Culture
Esprit d’atelier, Jean Arp et Sophie Taeuber, vivre et créer (Fondation Arp Clamart)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 8 mars 2024
Après l’exposition « Plastique multiple unique » et l’accent mis sur le travail de Sophie Taeuber-Arp, la Fondation Arp vous plonge jusqu’au 24 novembre dans l’intimité créatrice d’un couple emblématique de l’art du XXe siècle. Leur maison-atelier, conçue par cette dernière pour mêler création et proximité en osmose avec une vie dédiée à l’art. Rien de plus fascinant pour Olivier Olgan que de pénétrer cet « esprit d’atelier » collectif, nourri de cette utopie partagée que l’art permet à l’esprit de s’élever et de produire un meilleur quotidien. Rien de plus émouvant que cerner deux vocabulaires artistiques s’élaborer singulièrement et en commun, fusion d’esprit et de cœur, à travers le temps.
Pénétrer l’« esprit d’atelier » du couple Arp et Taeuber
A la différence de beaucoup d’autres maisons-ateliers équivalentes (souvent transformées en musées), les espaces pensés et conçus par Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) ont gardé toute leur fonctionnalité et les articulations entre le temps du travail et celui du quotidien partagé par deux créateurs.
Les espaces de vie et d’atelier se confondent dans une maison et un jardin dont l’histoire évolue au cours des années. Ces espaces s’agrandissent, les fonctions changent, et l’art se développe également au gré de ces modifications.
Mirela Ionesco, Chiara Jaeger et Sébastien Tardy, commissaires
Eviter la reconstitution d’ateliers factices
Les espaces de vie quotidienne sont multifonctionnels, réduits mais optimisés. Le rez-de-jardin, pièce basse de plafond, accueille à la fois la chaufferie, la cuisine, la salle à manger, et est peut-être fréquemment transformé en atelier de plâtres pour Arp. Si aucune trace de ces fonctions ne subsiste aujourd’hui, l’imbrication de l’art et du quotidien se trouve encore dans le mobilier usuel que Jean Arp peignait, pour joindre un geste esthétique au côté fonctionnel.
De simples caissons de rangement prennent alors une présence nouvelle, tout en conservant leur fonction première : stocker sculptures, vases, cadres, ou toute autre création.
Chacun des créateurs est présenté dans l’espace qu’il occupait à l’origine.
La pièce atelier de Sophie Taeuber-Arp confirme son travail sur les jeux d’équilibres et de techniques. Sa curiosité sans limite l’amène à travailler sur toutes les techniques artistiques possibles. Avec un même sens de la composition quel que soit le domaine choisi, et sans aucune hiérarchie entre les arts, sa production s’avère unique en son genre ; des grandes étoffes de soie imprimée, ou encore son pantalon de costume cousu de différentes étoffes de 1920-1924 aux gouaches esquisses de travail, travaillées individuellement en grand format ou regroupées dans des carnets
L’esprit de Dada reste continuellement présent dans la création de Jean Arp. Parfois appuyé des aléas du hasard, c’est souvent par « constellation » qu’il compose ses œuvres ; de formes, où se juxtaposent des éléments aux lignes caractéristiques de l’artiste, nourri d’ un immense catalogue d’éléments découpés, favorisant les rapprochements comme le relief « Selon les lois du hasard IV« .
Des constellations poétiques aussi, où les sens et les sons des mots se relaient : parfois jeu sémantique, parfois jeu phonique, mêlant l’humour à la philosophie, les divergences surréalistes à un ancrage à la nature, la poésie constitue une expression où le réfléchi se mêle à l’intime. C’est à ses yeux ce qu’il crée de plus abouti.
Constellations de volumes enfin, ses sculptures peuvent naître d’une imbrication d’œuvres antérieures : un fragment géométrique de « Pointé vers les nuages », accolé à la tête élancée d’une « Entité ailée », deux sculptures de 1961, font éclore quelques années plus tard le « Torse enjoué ».
Les motifs et thèmes développés par Arp se constellent également. Le nombril, par exemple se retrouve décliné à travers de multiples techniques et matériaux. Apparu dans son esprit avec l’aventure Dada, vers 1915, cet emblème circulaire se retrouve tout au long de sa vie, en sculpture, sur des collages, des estampes, des reliefs, de la poésie. Il navigue entre les formes et les époques, pour réapparaitre régulièrement, comme un compagnon de voyage facétieux.
Mirela Ionesco, Chiara Jaeger et Sébastien Tardy, commissaires
D’autres de ces motifs comme les bourgeons, les nuages, les lutins, participent de ce voyage
Créer à quatre mains
La rencontre entre Arp et Taeuber à Zurich en 1915 fut une révélation mutuelle. Jean découvrit en l’art de Sophie la quintessence de la forme, le juste équilibre entre le monde intérieur et le monde extérieur, quand elle fut portée par son élan révolutionnaire dadaïste. Installés dans la maison-atelier de Clamart en 1929, cet échange va devenir omniprésent, de manière implicite ou assumée.
Les œuvres créées en commun, comme l’emblématique « Jalon » ou les « Lignes blanches sur fond gris », sont le fruit de leur complicité artistique, résultats d’un travail l’un à côté de l’autre et l’un avec l’autre, dans leurs atelier. Le travail unique d’un couple d’artistes, où aucun égo personnel ne prime. Les lignes, les formes, les couleurs qui les composent cherchent à atteindre l’éternité.
Mirela Ionesco, Chiara Jaeger et Sébastien Tardy, commissaires
Pour Jean, le dialogue continuera au-delà du décès tragique, par les créations qu’il a imaginées d’après les œuvres de Sophie ; d’un collage qu’elle a réalisé en 1916, Arp en tire en 1965 la sculpture « Bonhomme ».
C’est toujours la même substance qui est en toute chose, la vie et la mort, la veille et le sommeil, la jeunesse et la vieillesse. Car en se transformant ceci devient cela, et cela en se transformant devient de nouveau ceci.
Jean Arp
L’esprit d’atelier à l’état gazeux
Dans le creuset de cet espace artistique unique, à la poétique créative préservée, flotte le rayonnement d’une création protéiforme. Au visiteur dans une rêverie paisible de se mettre en capacité à ressentir dans leurs traces si parlantes, la présence bienveillante d’un couple exceptionnel. Les éclats lumineux de leur cohorte d’amis des avant-gardes artistiques européennes semblent aussi s’épanouir, comme en témoigne la galerie de photographies présentée dans l’exposition : de Max Ernst, à James Joyce, de Theo van Doesburg à Marcel Duchamp,… toujours prompts à venir rejoindre ce couple solaire le temps d’une journée, d’un verre, d’une œuvre…
Pour en savoir plus
Fondation a r p, 21 rue des châtaigniers 92140 Clamart Tél. : +33 1 45 34 22 63 general@fondationarp.org
Jours et horaires de visites de l’exposition : vendredi : 14h30 16h00 – samedi et dimanche : 14h30 15h30 16h30
fermeture estivale du 1er au 26 août
accès RER C – bus 169-289 arrêt Meudon-Val-Fleury
Atelier Jean Arp et Sophie Taeuber, de Renaud Ego, Introduction de Claude Weil-Seigeot, présidente de la Fondation Arp, Editions des Cendres, 2012, Le livre de référence sur le rôle de la maison-atelier pour faire émerger, dans une approche sensible, l’originalité de leur œuvre personnelle et l’œuvre construite en commun.
A voir
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