Culture

exposition : Kimono (Musée du Quai Branly)

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 13 avril 2023

A la fois symbole d’une tradition et marqueur social, le kimono incarne la quintessence de la culture nippone. Avec près de 200 kimonos, l’exposition au Musée du Quai Branly plonge jusqu’au 28 mai 2023 dans les plis d’un vêtement emblématique qui traverse l’Histoire, depuis l’époque Edo au XVII siècle jusqu’à aujourd’hui. Baptiste Le Guay a interviewé sa commissaire Anna Jackson, qui dénoue pour Singular’s les fils d’une tenue identitaire qui transcende le temps et les modes vestimentaires, et a un impact majeur sur le style vestimentaire mondial depuis près de 400 ans.

Symbole d’une tradition et marqueur social, le kimono incarne la culture nippone, l’exposition du Quai Branly montre que ce vêtement a influencé le monde Photo Baptiste Le Guay

Quatre questions à Anna Jackson, commissaire de Kimono

Le kimono rouge est un kimono de mariage, le rouge était la couleur la plus chère à obtenir et donc un signe de richesse, photo Baptiste Le Guay

Baptiste Le Guay : Que cherchez-vous à faire comprendre aux visiteurs sur le kimono ?

Anna Jackson : L’exposition explore l’importance esthétique, sociale et vestimentaire du kimono. Cet habit iconique est généralement vu comme un costume traditionnel et intemporel. Toutefois, nous voulions aller à l’encontre de ce préétabli en montrant que le kimono a toujours été fait d’habits dynamiques, au cœur de la mode qui a prospéré au Japon depuis 1660.

Nous révélons aussi au public que, bien que vu uniquement comme Japonais,
le kimono a eu un impact majeur sur le style vestimentaire mondial depuis près de 400 ans.

Signe de distinction sociale, notamment pour la classe des samouraïs, quel était le pouvoir de séduction de cette tenue et la signification de ses couleurs et des motifs ?

Motifs de Kimono de femme en soie, Photo Baptiste Le Guay

Depuis le XVIIème siècle, tout le monde porte le kimono au Japon, peu importe le genre ou son statut social.
C’est à travers le tissu, la couleur, les motifs et la technique utilisée
le porteur indiquait sa richesse, son statut et son goût.

Les samouraïs étaient l’aristocratie militaire au pouvoir pendant la période Edo (1603-1868). Les femmes des samouraïs de haut rang menaient des vies très strictes et structurées incluant des codes vestimentaires très détaillés, basés sur la saison, l’événement et le moment de la journée. La robe la plus formelle se caractérise par une abondance de fleurs alternant avec d’autres motifs sur un fond blanc ou rouge. Une autre distinction des kimonos portés seulement par les femmes de l’élite militaire se caractérise par des paysages d’arbres, de fleurs et d’herbes, d’écoulement d’eau, de brume, de filets de pêche, de chaumières et de pavillons.

Kimono de Samouraï, la classe dirigeante militaire, photo Baptiste Le Guay

La classe marchande, au bas de la hiérarchie sociale, stimulait l’énorme croissance de production de kimonos. Ce sont eux qui orchestrent les talents d’un réseau d’artisans spécialisés, incluant créateurs, tisseurs, teinturiers et brodeurs.
Les samouraïs étaient les principaux commanditaires de kimonos de luxes.  Prospérant pendant la période Edo, ils ont recherché les derniers styles pour exprimer leur richesse grandissante, leur confiance et leur goût. Ils se sont inspiré du demi-monde (femmes entretenues pour animer la vie mondaine). Les comédiens et courtisanes étaient les influenceurs de la mode au goût du jour. Les prostitués de luxes, geishas, étaient connues pour leur style et leur esprit vif, comme pour leurs compétences sexuelles, et les accoutrements qu’elles portaient étaient très imités.

Comment le kimono s’est-il démocratisé en Occident pour devenir un vêtement populaire, particulièrement auprès des femmes ?

Kimono de costume avec cravate classique sur la gauche, costume hybride avec l’esprit ‘kimono’ sur la droite, photo Baptiste Le Guay

Pendant la période Edo, le Japon avait une politique de ‘pays fermé’. Cependant, la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales était capable d’échanger et de ramener des kimonos en Europe provoquant un grand bouleversement. C’est à la fin du XIXème siècle, quand le Japon s’ouvre au commerce international, qu’il y a eu un vrai ‘engouement’ pour le kimono dans le monde occidental. Pour la plupart, l’habit suggérait luxe et la non-conformité, mais pour ceux défendant la réforme vestimentaire, le kimono offrait l’inspiration pour un style de vêtements libre, sans les corsets contraignants.

L’habit était perçu comme une nouveauté imprégnée de l’exotisme du Japon. 

Comment le kimono a-t-il inspiré le monde actuel de la mode ?

L’engouement pour porter le kimono a atteint son apogée au début du XXème siècle, et c’était au moment où il a exercé une influence énorme sur la mode européenne. Les designers ont abandonné les corsets serrés, les styles très structurés pour moins de couches de tissus qui enveloppent le corps. Depuis, le kimono a continué à avoir une influence majeure sur les styles internationaux, en étant réinterprété par les designers à travers le monde, le Japon inclus.

Le potentiel de cet habit qui peut être déconstruit et reformé, transposé et transformé,
en fait un objet polyvalent et unique pour la mode.

Photo Kimono été : Kimono d’été pour femme (katabira), probablement Kyoto, 1800-1850, teinture à main levée par réserve à la colle (yüzen), teinture au pochoir imitant la teinture par ligature (surihitta), broderie de soie et fils de soie dorés, photo Baptiste Le Guay.

Du vêtement emblématique japonais, à la tenue mondialisée

Le kimono signifie « la chose qu’on porte sur soi ». Il se développe au Japon pendant l’ère Edo (1603-1868), période de stabilité politique et de croissance économique. Kyoto, ville à l’esprit créatif devient le centre d’un artisanat de luxe du kimono, se conjuguant au dynamisme commercial d’Osaka, faisant de la région le berceau d’un raffinement et d’un style novateur.

Au début du XVIIIe siècle, l’attention sur le kimono se déplace sur Edo, actuelle Tokyo. La mode constitue à ce moment, comme maintenant, à une force sociale et économique du Japon. Une demande importante va dynamiser le progrès technique, avec un culte de l’apparence qui va encourager les dépenses vestimentaires.

Assortiment de plusieurs kimonos, le Kimono gris de gauche appelé «Au-delà» Kyoto, 2005 Crêpe de soie (chirimen), teinture à main levée par réserve à la colle (yūzen, photo Baptiste Le Guay


Sur-kimono pour femme (uchikake). Probablement Kyoto, 1860–1880. Satin de soie (shusu), appliqué et broderies de fils de soie et fils de soie dorés, photo Baptiste Le Guay

Vêtement à coutures droites fermé par une ceinture nouée à la taille (obi). Le corps a peu d’incidence dans la tenue japonaise ; c’est la surface plate du kimono qui compte, contrairement à l’habit occidental avec une coupe cherchant à souligner ou camoufler les formes du corps. La couleur, les motifs et la technique utilisée du kimono indiquent le statut et le goût de son propriétaire.

Certains se procurent des étoffes afin de coudre leurs tenues eux-mêmes, mais les kimonos luxueux portés par les élites sont des commandes spécifiques.

A la fin du XIXème siècle, le pays nippon s’ouvre sur le monde, notamment à cause des puissances occidentales qui le poussent à ouvrir ses ports au commerce international. L’industrie textile se modernise, permettant d’ouvrir l’accès à un public plus large pour se munir des vêtements au goût du jour. Une production qui va permettre d’accroître les échanges commerciaux de manière spectaculaire.

A partir du XXème siècle, les lignes droites et les formes du kimono deviennent une profonde source d’inspiration pour les créateurs européens. Un engouement grandissant dans cette région amène des cotons aux motifs colorés d’Asie du Sud et du Sud Est. Les tisserands japonais créent des versions locales appelées « wa-sarasa » pour satisfaire la demande de ce marché en pleine expansion.

Kimono (Musée Quai Branly) Photo OOlgan

Le kimono représente une pointe d’exotisme dans les foyers occidentaux,
il a également beaucoup inspiré les designers de modes et les costumes de cinéma,
à l’image de la Saga Star Wars.

Le Kimono a influencé le cinéma (Musée Quai Branly) Photo OOlgan

#Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin sur le kimono

jusqu’au 28 mai 2023, Musée du Quai Branly, 37 quai Branly, Paris 7e.
Du mardi au dimanche, de 9h15 à 19h30, sauf jeudi de 9h15 à 22h15.

Catalogue, sous la direction d’Anna Jackson (Éditions de La Martinière, 336 p. 55€) : Accompagné d’un livret inédit avec les interviews d’Anna Jackson, commissaire de l’exposition, et de Serge Mouangue, artiste et créateur de mode, et s’appuyant sur les collections du Victoria and Albert Museum, il explore les significations culturelles et vestimentaires du kimono et son influence sur la mode tant au Japon qu’en occident depuis le XVIIe siècle. Sa forme minimaliste, fluide et non genrée consacre – aujourd’hui comme hier – son succès dans le monde entier.

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