Culture
DIVA, des cantatrices d’opéra aux pop stars (Khunsthal Rotterdam)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 17 février 2025
Finie la diva ? En remontant au XIXème siècle l’adulation des déesses d’opéra, le Khunsthal à Rotterdam explore jusqu’au 2 mars 25 les nombreuses significations que ces « Diva » incarnent au cours de l’histoire : de Maria Callas à Billie Eilish, en passant par Joséphine Baker, Rihanna, Lady Gaga et Björk, … Souvent invisibilisées comme artistes, les femmes sont adulées comme interprètes défiant l’ordre établi masculin par leur culot et leur détermination à transcender leur condition de genre, contribuant pour Baptiste Le Guay, par leurs excès en tous genres, à l’évolution des mentalités.

Maria Callas, La Traviata, 1958 Photo Houston Rogers DIVA (Khunsthal Rotterdam)
Divinisation et humanisation
« Le sauvage adore des idoles de bois et de pierre, l’homme civilisé des idoles, l’homme civilisé des idoles de chair et de sang« . La formule de George Bernard Shaw résume l’ambition de cette exposition à la fois pédagogique et ludique. Elle rassemble près d’une centaine d’artefacts pour illustrer cette nouvelle religion dans une société sécularisée qui s’exprime de la scène à l’écran, et dans son firmament, un culte quasi sacré.
« L’histroire des stars recommence à sa mesure l’histoire des dieux »
Edgar Morin, ‘Les Stars‘ paru en 1957.

Ellen Terry, actrice 1847-1928 costume de la production de Much Ado about nothing, 1891,Théâtre Lyceum photo Baptiste Le Guay
Des déesses sur scène
A la fin du XIXème siècle, la fascination pour les divas (chanteuses d’opéra et actrices) atteint une proportion spectaculaire: elles sont vénérées comme des véritables déesses sur scène.
Phénomène d’autant plus paradoxal, que les femmes artistes subissent un ostracisme autant juridique qu’artistique. Les interprètes étaient les seules capables de transcender les limitations liées à leur genre, notamment grâce à une indépendance financière chèrement gagnées.
En contrepartie, ces vedettes étaient souvent tenues à l’écart de la société dite « respectable ».
Malgré ces préjugés, les Diva étaient les premières à combattre ces clichés leur collant à la peau, notamment en adoptant des rôles puissants pour améliorer leur position sociale et leur image.

Tenue de performeuse, Kunsthal Museum, photo Baptiste Le Guay
L’avènement des danseuses et des performeuses
Au début du XXème siècle, une nouvelle génération de diva balaya la planète, profitant de la démultiplication des médias. Grâce à un engouement pour le spectacle et une accessibilité à des nouveaux endroits artistiques, ainsi qu’un changement de perspective sur les femmes, les performeuses ont pu accéder à un plus grand niveau de notoriété.
Du ballet classique au burlesque
Les nouvelles danses et la multiplication des divertissements ont permis aux femmes de faire carrière en tant que danseuses, performeuses ou chanteuses de vaudeville… Dans les normes patriarchales de l’époque, ces artistes adulées restent encore des phénomènes en marge de la « bonne » société.
Joséphine Baker, une danseuse bouleversant les droits civiques
Les performeuses anonymes qui étaient sous le regard critique masculin avaient rarement le droit d’avoir une liberté créative. Par la suite, Joséphine Baker apparaît sur scène et utilise sa popularité pour combattre le racisme et le sexisme, devenant une inspiration pour les générations suivantes.
Cette dernière débute sa carrière dans les comédies musicales, réussissant à bouleverser le regard sur les performeuses et devenir connu à l’étranger. Combattant le racisme et l’hypocrisie, elle était une ambassadrice de la tolérance, montrant que la danse pouvait être également un acte politique.
« Je n’ai jamais pris le chemin facile, toujours le difficile. Mais quand je l’ai pris, je voulais le rendre plus facile pour celles qui me suivaient »
Joséphine Baker

Costumes Hollywoodiens, Diva Kunsthal Museum, photo Baptiste Le Guay
Le système hollywoodien impose ses standards
Lorsque le cinéma muet grandit en popularité, de nombreuses divas décident de passer de la scène au grand écran. Leur nouveau rôle a un impact énorme sur la perception du public car les producteurs et réalisateurs construisent leurs films autour de la personnalité de leurs protagonistes principaux. Dans cette nouvelle forme artistique, les divas ont un rôle central, mais silencieux et souvent caricaturale, jouant soit une femme fatale irrésistible ou la douce bien aimée.
Les studios hollywoodiens fabriquent ou brisent la diva
Intégrer la liturgie écrite par les studios n’est pas sans risque. A coté de l’art de faire un film, se substitue l’art de faire une star. Avec son firmament et ses chutes d’ange, répondant à une codification maitrisée avec ses chapelles, ses reliques, et ses cérémonies. Malgré ses premiers succès dans les fims muets, Gloria Swanson fût discriminé par son âge à la fin de sa carrière. Bette Davis fût également négligé pour certains rôles car elles ne convenaient pas aux demandes des directeurs de studios.
Une problématique brillamment racontée dans le film The Substance avec Demi More et Margaret Qualley qui aborde la course au « look » et à la jeunesse éternelle. Quite à signer des pactes avec le diable.

Costumes Divas modernes Diva Kunsthal Museum, photo Baptiste Le Guay
La Diva devient une marque
S’appuyant sur les avancèes des générations précédentes, les stars modernes ont ajoutées de nouvelles significations au culte de la Diva. Depuis les années 1960, la diva s’impose dans la culture populaire: les associations négatives ont fait place à des connotations plus positives.
Les divas modernes mises en lumière sont des artistes révolutionnaires qui ont contribuées à casser le racisme institutionnel et changer les standards de l’industrie du divertissement.
La diva féministe
Une génération de femmes se battent toujours contre les limites imposées par la société. A une plus petite échelle, cette lutte pour leur indépendance a eu lieu dans l’industrie musicale, où les artistes féminines ont souvent été exploitées et sous évaluées.

Costumes de Rihanna, Musée Kunsthal, photo Baptiste Le Guay
Aujourd’hui, des superstars comme Beyonce ou Adele continuent ce combat en réussissant leur carrière artistique et financière.
Rihanna est également un formidable exemple de chanteuse qui a réussie à étendre son influence dans le monde des affaires, contrôlant son image et ses choix artistiques.
De plus, elle est parvenue à avoir une influence dans plusieurs disciplines comme l’art, la mode, la cosmétique (Fendy beauty), le cinéma, devenant une business woman imposant sa vision pour modeler son univers.
Marchandise totale et modèle culturel
Être une diva requiert un talent exceptionnel, de l’endurance et du perfectionnisme, mais aussi une équipe travaillant en coulisses pour créer et maintenir le culte d’une personnalité fascinante.
L’image public d’une diva peut prendre de nombreuses formes : des symboles féministes aux icones des LGBTQ+ et des communités drag, ainsi qu’être des dramas queens et des activistes acharnées. Nul doute que pour maintenir ce statut d’icône, un travail colossal et une robustesse mentale sans équivalent sont primordiales.

Amy Whinehouse, costume Musée Kunsthal, photo Baptiste Le Guay
Que signifie l’excès dans le culte de l’extraordinaire ?
Vous avez dit excès ou superlatifs ? Les divas peuvent passer pour trop exigeantes et excessives dans leur comportement et/ou leur style de vie, vu comme des princesses capricieuses et ingrates.
La vraie marque d’une diva reste cependant le degré d’inspiration qu’elle suggère à ses fans, mais également la trace qu’elle laisse sur la culture et la société en général.
Le parcours de cette exposition tient ses promesses notamment grâce au casque qui permet de suivre une playlist musicale au fur et à mesure des étapes de cette ascension des divas et de l’avancée simultanée des droits civiques des femmes.

Pour aller plus loin sur les Divas
Jusqu’au 2 mars 2025, Musée Kunsthal, Museumpark, Westzeedijk 341, 3015 AA Rotterdam, Pays-Bas – Ticket 18 euros pour les adultes, gratuit pour les moins de 18 ans.
Catalogue : en anglais, V&A Publishing 224 p. 38,95€. A travers plus d’une soixantaines de « tenues » et costumes de créateurs – portés par des artistes comme Maria Callas, Josephine Baker, Marilyn Monroe, Tina Turner, Shirley Bassey, Cher, Elton John, Rihanna, Lady Gaga, Björk et Billie Eilish – l’exposition montre comment ces divas ont utilisé leur « aura » pour repousser les limites de leur condition et avoir un impact durable sur la société.
A écouter : Playlist DIVA sur Spotify
A lire
André Segond, Divines divas, Collection Découvertes Gallimard 2002 Déesse de l’art lyrique, la diva fascine. Ce livre retrace la saga des divas d’opéra, les moments d’incertitudes et les heures de gloire de ces femmes aux voix d’exception.
Michel Scheinder, Prima Donna (2001) et Voix du désir (2013), Éditions Buchet-Chastel : Poursuivant son exploration des jeuxarchaïques de l’inconscient dans le répertoire lyrique, entre le sens et le son. Pour ce mélomane, « l’opéra est sexuel de part en part. La voix définit un rôle dans la scénographie du désir et de l’amour, et les quatre tessitures (basse, contralto, ténor, soprano) inscrivent la scène du complexe d’Oedipe aussi sûrement que le jeu des familles : le père, la mère, le fils et la fille« .
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