Culture

George Eliot et George Sand, deux figures d’écrivaine féministe du XIXème siècle [Lu par Jean-Philippe Domecq]

Auteur : Jean-Philippe Domecq
Article publié le 28 octobre 2020

  • George Eliot, Middlemarch, et Le Moulin sur la Floss, Gallimard, « La Pléiade » ; Daniel Deronda, coll. Folio,
  • Mona Ozouf, L’autre George, à la rencontre de George Eliot, Folio.
  • George Sand, Romans, t. I et II, Gallimard, « La Pléiade » (& Folio).

Bien des rapprochements sont possibles notamment leur intelligence romanesque, comme le réussit magistralement Mona Ozouf (L’autre George) entre les deux grandes figures d’écrivaine féministe du XIXème siècle, George Eliot et George Sand. Pour Jean-Philippe Domecq à leur relecture, #MeToo a aussi des effets bénéfiques en histoire littéraire aussi.

Je viens de retomber dans Middlemarch, de George Eliot, à l’occasion de sa récente reparution.

On y voit les trois possibilités d’histories de couples : le couple qui se tient par le mauvais bout de la méprise sociale, le couple qui se tient mais se brise heureusement par méprise intellectuelle, et le couple d’amour réussi qui se trouve par accord spontané et patient des sensibilités.
Aussi, et c’est d’un suspense psychologique passionnant, on voit une jeune femme, l’héroïne Dorothea, épouser un érudit bien plus âge qu’elle par admiration pour sa culture, puis découvrir peu à peu que, sur le même terrain de recherches que lui, elle voit ce qu’il ne voit pas…

Les bornes de l’esprit sont fatales aux sentiments comme à l’admiration qui est une racine amoureuse. L’admiration fait aussi notre confiance dans l’esprit de George Eliot, une auteure anglaise d’une intelligence si subtile, si profonde, si mûre et malicieuse, que nous la lisons pris par la main de quelqu’un qui va nous en apprendre de la vie. Cette intelligence rare, que l’on retrouve dans Daniel Deronda, roman d’amour et de société là encore, qui croise l’Angleterre et la culture juive d’une façon si avisée, que Tel-Aviv a donné le nom de George Eliot a une de ses rues.

Cette intelligence romanesque, Mona Ozouf la déploie dans son essai L’autre George, en référence avec l’autre figure d’écrivaine féministe du XIXème siècle, George Sand.

Je m’y suis replongé aussi… Je n’en ressors pas des romans de notre George avec le même enthousiasme, loin s’en faut. Mais sous l’angle du féminisme c’est très intéressant. #MeToo a des effets bénéfiques en histoire littéraire aussi.

Longtemps les manuels scolaires ont présenté la rupture entre George Sand et Alfred de Musset selon sa version à lui : dans ses lyriques Nuits et Confessions d’un enfant du siècle, le poète pleurnicha son désespoir d’avoir été quitté et renvoyé de Venise où la traîtresse, puisque femme n’est-ce pas, l’avait trompé avec le médecin venu le soigner. Le soigner de ses orgies bien accompagnées dont il rentrait bourré jusqu’à plus soif. Leur très romantique passion ayant défrayé la chronique, les deux auteurs en tirèrent leur respective autofiction un siècle et demi avant que ce genre bâtard ne gagne notre provisoire actualité littéraire.

Aussi George Sand répliqua-t-elle à la version masculine par Elle et lui, roman au titre façon buzz. Comme pour toute autofiction, où c’est à qui imposera sa version du « vrai », l’intérêt réside moins dans la fiction que dans ses coulisses : on dévore les notes érudites de la réédition « Pléiade », tellement plus croustillantes et plus intelligentes que les complaisants jeux de rôles.

A lire les critiques de l’époque, George Sand, qui fumait cigare et portait pantalon, eut deux autres torts en écrivant Lélia, roman de la révolte métaphysique et féminine : sa scandaleuse héroïne est libre sexuellement et, plus grave en sous-main… intellectuellement.
La réaction, il n’y a pas d’autre mot, n’a pas manqué : « une femme en pleine insurrection contre tous les principes reçus »… « qui a franchi les limites fixées à son sexe »… puisqu’elle « est faite pour la trahison et non pas pour la révolte »… Impayables mœurs bourgeoises, si fières en leur temps, grotesques aujourd’hui que la révolte de George Sand a porté ses premiers fruits et tant d’autres font notre espérance, de femmes et d’hommes…

#Jean-PhilippeDomecq

Pour suivre Jean-Philippe Domecq

Son blog 

Ses chroniques Ce qui reste du temps qui passe.

Dernières parutions

Heures de Paris, les nouvelles minutes parisiennes 1900-2020, La Bibliothèque, 2020, 22€

Dans la lignée de ces magnifiques « albums » collectifs, Minutes parisiennes, de l’éditeur Ollendorff, dont il s’inspire par la qualité de l’édition (maquette, illustrations, papier ), ce premier tome croise la chronique sensible de trois heures d’un soir de Paris,  7h, 9h et 10h ; chacune vue par des auteurs de 1900 : Gustave Geffroy (1855-1926), Joris-Karl Huysmans (1848-1907), Charles Jouas (1866-1942), Jean Lorrain (1855- 1906) et de 2020, Jean-Philippe Domecq (texte et photos) et la dessinatrice Nadja.

Bibliographie sélective chez Pocket Agora

  • Le film de nos films (2020)
  • Comédie de la critique, Trente ans d’art contemporain (Pocket, 2015)
  • Ce que nous dit la vitesse (2013)

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