Voyages

D’une fenêtre à l’autre (II) Etranges fenêtres étrangères

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 2 février 2025

Carnet d’horizons D’une fenêtre à l’autre (II) « Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres » Charles Baudelaire nous inspire maintenant, avec son infini traversant et traversé pour des regards sur le monde de la fenêtre autant que des fenêtres sur le monde. Ces « percements » pourraient être portes, elles en ont les ouvrants, le seuil également. Pourtant le vide qui les tutoie d’en bas leur signifie une détermination sans autre posture possible pour Jean de Faultrier que se tenir dans un état infranchissable.

Chapitre 2 : Etranges fenêtres étrangères

Il faut toujours aimer les mots, ceux qui façonnent notre regard par ce qu’ils évoquent ou parce qu’ils évoquent. Il faut aller avec eux jusqu’à l’extrémité des réalités qu’ils cisèlent. Celui-ci par exemple : Fenêtré
Le Dictionnaire de la langue française Le Robert nous indique que, appliqué à une feuille, ce mot signifie qu’elle est « percée à jour ».
Percée à jour, n’est-ce pas magnifique ? Comme une âme, comme une intention. Tout est dit. Le dictionnaire précise que, parfois, on peut écrire ou dire fenestré. Ah oui, on connaît l’inverse : défenestré. Comme avoir perdu le jour ?

Urbino, Italie, une fenêtre ducale comme un caléidoscope photo © Jean de Faultrier.

Percement

Sao Paulo, des fenêtres sur cour photo © Jean de Faultrier.

L’architecte est en action quand fenêtrer signifie (selon le même dictionnaire) « pourvoir de fenêtres en les perçant ou en les équipant », il est ainsi toujours question de percement.

On peut aussi aimer les apparences quand, défiant une finalité somme toute partagée, deux fenêtres, se faisant plurielles mais dans un face à face ou chacune est inaccessible à l’autre, semblent absorbées dans le reflet qu’elles se renvoient. Elles n’existent plus que pour dévisager l’autre ou pour n’être plus que le spectacle de l’autre. C’est l’expression dénudée d’un narcissisme sans eau claire, d’un geste où se mire non pas le fils d’une nymphe et d’un dieu mais où s’abroge une destination.

Elles auraient pu être portes

Elles en ont les ouvrants, le seuil également, pourtant le vide qui les tutoie d’en bas leur signifie une détermination sans autre posture possible que se tenir dans un état infranchissable.

Plus loin encore, au cœur d’une ville elle aussi démesurée, un train passe sur un de ces ponts qui rayent les perspectives d’entrelacs bruyants. Dans ce mouvement rectiligne et lent, les fenêtres de ses wagons semblent défiler comme les images d’une pellicule horizontale, comme autant de diapositives d’un film sans que l’on puisse distinguer une scène particulière.

Tokyo, fenêtres en mouvement, un recto-verso urbain. photo © Victoire de Faultrier-Travers.


Tokyo, fenêtres en mouvement, un recto-verso urbain. photo © Victoire de Faultrier-Travers.

L’envers et l’endroit

Dans ce mouvement, moderne et urbain à l’extrême, deux sortes de regard se croisent sans jamais se rencontrer, celui de l’endroit de la fenêtre qui voit défiler des avenues et des immeubles et celui de l’envers qui butte sur le miroir mat des doubles-vitrages en route vers l’ailleurs.

Qui verrait serait vu, avec du côté recto une vision sur la ville et du côté verso un rétroviseur de la ville. Un monde de part et d’autre, tous deux presque immobiles et pourtant fuyant.

Manhattan, des lumières délavées et ricochées. photo © Jean de Faultrier.

Effet miroir

Il y a assurément plus de fenêtre à New York que d’étoiles dans le ciel, chaque gratte-ciel est un firmament vertical où se jouent alternativement la noirceur du jour et l’étincellement de la nuit. Entre chien et loup, à l’heure des ruptures d’heures où les comportements muent, des copeaux d’atmosphère viennent s’incruster dans les éclairages qu’exhalent les façades agacées par des jeux de matériaux. Cette orgie incandescente et bachique se répercute d’un immeuble à l’autre dans d’innombrables effets de miroirs, de réfléchissements et d’échos.

Par cette danse à la vitesse de la lumière, certains édifices s’effacent un temps derrière le reflet des autres qu’ils renvoient avant de reprendre l’ascendant et décliner à leur tour la moire de leur frontière entre le dedans et le dehors.

Après de tels vertiges

Qu’ils soient de mouvements ou d’apparences, revenons un instant à Urbino dans les Marches d’Italie et posons notre regard, animé de la seule volonté d’un apaisement passager, sur la fenêtre du Palazzo Arcivescovile qui surplombe la mémoration gravée du pape Clément XI natif de la ville. L’appareillage simple de briques et de pierres accepte avec une simplicité non feinte les marques héraldiques du pontife encadrant ses nom et titre. Cette fenêtre est un repos, le nôtre présentement.

Via Porta Maia à Urbino, une fenêtre discrète. photo © Jean de Faultrier.

Le murmure des volets

Des volets, tirés en plein jour, portent le bavardage familier des persiennes dont le rôle essentiel, avant même celui de murmurer de l’air à l’intérieur, consiste à colporter les bruits du dehors sans faire entendre les rumeurs du dedans. Et c’est là un babil hybride de latin dormant et d’italien fatigué, un fin murmure qui épouse l’heure de tiédeur d’après la fournaise du midi.
Et dans murmure, on entend deux fois le mot mur, celui qui porte nos fenêtres.

Jean de Faultrier

Plus de feuillets du Carnet d’horizons

Quelques liens pour ouvrir d’autres fenêtres :

Dans ‘L’œil du Monde’ (éditions l’Atelier contemporain), Pascal Dethurens passe en revue cet « art des fenêtres, un art étonnant, troublant » avec un foisonnement riche les « images de la fenêtre dans la littérature et la peinture occidentales », du Graal à Rilke, de Goethe à Mallarmé mais aussi de Vermeer à Bonnard, de Van Eyck à Balthus

« Mieux qu’un objet, la fenêtre devient alors une forme, un mode d’être, une façon de voir : un langage. Nul peintre, nul écrivain, on le comprend, qui n’en ait fait sa matière. » Lire plus sur Singular’s

On peut relire « Fenêtre sur cour et autres histoires » de William Irish (éditions La Découverte 1942)
puis revoir « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock avec Grace Kelly et James Stewart (1954).

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