à son retour ».
Au-delà de la star et de sa musique, Morris a réussi à capter l’homme en le dévoilant dans ses moments intimes.
L’arrivée du mouvement punk en Angleterre
Son travail sur Bob Marley attire l’attention de John Lydon (Johnny Rotten), fasciné par le reggae. Le jeune photographe va ainsi être désigné pour réaliser les premières photos officielles des Sex Pistols.
« Les années 1970 étaient sombres en Angleterre : chômage élevé, déclin économique. Puis est arrivé le punk et les Sex Pistols : quatre visages de la jeunesse britannique, audacieux et impitoyables. Le punk n’était pas une mode ; c’était un état d’esprit ».

Sex Pistols au Marquee Club, Londres, Dennis Moris, 23 Juillet 1977, photo Baptiste Le Guay
Son style au plus des individus va ainsi documenter l’ascension chaotique d’un groupe légendaire, capturant leurs performances sur scènes sauvages ainsi que leur quotidien plus que débridé.
Parmi ces faits d’armes, la sortie de l’album « Never Mind the Bollocks », interdit dans la plupart des magasins, excepté ceux de Virqin car ils étaient signé chez eux. Leur croisière sur la Tamise pour God save the queen lors du Jubilé et leur projet S.P.O.T.S (Sex Pistols on tour secretly) leur tournée secrète après avoir été banni des salles de concert au Royaume-Uni

Sid & Nancy Dennis Morris, Music + Life (MEP – Thames & Hudson) photo Baptiste Le Guay
La séparation des Sex Pistols, une pilule dure à avaler
Lorsque les Sex Pistols se dissout en 1978, Dennis Morris accompagne le chanteur du groupe John Lydon dans sa transition en l’introduisant aux légendes du dub et du reggae comme Lee Perry et U-Roy lors d’un voyage en Jamaïque.
Des rencontres marquant l’univers de son nouveau groupe où Lydon souhaite effacer l’image punk des Pistols en le baptisant Public Image Limited, évoquant un nom d’entreprise. Un changement brutal s’assimilant au monde corporate et beaucoup moins ‘trash’ et sulfureux qu’avec son groupe précédent.

Dennis Morris, Logo pour l’album Metal Box de PiL, 1979 (MEP – Thames & Hudson)
L’accronyme (Pil) et le logo pour l’album Metal Box de PiL s’inspire d’un cachet d’aspirine, puisque Pil signifie pillule en anglais.
« Tu l’as vu, tu l’as prise, tu es débarrassé de ton mal de tête. Sauf que c’est PiL qui te donne un mal de tête ».
Morris bâtit une identité visuelle audacieuse, présentant Lydon comme une vedette de cinéma. Pour le premier single de PiL, il emballe le disque dans un journal plié, dans le style des tabloïds. Pour First Issue, il s’inspire des magazines glacés avec Lydon ressemblant à un mannequin des éditions italiennes de Vogue.
Capter l’énergie vitale
Artiste polyvalent, Morris exprima non seulement ses propres talents de musicien, mais collabora activement au développment d’une nouvelle scène musicale en concevant des pochettes de disque et en créant l’identité visuelle de certaines des artistes les plus influents de l’époque, de Public Image Ldt ou Marianne Faithfull à Linton Kwesoi Johnson.
Simon Baker (MEP) Shoair Mavlian, commissaires
Dans tous ses clichés, des portraits ou dans sa pratique de la street photography, Morris capte l’énergie vitale des personnes devant son objectif, reflétant leur âme. Cet effet est notamment renforcé par des clichés en noir et blanc ajoutant émotion et caractère à ses personnages, les rendant ainsi plus authentiques et attachants.

Pour suivre Dennis Morris
Dennis Morris, Music + Life
- Jusqu’au 18 mai 2025, MEP (Musée Européen de la photographie), 5/7 rue de Fourcy, Paris 4e – Ouvert de 11h à 20h le mercredi et vendredi. Jeudi de 11h à 22h. Le week-end de 10h à 20h.
- du 27 juin au 21 septembre 2025, Photographers’ Gallery, 16-18 Ramillies Street, London W1F7LW
Catalogue: Thames & Hudson, 270 p., 45 € dirigé par Laurie Hurwitz, couvre l’ensemble de la carrière d’un photographe à la fois acteur et témpoin de la naissance de la culture pop anglaise.
« La musique a été ma passion à plus d’un titre.
En plus de travailler avec Bob Marley, les Sex Pistols, j’ai été producteur, styliste, gérant de club, chanteur. j’ai passé mon temps à couvrir des concerts et tournées promotionnelles et réalisé des commandes pour des agences, des maisons de disques et des magazines, le plus souvent en Agleterre et en France, mais aussi en Asie et plus tard à Los Angeles. C’est comme dans le livre ‘Rencontres avec des hommes remarquables‘ de George Gurdjieff. J’ai vécu tant de situations incroyables.
Cela a été une aventure extraordinaire. »
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