Culture

Disco, I’m coming out (Philharmonie de Paris), une transgression festive ressuscitée

Publié par Baptiste Le Guay le 4 mars 2025

Sous les paillettes, la lutte sociale ! Loin des clichés réducteurs, après le Hip hop, La Philharmonie de Paris retrace jusqu’au 17 aout 25 l’effervescence du Disco, naissant aux Etats-Unis au début des années 1970. Une musique prenant ses racines dans la culture afro-américaine (soul, gospel et funk), mais également propulsée par des avancées technologiques comme le synthétiseur et des DJs précurseurs.
Marion Challier, commissaire associée revient pour
Baptise Le Guay sur cette révolution culturelle transgressive qui prône l’hédonisme et l’égalité des droits des femmes et des homosexuels, d’autant que son influence reste puissante dans les musiques actuelles.

Let’s groove!

Sous l’influence de mouvements activistes noirs américains comme la Black Pride ou Black is beautiful, se réappropriant ses racines et sa fierté à travers l’art (Faith Ringgold) et la musique, des labels tels que Philadelphia International Records ou Motown insufflent un nouvel élan à la Soul music. Aux côtés de ces productions, les chansons nourries de voix rappelant la funk et le gospel, accouplées à des percussions latines et africaines rencontrent un franc succès dans les discothèques, particulièrement celles fréquentés par la communauté gay.

Kwame Brathwaite, Changing time (1973), Carole Prince (1964), Silcolo Brathwaite (1968), photo Baptiste Le Guay

Une double révolution féminine

Baptisée au nom de Disco, cette musique réalisée en majorité par des artistes afro-américains entre 1974 et 1982, sera incarnée par ses chanteuses, les « disco divas ».
En 1972, la pilule contraceptive fait son apparition et même si elle est uniquement réservée aux femmes mariées, en libérant les femmes du resique de grossesse non désiré, le rapport au corps et à la sexualité des femmes s’en trouve bouversé, ouvrant une ère d’hédonisme libérateur.

« Les femmes prennent une grande importance car elles chantent le gospel et la soul, elles ont souvent chanté dans les églises auparavant. Elles sont mises en avant ce qui est fortement liée à l’émergence du féminisme et sa rencontre avec la fierté noire »
Marion Challier, commissaire associée.

Une naissance dans les quartiers noirs américains

Giboulée à travers la fenêtre de la salle de classe, Meryl Meisler, 1982, photo Baptiste Le Guay

A la manière du Hip-Hop, le disco se développe dans les quartiers défavorisés de New-York et de Chicago, gangrénés par la pauvreté et la violence. Victimes de la banqueroute de New-York en 1975, ses quartiers pauvres comme Harlem, le Bronx ou Bushwick sont laissés à l’abandon par les pouvoirs publics.

Le contexte social aspirant à l’égalité des sexes et l’hédonisme agit comme une catharsis auprès des populations marginalisées. L’esthétique de ses fêtes et les paroles de ses chansons reflètent un contexte politique tendu, militant pour les droits civiques des femmes et des homosexuels.

« Les homosexuels se retrouvent dans ces chansons émancipatrices comme ‘I will survive’ de Gloria Gaynor. Les homosexuels étaient passés à tabac sans arrêt, notamment avec les descentes policières dans les bars de New-York ou San Francisco »
Marion Challier.

« I’m Coming out » ou assumer son orientation sexuelle librement

Sit-in devant le Weinstein Hall, 1970 © Diana Jo Davies / The New York Public Library © GLBT, photo Baptiste Le Guay

Dans les années 1960, il était interdit pour les personnes de même sexe de danser ensemble à New-York ainsi que dans de nombreux états américains. Lors d’une descente de police en 1969 au Stonewall Inn, un bar dansant de Greenwich Village peuplé de gays et de travestis, déclenchent de violentes réactions contre les forces de l’ordre. Cet événement symbolise le début du mouvement LGBTQ+, marquant l’apparition de la fierté gay ou « gay pride », réduisant progressivement la répression policière dans les bars et les clubs fréquenté par cette communauté.

« C’est une convergence des luttes, après Stonewall les homosexuels s’organisent concrètement pour revendiquer leurs droits. Il y avait eu des épiphénomènes avant mais cet évènement était une vraie prise de conscience, exhortant les gays à sortir du placard et à s’affirmer »
Marion Challier.

David Mancuso, DJ Disco illustrent cette dynamique : « J’étais à la fois dans la rue et sur la piste de danse. La fête et la politique constituaient alors les deux faces d’un même phénomène ».

Les bars, clubs et saunas, ces nouveaux espaces communautaires

Temple du Disco, Paradise Garage en 1979 Photo Bill Bernstein (Disco, I’m coming out (Philharmonie de Paris)

Suite aux émeutes de Stonewall et au recul des sanctions policières, des bars et des clubs dédiés à la communauté LGBTQ+ vont se développer, en particulier à New-York et San Francisco, considérés comme des refuges où ils peuvent être libres,.

Ces creusets accompagnent l’émergence de nouvelles valeurs : celle d’un rapport hédoniste au corps, à l’identité et au genre, ainsi que des nouveaux codes sexuels.

Les clubs New Yorkais comme le Flamingo, 12 West, Tenth Floor ou Better Days accueillent les premières soirées disco. Au début des années 1980, des discothèques plus imposantes comme The Saint ou Paradise Garage prennent le relais dans ces lieux de fêtes et d’expressions.

Night Fever : le melting pot de la Disco explose à travers le monde

Costumes de gauche à droite, costume Dior porté par Juliette Armanet pour « Le dernier jour du Disco » en 2021, costume porté par Cerrone en 1979, photo Baptiste Le Guay

Dans la seconde moitié des années 1970, la culture se démocratise auprès d’un public plus large, aux USA comme en Europe. Fin 1977, le film « La fièvre du samedi soir », porté par l’emblématique musique des Bee Gees, impose la soirée en discothèque comme le loisir emblématique de l’époque, touchant la société dans son ensemble, des classes populaires à la jet-set.

Une recette efficace fonctionnant grâce aux producteurs et DJ Disco notamment.

« Ils ont inventé le dance floor et la musique pour danser. Mancuso par exemple il avait deux platines avec deux disques identiques pour allonger la durée du morceau »
Marion Challier.

Deux platines Thorens TD 125 et 160, Philarmonie de Paris, photo Baptiste Le Guay

La discothèque, creuset d’utopie libertaire

Une effervescence poussant les discothèques à redoubler d’innovations en termes de scénographie, d’architecture et de technologies pour diffuser son et éclairage de manière vertigineuse. Plongeant la foule dans une utopie libertaire et fantasmatique, boostée par le mélange musique, drogues et sexualité, le dance floor devient un lieu d’émancipation et de réinvention de soi-même.

« Il y a une subversion du bon goût bourgeois, il y a une volonté de rassembler tout le monde, notamment avec les paillettes et le côté queer qui étaient à l’opposé du bon goût de l’époque ».
Marion Challier.

Une nouvelle liberté de comportement et de mouvement où la danse individuelle supplante les danses de couples, jusqu’à devenir (malheureusement) la norme aujourd’hui.

Le Sida et l’élection de Ronald Reagan éteint l’effervescence du Disco

Disco Demolition night, Hernan Bas, 2022, The museum of fine arts, Houston, photo Baptiste Le Guay

En 1979, la surexploitation américaine du phénomène disco par les labels, les médias et le merchandising finit par lasser le public. Perçu comme superficiel et associé aux minorités noires et gay, il provoque dans une partie du public et de l’industrie musical un mouvement de rejet. S’incarnant à travers le slogan « Disco Sucks », la contestation Disco atteint son point culminant avec la « Demolition Night » le 12 juillet à Chicago.

Une sombre performance dégénère en émeute et autodafé de disques disco, cet acte est considéré comme la manifestation raciste de jeunes blancs rejetant une musique issue des minorités noires et homosexuelles.

Safe Sex et Ignorance = Fear/Silence = Death/ Fighting Aids Act up, 1989, Keith Haring, photo Baptiste Le Guay

Retour de l’ordre moral

Le rejet s’amplifie avec le mouvement conservateur conforté par l’élection de Ronald Reagan en 1980. Au même moment, l’épidémie du Sida décime une partie des artistes disco ainsi que leur public, indissociable de l’histoire du mouvement LGBTQ+.

La culture progressive et transgressive préfigurant la culture queer actuelle et les questionnements brûlants qui y sont associés fait muter le son à travers le courant électronique et underground de la Hi-NRG, plébiscité par la communauté gay pour qui cette musique incarne toujours une résilience face aux ravages de la maladie.

Le Disco n’a jamais vraiment cessé d’exister.

« La Disco invente tout le vocabulaire esthétique de la musique populaire, le mix, le remix, la puissance des basses et le rapport à la danse individuelle »
Marion Challier.

La réussite de cette exposition tient à sa promesse tenue, jouer des paillettes plutot immersif avec une playslist efficace pour le coté festif, valoriser l’utopie égalitaire pour souligner l’importance d’un temps musical qui a forgé en profondeur la pop culture actuelle.

Pour aller plus loin sur le disco

Jusqu’au 17 août 2025, Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès, Paris 19,
ouvert du mardi au jeudi de 12h à 19h, vendredi ouvert de 12h à 21h, samedi 10h à 21h, dimanche 10h à 19h.

Catalogue, Disco. I’m Coming Out, dirigé par Patrick Thevenin, Éditions de la Philharmonie/Éditions de La Martinière, 224 p.39.90€ Ce beaux-livre approfondit les ressorts de la dernière utopie du XXe siècle, aussi festive que militante. Genre musical aux multiples facettes, qui plonge ses racines dans les cultures africaines-américaines, le disco est devenu une dynamique mondiale au cœur de la culture pop. De son émergence dans les clubs noirs et gay de New York à son explosion populaire au milieu des années 1970, jusqu’à l’apparition de l’épidémie de sida et au retour moral incarné par Ronald Reagan, l’ouvrage célèbre la fulgurance et les bouleversements collectifs et intimesde l’ère disco.

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