Culture
Face au Soleil, un astre dans les arts (Musée Marmottan Monet) - Soleil. Mythes, histoire et société, d’Emma Carenini (Le Pommier)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 21 décembre 2022
« Le soleil est la source de notre vision du monde, au sens propre » écrit Emma Carenini dans son stimulant Soleil. Mythes, histoire et société (Le Pommier). L’exposition et le catalogue Face au Soleil du Musée Marmottan Monet jusqu’au 29 janvier 2023 en apportent une somptueuse illustration sur plus de deux millénaires. Autour du 150e anniversaire d’ Impression, soleil levant, peint par Monet le 13 novembre 1872, cette anthologie picturale solaire questionne la place et le sens du disque astral dans les arts. De quoi se réchauffer le cœur et les yeux au début de l’hiver !
« Il y a une pensée faite au soleil qui n’est pas la même qu’ailleurs »
La formule d’Emma Carenni dans son essai Soleil. Mythes, histoire et société (Le Pommier) réussit bien à évoquer cet esprit du Sud, de la Méditerranée, non réductible à des lieux précis. « Il a irrigué notre pensée et les arts » nous disent les deux commissaires Marianne Mathieu, du musée Marmottan Monet, et Michael Philipp, du Museum Barberini à Potsdam, responsables de cet accrochage stimulant et serré, forcément subjectif de plus 60 chefs-d’œuvre (issus de 53 prêteurs)
Spectateur d’un don immense
Mais si l’ambition (trop) immense d’une anthologie picturale et imaginaire ouvrant plus de deux millénaires de « l’avant et l’après » Impression, soleil levant, elle est fertile et invite à notre tour à faire la nôtre. D’autant que le catalogue en suggère d’autres ! Toutes les facettes du disque solaire sont abordés : du symbole de puissance, de beauté et de joie – pensons au dieu Râ, Hélios, Phébus ou Apollon –, il devient naturellement l’emblème du pouvoir triomphant sous Louis XIV et les monarchies qui suivirent. D’objet frénétique de fascinations et de connaissances dont les essais du catalogue rendent compte, il devient sujet « d’un éblouissement rétinien. » « Lorsque nous regardons la lumière descendre du ciel, nous somme spectateur d’un don immense. Le soleil donne à profusion. Il offre milles possibilités d’action et de vie » ajoute en contrepoint Emma Carenni.
De multiples perspectives
D’un point de fuite de l’horizon, sa vision envahit le tableau. « Le pouvoir et l’impuissance du regard ont été l’un des thèmes majeurs de la philosophie européenne et leur mise en valeur scientifique devenait alors une préoccupation à une époque où l’Occident se préparait à conquérir le monde entier10. Impression, soleil levant marque un tournant dans l’histoire de la vision » écrit Michael F. Zimmermann dans son Voir le soleil Discernement, aveuglement, impression, faisant l’histoire du tableau de Monet.
La représentation d’un soleil humain a été polymorphe,
expressive et omniprésente durant des siècles,
mais elle reste un motif d’ordre mineur.
Michael Philipp. Une étoile à visage humain. Catalogue Hazan
13 novembre 1872 au matin, à 7 h 35. Port de Havre.
Fallait-il que la science date précisément le chef d’œuvre de Claude Monet pour l’inscrire « dans cette longue histoire qui lie les artistes à l’astre qu’ils n’ont cessé de représenter, pour de multiples raisons depuis la plus Haute Antiquité » Nous ne le croyons pas tant sa facture a crée une rupture dans l’histoire de l’art.
Par contre, nous suivons Marianne Mathieu quand la commissaire écrit dans son essai introductif du catalogue Un astre dans les arts : « La chronologie de cette relation suit, d’abord, une tripartition qui se retrouve, canonique, dans de multiples sujets qu’abordent les sciences humaines : au divin succède l’élu, en l’occurrence le royal ou l’impérial, qui finit par céder la place à la multitude, mais là ne s’arrêtera pas ce développement qu’il est nécessaire de suivre pas à pas. »
Les différents soleils
Plus le soleil quitte le centre du monde (grâce à Copernic), plus il s’invite au centre du tableau (de Le Lorrain à Dix). Pour le déborder complétement (façon puzzle Signac, Derain ou Delaunay). « Au lendemain des mythes, quand un seul Dieu suffit à régner sur le monde, il n’était plus créateur mais création et se trouvait concurrencé par sa sombre antithèse. Ainsi rétrogradé, mais sans disparaître » reconnait Marianne Mathieu. « Tandis que les rois se glorifiaient de la sorte, les scientifiques, depuis presque deux siècles déjà, s’étaient emparés du soleil et en faisaient un objet d’étude. »
L’exposition – un peu à l’étroit du premier étage du musée Marmottan – permet de suivre la transformation des représentations de ces différents soleils. Ici la qualité des chefs d’œuvres remplace la quantité : « de ceux qui sont uniquement source de lumière, de Pierre Paul Rubens à Claude Gellée dit Le Lorrain et, bien souvent, à son émule Joseph Mallord William Turner, contemporain de Caspar David Friedrich, adepte d’un soleil mystique ou de Thomas Cole qui rêve d’un soleil universel. À cette génération va succéder celle des réalistes, tel Gustave Courbet, analyste des effets du soleil sur le motif, mais aussi sur la vision qui, quelques décennies plus tard, sera à l’origine d’Impression, soleil levant» poursuit Marianne Mathieu.
La révolution de l’éblouissement
« Nous irons jusqu’au soleil. » L’artiste, grâce aux avancées scientifiques concernant l’astre lui-même tout au long du 19e siècle, le redécouvre. Il est regardé différemment et les artistes ne l’utiliseront plus de la même façon : n’hésitant ni à le désintégrer (d’Edvard Munch à Otto Dix), ni à l’imiter (façon abstraite). Il devient ce que Maurice Denis peut qualifier de nouveau « dieu de la peinture moderne ».
« De l’impressionnisme à l’orphisme, l’histoire de l’art au tournant du xxe siècle pourrait en partie s’écrire sous le signe de ce soleil, que les artistes ont osé défier de plus en plus frontalement. » Olivier Schuwer dans son essai du catalogue, Peindre l’éblouissement qui rappelle qu’il s’agit d’« une expérience optique, esthétique mais aussi spirituelle, qui retrempe l’artiste et son spectateur au cœur du mystère sensible de la naissance du sentiment religieux. »
Assumer une responsabilité
« Aujourd’hui se pose aussi la question suivante : et si les artistes nous invitaient à ne plus déprécier le vécu de la nature à travers un lever de soleil ne représentant qu’une ambiance somme toute banale et répétitive. ose Michael F. Zimmermann pour sortir de la seule logique hédoniste du Soleil. Et à proposer au lieu de cela d’assumer une responsabilité, afin que les générations futures aient encore l’occasion d’assister sans fin et sans amertume à ce même spectacle. » Ce qui suppose une responsabilité des artistes.
Le soleil n’est pas seulement une conquête technique,
c’est aussi une conquête spirituelle.
Et parfois, il semble que nous ayons oublié la sagesse des hommes éveillés.
A nous de la retrouver.
Emma Carenni
Qu’ils soient impressionnistes, néo-impressionnistes, divisionnistes, fauves, expressionnistes ou orphistes, ces éblouissements sont toujours signifiants. L’objectif de l’exposition exemplaire est clairement atteint. Le Soleil doit continuer à nous parler.
#Olivier Olgan
Où se jouent ces musicales de proximité ?
- Jusqu’au 29 janvier 2023, Musée Marmottan Monet, 2, rue de Louis Boilly, Paris 16e, du 25 février au 11 juin 2023, au Museum Barberini, Potsdam,
- Catalogue, sous le commissariat de Marianne Mathieu et Michael Philipp. 240 p. 35€ (Hazan – Musée Marmottan Monet)
Soleil. Mythes, histoire et société, Emma Carenini, Le Pommier, 198 p., 20 € :
« Chacun y projette ses propres passions, ses propres doutes, ses angoisses comme ses rêves ». La jeune philosophe fait le point sur la place de l’astre du jour dans l’histoire du monde. Son essai est limpide, incisif et éclairant : « Chez les uns, le soleil est une divinité fragile et éphémère, dont la subsistance de chaque jour n’est jamais assurée ; chez les autres, c’est la lumière qui doit nous guider vers le chemin de la raison ; chez d’autres encore, c’est un astre parmi mille autres, qui ne nous enseigne que la vanité des ambitions humaines.« .
Plus qu’une chronologie, ce sont les rapports de l’humanité qui sont cristallisés : entre fascination et ignorance, entre savoirs et apprivoisement. L’humanité a toujours rivalisé d’imagination et ingéniosité pour capter et profiter de ses bienfaits : des cultes solaires aux craintes actuelles des « collapsologues », en passant par la « médecine par le soleil » et ses risques dermatologiques, sans oublier son utilisation pour scander le temps, le luxe qu’il engendre et les espoirs millénaristes de la fusion nucléaire.
A chaque civilisation, de donner sa place au Soleil, mais non sans efforts ! « Contrairement à certaines idées reçues, le soleil n’incite pas à la paresse et au farniente, mais dynamise et invite à l’ambition. Ce don quotidien de la lumière, si difficile à recevoir, est peut-être la dernière et la plus belle leçon de la sagesse que nous prodigue le soleil. »
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