Voyages

D’une fenêtre à l’autre (III) Et la lumière passe

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 25 février 2025

Carnet d’horizons – D’une fenêtre à l’autre (III) « Il m’est impossible de considérer un tableau autrement que comme une fenêtre ». (André Breton) Et chacun de s’interroger : « …et inversement » ?
Ouvrons la logique plus avant, si toute fenêtre peut être prise pour un tableau, un paysage, un portrait, un nu…  tout porte à le penser, nous convainc Jean de Faultrier au terme de son triptyque du seuil, à l’au-delà de la fenêtre.

Belle-île-en-mer, la fenêtre peut tout montrer, son endroit comme son envers photo © Jean de Faultrier.

Chapitre 3 : Et la lumière passe

Dans un livre aux élans lyriques, Bernard Tirtiaux écrivit en 1993 un premier roman qu’il intitula « Le Passeur de lumière », sous-titré « Nivard de Chassepierre maître verrier ». A ce dernier, alors en quête du vitrail parfait, un mentor expliqua que « jamais tu n’auras assez de couleurs dans tes casiers pour donner vie à un vitrail (…) », ce qui ne découragea pas le compagnon dans sa croisade singulière.

Tirtiaux, maître-verrier lui-même, savait de quoi il parlait, il narrait de façon incantatoire l’inépuisable exploration par les vitraillistes des possibilités de capturer la lumière sur un verre plat dont les motifs seront cousus entre eux par le plomb -un plomb véritablement transformé en or car soulignant, intensifiant même la lumière pénétrante.

Chapelles, abbatiales, basiliques, églises et cathédrales portent les signatures célestes de ceux qui ont approché cette alchimie, les passer en revue nécessiterait des milliers de pages.
Beaucoup d’entre eux ont fusionné avec l’œuvre qu’ils ont accomplie, laissant à l’éternité passagère qui est la nôtre une marque à la fois physique et immatérielle.

L’Abbaye de Conques dans son royaume de verdure © Jean de Faultrier.

Porter les bans en lumière fulgurée des épousailles de l’ombre et du ciel

Ainsi, au sein de l’écrin roman de l’abbatiale de Conques, Pierre Soulages a traduit en lumière fulgurée les épousailles de l’ombre et du ciel.

Le « Message biblique » de Marc Chagall, Musée National Marc Chagall à Nice. photo © Jean de Faultrier.

Ailleurs dans la chapelle du Saillant, Marc Chagall a construit le dialogue de l’homme avec la nature. Les vitraux du « Message biblique » de ce dernier offrent, hors cadre pour ainsi dire parce qu’au centre du musée qui lui est consacré à Nice, une lumière puissante et particulièrement vivante qui embrase l’évocation de la « Genèse » et de l’« Exode ». Il est question de se sentir invité à ne contempler que l’évidence enflammée, le rayonnement traversier en relisant intérieurement ce qui noue le dialogue entre l’humain et Dieu.

A Paris, les fenêtres n’ont pas dit leur dernier mot

Revenons un instant au cœur de Paris et voyons ce que certaines fenêtres de la capitale savent agripper d’une nature que la bétonnisation exponentielle s’attache à dissoudre pour tenter de la proposer au moins verticalisée à défaut de mieux.

Le végétal à l’assaut du mural sous l’œil bienveillant des fenêtres. Paris Varenne photo © Jean de Faultrier.

Dans une élan un rien mystique, il y a du drapé comme un habillage vertueusement colonisateur et cet immeuble du quartier Varenne, qui toise le parc du Musée Rodin afin sans doute de lui démontrer que ce dernier n’a pas le monopole de la verdure résiduelle, se laisse gagner par des assauts végétaux ascensionnels qu’il agrémente dcouleurs vives, de parfums capiteux tout en prenant le risque de supprimer toute vue depuis les fenêtres dont, après tout, c’était l’objectif initial.

Ne faites pas fuir le chat en ouvrant la fenêtre, Paris musée de Montmartre photo © Jean de Faultrier.

A Paris toujours, laissons-nous tenter par un bucolisme affirmé jusqu’à risquer le trompe-l’œil ou la fausse nouvelle : depuis l’une des fenêtres du musée de Montmartre, entre Jardin Saint Vincent et Jardin Renoir, à qui veut bien se donner la peine de scruter sera offerte la vue d’un matou qui, de son mur inséparateur, jouit de l’air, des senteurs et de la tiédeur dans une posture pastorale et philosophique.

La fenêtre comme reflet de nos vies ? Sans doute.

L’opacité retenant la révélation des intérieurs à confiner visuellement, les baies, croisées, carreaux et autres lucarnes se contentent de réfléchir à la faveur d’un rayon de soleil, d’une heure rasante ou encore d’une humidité pulvérulente tout ce qui nous enveloppe, de répercuter l’apparence de ce qui nous enceint.

Des géométries redéfinies comme des brisures démultipliées rythment chacune au gré de notre regard paresseux un quotidien habitable, nous sommes dans ces maisons et sous ces toitures prismatisées.

Dehors, reflets, Paris 8ème photo © Jean de Faultrier.

Tentons une ultime échappée, sans sauter par la fenêtre pour autant

Une fenêtre par laquelle s’échapper ou se retrouver… Fire Escape, Greenwich Village, New-York Side photo © Jean de Faultrier.

Empruntons l’une des innombrables et originellement salutaires issues de secours que certaines villes ont rendu obligatoire au point d’en faire un objet architectural emblématique, comme à New York. Les façades de Greenwich Village ou Lower East Side exhibent un appareillage protubérant mais travaillé, enchevêtré, forgé, et parfois peint, dont l’utilité s’estompe derrière une esthétique architecturalement intégrée de ce qui au départ n’était qu’un équipement contingent.

De telles issues extérieures aux immeubles ne sont plus obligatoires depuis 1968 et si ces échelles de fuite ont désormais une vocation plutôt photogénique ou cinématographique, elles figurent aussi le paraphe d’une époque et de ses peurs.

On se souvient de l’année 1957 non pas pour ce qu’elle porta d’espérances mais pour les scènes d’un « West Side Story » qui troqua le balcon des Capulet contre une échelle de secours pour permettre aux amants de se voir, de parler et chanter, prolongeant dans le cœur d’un urbain segmenté visuellement les immortelles tragédies ovidiennes ou shakespeariennes.

Jean de Faultrier

Plus de feuillets du Carnet d’horizons

Quelques liens pour ouvrir d’autres fenêtres :

A propos de Bernard Tirtiaux, romancier et maître verrier

« Le Passeur de lumière, Nivard de Chassepierre maître verrier » (Folio, 1995) « «La lumière est diffuse», dit Rosal de Sainte-Croix au jeune Nivard de Chassepierre.

«Elle est fugace, changeante, capricieuse. Elle a toutes les ruses. Jamais tu ne seras satisfait de ton ouvrage, si beau soit-il. Jamais tu n’auras assez de couleurs dans tes casiers pour donner vie à un vitrail comme tu le souhaites, jamais tu n’auras la certitude de colorer juste comme on chante juste. Qu’importe ! Tes pas partent du feu et tu dois atteindre le feu, devenir un maître en ton art.»

« Les Sept couleurs du vent » (1996), son livre très inspiré, épopée lyrique et médiévale sur un artisan-compagnon charpentier qui rêve de « construire et promener de grandes orgues sur terre et sur mer, avec l’espoir secret que les traînées de musique qu’il répandrait de par le monde apaiseraient la folie meurtrière de son temps ».

« Je cherche dans mes livres d’histoire une figure qui te ressemble : un artisan de l’errance, un arpenteur des vents qui, comme toi, s’est battu à coups d’outils pour le triomphe d’un chant d’amour. Ça fait peu de tapage, un chant d’amour. Et même quand il est porté par l’écho, il ne pèse pas trois plumes dans la marche de l’univers… »

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