Culture
Exposition : Rosa Bonheur, 1822-1899 (Orsay, Fontainebleau, By-Thomery)
Auteur : Patrice Glee
Article publié le 10 janvier 2023
200 ans après sa naissance, 2022 aura été l’année de la redécouverte de Rosa Bonheur, (1822-1899) avec trois expositions, aux Beaux-Arts de Bordeaux, puis au Musée d’Orsay et au Château de Fontainebleau jusqu’au 23 janvier, plusieurs catalogues, la réédition de ses Mémoires et des biographies dont celle de J’ai l’énergie d’une lionne dans un corps d’oiseau, de Patricia Bouchenot-Déchin (Albin Michel) et enfin, le Château – atelier de By-Thomery devenu musée sous l’impulsion de sa propriétaire Katherine Brault, que la peintre animalière désignait comme « le domaine de la parfaite amitié ». Patrice Gree revient sur cette artiste indépendance à tout point de vue.
Nous portons tous un nom, mais certains sont portés par le leur !
Bonheur…on lui souhaite à Rosa d’en avoir éprouvé au long cours de sa vie autant que nous en parcourant les larges allées de cette très belle exposition que le Musée d’Orsay lui consacre pour le bicentenaire de sa naissance : 200 ans, 200 œuvres…
Je n’ai jamais consenti à aliéner ma liberté, et sous aucun prétexte.
Rosa Bonheur à Anna Klumpke, Rosa Bonheur, Souvenirs de ma vie.
La Française la plus célèbre de son temps avec Sarah Bernhardt
Si certains naissent une petite cuillère d’argent à la bouche, d’autres viennent au monde un pinceau en or, à la main. Marie Rosalie Bonheur est née le 16 mars 1822 à Bordeaux ! Son père Raymond Bonheur (1796-1849) et son oncle étaient peintres, ses frères et sœurs, travailleront dans l’art. Il est toujours compliqué, quand ce n’est pas vain, de chercher les racines du talent. Est-ce la fréquentation de la ferme de ses grands-parents aimés qui lui fournit un sujet, le métier du père respecté, un modèle ou la mort tragique et prématurée de la mère adorée, un refuge… Nul ne peut le dire, mais la jeune fille s’immergea tôt dans la peinture.
J’avais pour les étables un goût plus irrésistible que jamais
loin des antichambres royales ou impériales.
Rosa Bonheur
Des halles en pantalons au domaine de la parfaite amitié
Très jeune à peine âgée de trente ans, celle qui signe « Rosa Bonheur » depuis 1844 obtient une reconnaissance internationale qui lui permit au prix d’un tableau de s’acheter… un château. Le tableau était le Marché aux chevaux, le château celui de By à Thomery. Château, dont nous ne pouvons que conseiller la visite tant les œuvres exposées sont restées dans leur jus…
Château où elle vécut jusqu’à sa mort entourée de sa dernière compagne Anna Klumpke au milieu des animaux domestiques et …sauvages ! Bonheur n’aimait pas les lions qu’en peinture….
Elle portait les animaux dans son cœur et des pantalons à la ville. Femme libre au caractère trempé, elle s’imposa dans un monde d’hommes frileux et soumis aux conventions sociales.
Si nous ne comprenons pas toujours les bêtes, les bêtes nous comprennent toujours.
Rosa Bonheur au critique d’art Léon Roger-Milès
Sa vie fut aussi remarquable et singulière que son œuvre.
C’est par l’œil rond de l’animal qu’elle nous ouvre les portes de leur monde intérieur et secret ! Et elle est là, la puissance de sa peinture ! L’œil de la bête accroche le tien et te fait ressentir en toi, ce qu’elle projette en eux ! Elle concentre dans l’œil du chien attaché toute la mélancolie du monde, du bœuf tirant la charrue toute la fatigue du monde, du cheval libéré toute l’énergie folle du monde et du lion dans la savane…toute la fierté d’être au monde ! Domestiques ou sauvages, aimés ou maltraités, soumis ou fiers, ses animaux sont vivants, terriblement vivants ! Pour qui les aime, Bonheur offre l’illusion merveilleuse de franchir par la magie de son pinceau les barrières qui nous séparent des bêtes. Corps et âmes elle les met en lumière, au propre comme au figuré !
En l’espace de 50 ans, près de 70 % de la faune sauvage a disparu…
Je n’ai besoin de la société de personne. Je ne me soucie pas de la mode.
Que peut faire le monde pour moi ? Un peintre portraitiste nécessite toutes ces choses, mais moi, non.
Je trouve tout ce qu’il me faut dans mes chiens, mes chevaux, les biches et les cerfs de la forêt.
Rosa Bonheur à l’écrivain Jules Claretie.
Dans l’espace du Musée d’Orsay, tu as le sentiment que ce n’est plus toi qui regarde les portraits des animaux peints par Rosa Bonheur…mais eux, qui te regardent !
#Patrice Gree
Rosa Bonheur, combien de division ?
Après les feux de la légitime réhabilitation d’une artiste dans toutes ses dimensions, pourra-t-on échapper aux nouvelles étiquettes qui déjà enferment Rosa Bonheur ?
Pas sûr, quand une excommunication supprime des librairies la biographie, J’ai l’énergie d’une lionne dans un corps d’oiseau, pourtant documentée de Patricia Bouchenot Déchin. Sous prétexte que l’historienne (autrice de plusieurs biographies de références dont André Le Nôtre et Mademoiselle Montansier) mentionne une passion « d’art » de Rosa pour Sir Edwin Landseer, son prestigieux concurrent britannique, le fait pourtant attesté sur des archives indiscutables autant que la fascination de Rosa pour Buffalo Bill, écorne soi-disant l’ « aura féministe » qui désormais élève Rosa – à son existence défendante – en « icône LGBTQI+. Mais sans désir de choquer » comme l’ explicite Leïla Jarbouai, commissaire de l’exposition et du catalogue du Musée d’Orsay. Ce travail sur documents qui fait la réputation de Bouchenot Dechin mérite-t-il une si précoce accusation de révision ? et que son livre soit effacé des rayons au profit d’auteures plus conformes à la nouvelle doxa ? Rosa surtout en a-t-elle besoin ?
La force de son récit – de son éclosion en cheffe de famille capable de vivre de son art avant 20 ans, à sa reconnaissance quasi planétaire – est de faire la part belle à son indépendance, en toutes circonstances, à croquer sa force de caractère à « rester elle-même », loin des scandales et des salons, pour se dédier – à l’écart – uniquement à son art. Le style alerte et précis n’en omet aucun aspect et rend hommage à celle qui assume d’avoir « vécu librement, indifférence au conformisme de notre temps et au qu’en dira-t-on de mes semblables. (…) Quels que furent les sentiments et les passions que j’ai pu éprouver, je suis restée fidèle à la mission que je me suis assignée. »
Comme la religion, l’art ne peut-il pas avoir ses vestales ?
Mon art a été ma seule mon unique vocation.
Rosa Bonheur cité par Patricia Bouchenot
Cette singularité assumée et réussie ne doit pas courir le risque d’être à nouveau prisonnière d’étiquettes qui en limiteront la portée exemplaire.
#OOlgan
Pour aller plus loin sur Rosa Bonheur
Expositions associées au Bicentenaire
jusqu’au 23 janvier 23
- Rosa Bonheur, Musée d’Orsay,
- Catalogue, Sandra Buratti-Hasan et Leïla Jarbouai (dir.), coéd. Musée d’Orsay / Flammarion 288 p. • 45 € : Même s’ils jonglent sur les dynamiques à la mode (féminisme, ) les essais contribuent à montrer comment le dévouement ultrasensible de l’artiste repousse les balises habituelles de l’art animalier dans une approche à la fois scientifique et humaniste, le portrait animalier, acceptant « la réalité émotionnelle de “l’autre”, abolissant toutes frontières entre non-humains et humains, nature et culture. Les œuvres de Bonheur offrent ainsi à voir des visages » écrit Valérie Bienvenue.
- Château de Fontainebleau, Capturer l’âme, l’art animalier de Rosa Bonheur, Place Charles de Gaulle, 77300 Fontainebleau
- Catalogue sous la direction de Oriane Beaufils, présente l’ensemble du fonds Rosa Bonheur conservé au château comme le lieu de mémoire voulu par son amie Anna Klumpke, Editions Faton, 132 p. 19 €
jusqu’au 30 janvier 23, Rosa Bonheur intime, le parcours s’articule en deux parties : une première se consacre au travail de l’artiste tandis que la seconde aborde différentes facettes de sa personnalité. Château (de By) de Rosa Bonheur, 12 rue Rosa Bonheur. 77810, Thomery, avec son salon de thé et ses trois chambres d’hôte, dont celle occupée par la peintre.
A lire
- Rosa Bonheur, Souvenirs de ma vie, par Anna Klumpke, publée en 1908, nouvelle édition supervisée par Natacha Henry, éd. Phébus, 450 p. 50 €
- J’ai l’énergie d’une lionne dans un corps d’oiseau, de Patricia Bouchenot-Déchin, Albin Michel, Albin Michel, 372 p., 20 €.
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