Vins & spirits
En pleine renaissance, le vignoble palestinien est dynamisé par des talents à découvrir
Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 20 juillet 2022
[Les pépites de la révolution viticole] En Cisjordanie, la communauté chrétienne de Palestine s’est résolument engagée dans la voie de la révolution viticole décrite par Mohamed Najim et Etienne Gingembre dans leur livre « Quand le vin fait sa révolution » (Editions du Cerf, 2021). Infatigable voyageur Mohamed le bordelais revient de Terre Sainte où les Domaines Taybeh Winery, Kassis et Philokalia lui ont donné des raisons d’espérer en attendant que leurs vins soient accessibles de la France.
Retour de Palestine
Avec une délégation de professionnels bordelais dont les œnologues Christine Pecastaings et Martins Ghuilherm. Mohamed Najim a rendu visite à des amis israéliens et à des amis palestiniens. Des scientifiques, comme lui, et des vignerons, qu’il aime. Les vignerons palestiniens ont pris une longueur d’avance dans la révolution viticole sur leurs confrères israéliens encore attachés aux vins très concentrés et très boisés à la mode en France, et notamment à Bordeaux, dans les années 90 qui feront l’objet d’une prochaine chronique. Que l’on se souvienne : du succès des vins « au goût de Robert Parker », l’autoproclamé « wine advocate » américain dont les notes faisaient (ou défaisaient ) les réputations au point que les vignerons cherchaient à répondre à ses attentes. En revanche, les palestiniens sont davantage sur le fruit, à la recherche de vins souples et digestes.
La viticulture, une tradition plusieurs fois millénaire en Terre sainte
Comme le rappellent les fouilles archéologiques et les récits tels que les noces de Cana, où Jésus transforme l’eau en vin, la viticulture est une tradition plusieurs fois millénaire en Terre sainte. En témoigne le dynamisme de quelques moines : L’abbaye de Latroun, une trappe cistercienne, cultive une quarantaine d’hectares. « C’est surtout du vin de messe », s’amuse Mohamed. Le monastère salésien de Crémisan, près de Bethléem, une vingtaine d’hectares.
En Palestine, ce sont bien sûr les chrétiens qui cultivent la vigne. On estime qu’ils sont environ 50 000 (2 % de la population), principalement dans les départements de Ramallah, Bethléem et Hébron. Petite ville chrétienne depuis des siècles, Taybeh est réputée pour ses vins. Quant à la population de Ramallah, capitale de la Cisjordanie, elle est très amatrice de vin. Malheureusement, le conflit israélo-palestinien est venu, on s’en doute, compliquer la viticulture locale : par exemple, certains domaines, dans « les territoires », sont situés « en zone C », ce qui revient à dire qu’ils peuvent à tout moment être confisqués par les colons israéliens. C’est notamment le cas de la propriété de Gino Lafi, qui s’apprêtent à ajouter 2 hectares aux 5 hectares de leur propriété actuelle. Un ami de Mohamed lui confie en riant : « Quand on se souvient qu’il y a vingt ans, c’était encore du jus de raisin mal fermenté dans des bouteilles en plastique »…
Depuis cette époque, la viticulture palestinienne, qui vinifie plus de vingt cépages locaux ou importés, a fait des pas de géant.
Taybeh Winery propose des monocépages blancs et rouges à Taybeh
Entre octobre 2019 et juin 2022, époques de nos deux dégustations, les vins Nadim Khoury ont fait d’énormes progrès. Diplômé de Harvard et de l’université Davis, près de San Francisco, Nadim est issu d’une famille installée dans le négoce des vins à Boston. Il est revenu à Taybeh après les accords d’Oslo pour créer une brasserie, aujourd’hui florissante, ainsi que des chais destinés à la vinification de raisons achetés sur place. La famille El Khoury, qui a bénéficié du soutien de Yasser Arafat après les accords d’Oslo, produit 30 000 bouteilles à Taybeh.
Les raisins pour les vins rouges proviennent de la propriété de Gino Lafi, un viticulteur méticuleux de Birzeit (dont nous parlerons aussi) qui prend un très grand soin de ses vignes et produit des raisins de qualité, en chardonnay, merlot, syrah et cabernet sauvignon. Nadim Khoury vinifie des cuvées mono-cépages au boisé maitrisé, des vins chaleureux, voluptueux sans être lourds, très agréables, avec une belle longueur en bouche. Seul son cabernet sauvignon est importé en France (18 à 20 euros la bouteille) par la petite société Fipsouk (Rodez, Aveyron).
Khoury vinifie aussi un cépage indigène, le Zeini blanc, qui est à l’origine un raisin de table. Il en tire un vin blanc d’une très grande fraicheur, peu alcoolisé, aux surprenants arômes de poire et de pomme. Les raisins sont achetés à 800 mètres d’altitude, à Hébron, une région réputée pour ses raisins de table. Très longtemps, les Palestiniens n’avaient pas accès aux cépages internationaux. Ils devaient donc se contenter de raisin de table avec quoi les familles faisaient du vin pour leur consommation personnelle et vendaient leurs excédents à leurs voisins…
Le Domaine Kassis vinifie dans les trois couleurs à Birzeit
Gino Lafi raconte en rigolant qu’il était tenté d’appeler son domaine le Château Lafi, de manière à détourner à son profit le prestige de Laffite-Rothschild… Mais après mûre réflexion, le vigneron s’est contenté de baptiser son exploitation le Domaine Kassis. Sur bientôt 7 hectares à Birzeit, environ 5 kilomètres au nord de Ramallah, il propose des vins blancs, des rouges et des rosés. Nous avons particulièrement apprécié son Dabouki, du nom d’un cépage blanc indigène. Ce vin élégant, très « méditerranéen » comme on peut s’en douter, aux notes d’agrumes, n’est pas sans rappeler certaines appellations italiennes ou françaises. Décidément inspiré par la Gironde, Gino Lafi réussit également un vin d’assemblage qui associe du cabernet et du merlot. C’est un vin harmonieux, digeste, au taux d’alcool maitrisé.
Enfin, le Domaine Kassis vinifie un mono-cépage en chardonnay, avec des arômes, de la rondeur et du gras. Un peu comme dans la Côte châlonnaise, en somme.
Le Domaine Philokalia fait des vins de garage près de Bethléem.
Si l’on omettait de vous parler de Nasser Soumi, ce petit tour de la Palestine vigneronne serait incomplet. C’est près de Bethléem que Nasser a créé son Domaine Philokalia. Adepte résolu de la révolution viticole, le vigneron cultive 23 cépages autochtones et vinifie ses vins en jarre, parce qu’il veut éviter le boisé. In fine, il propose de véritables vins de garage – environ 6 000 bouteilles par an – qui accompagnent à merveille une cuisine local méditerranéenne et très épicée.
En savoir plus sur la révolution viticole en Terre sainte
Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »
Ces vins palestiniens sont (encore) quasi introuvables :
- Domaine Taybeh Winery, Taybeh Main rd.، Ramallah Tél. : +970 2 289 9440 : son cabernet sauvignon est importé en France (18 à 20 euros la bouteille) par la société Fipsouk spécialisée en import de produits palestiniens (Rodez, Aveyron). (contact@fipsouk.fr & Tél. : 33+ 6 69 16 30 86)
- Domaine Kassis, Birzeit, Tél. : +972 59-794-0400
- Domaine Philokalia, Bethlehem
Partager