Voyages
Glenorchy, un reflet démesuré de rêves (Nouvelle Zélande)
Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 10 juin 2024
Carnet d’horizons: « Le vrai domicile de l’homme n’est pas une maison mais la route, et la vie elle-même est un voyage à faire à pied. » (Bruce Chatwin) Queenstown en Nouvelle Zélande est en soi une extrémité séduisante. Généreuse, elle offre à son hôte des éclats de nature, des parfums épicés, des chants polyphoniques, des heures de félicité. Parfois la ville se referme sur elle-même pour se fêter, bruyante et nombreuse. Jean de Faultrier a été tenté alors de la laisser vivre sa vie avec les siens et, pourquoi pas ? emprunter la route sinueuse de la rive nord du lac vers un occident discret dont le nom apparaît au gré de panneaux parcimonieux : Glenorchy… d’une route ébouriffante tendant de véritables pièges au pérégrin tant il aura vite l’envie de s’y perdre des siècles durant.
Il y a toujours plus loin que l’extrémité
A quelques pas de Queenstown, la fougère et la colline se sont invitées dans le nom d’un bourg, Fernhill, depuis ses rues en pente cernées d’une végétation luxuriante on domine un lac dont la forme étrange sur la carte inquiète et ravit. On regarde cette étendue d’eau faussement sage comme si l’on pouvait voir dans un miroir le reflet de la vie qui passe. Sa forme, justement, évoque paraît-il la dépouille d’un géant endormi en chien-de-fusil dont le corps a été brulé au point de faire fondre la glace des sommets voisins. Voilà comment serait né le Wakatipu, immense cicatrice d’un géant englouti mais aussi matrice d’une syllabe inconnue.
Il est encore tôt le matin mais déjà des effluves de thé et de café mêlés aux parfums des pains chauds et du miel ont envahi la salle d’où, sans effervescence, je conçois de m’échapper pour laisser la fête citadine aux autochtones.
A dire vrai, mon choix se limite à la seule route ouverte ce jour-là, à l’ouest de Fernhill : la Glenorchy Queenstown Road qui longe le lac mollement vers le sud-ouest puis brusquement et résolument vers le nord-ouest.
Comme un miroir où se reflète la vie.
C’est une route qui joue avec tous les éléments qu’elle traverse ou côtoie. Jamais droite, tantôt elle s’approche de l’eau au point presque de la toucher, tantôt elle virevolte et s’élève entre buissons et rochers comme accrochée à une falaise qu’elle entend narguer. Elle est un ruban gris avec des coutures jaunes entre deux bleus qui se toisent sous l’arbitrage d’un vert intensément brillant. De temps à autre, elle rappelle à son passant qu’il doit limiter ses ardeurs et virer prudemment. Au prix d’escarpements hardis, de plongeons vifs et de virages infiniment centrifuges, l’asphalte fait avaler une distance qui n’a pour mesure que l’espace indomptable des deux villes qu’elle relie.
Un lien terrestre…
…qui relie des extrémités.
Atteindre Glenorchy c’est rencontrer l’alliage étrange de l’éloignement et du temps.
Quarante-cinq kilomètres d’un côté, trois-quarts d’heure de l’autre, mais au fond est-ce utile de compter ? Ici l’innombrable s’invite dans les sensations, et parce que les yeux ont besoin de se poser sur ce qui leur semble ne jamais être une limite, parce que le corps a besoin de s’étirer pour être à l’échelle de ce qui le dépasse.
Glenorchy est une porte par laquelle je pénètre dans l’ailleurs, rien ne s’achève ici et les perspectives d’excès sont pléthoriques.
La ville pourrait-être une impasse car tout semble s’y poser sans autre-part et c’est en même temps une amorce de partance.
Une nature exubérante.
Il est question de me poser un instant, pour tenter notamment de comprendre ce qui se passe tout autour. Les maisons sont à la fois distantes les unes des autres et suffisamment rapprochées pour constituer ce qu’ailleurs on appellerait un bourg ou un village, ce qu’ici on appelle ville. Il y a à la fois du coutumier et de l’indescriptible dans un accueil obligeant fait de sourires abondants et de café roboratif, l’heure est partageuse. On ne demande rien, le lieu est ouvert, dehors ou dedans, comme on veut. Je serais tenté de devenir rapidement familier, un œil vers les sommets qui envoûtent l’horizon me ramène rapidement vers une retenue respectueuse. La journée avance, le temps recule. Est-ce le moment de marcher, de continuer, d’attendre ? Tout à la fois, avec un moment suspendu entre fin et nulle part, un repas froid posé sur une table isolée qu’un banc de cailloux tient hors des eaux qui l’entourent.
Un café au goût d’infini.
Une table sous l’infini..
Marcher, oui,
Sentir un assujettissement tellurique sous les pieds qu’un chemin de bois zigzagant au-dessus d’un étang habité d’une faune impatiente et bavarde étire suavement. Le moindre chatoiement de reflet s’amuse à jouer des montagnes qui font reculer l’horizon, je m’approche de la rivière Dart qui vient de capter le courant gracile de la Rees, sa sœur orientale, toutes deux s’apprêtent à nourrir le lac de tout ce qu’elles ont dérobé aux neiges éternelles de sommets dont il n’est pas étonnant qu’ils aient pour nom Head ou Chaos. Il est possible d’aller plus loin, dans des hors-limites déhiscents, une vie n’y suffirait pas. J’ai suivi un chemin vers des cimes d’où se contemplent des étendues qui coupent le souffle, j’ai poursuivi jusqu’au pont à voie unique la route qui franchit un delta d’eaux glacées dont le dernier tumulte préfigure la naissance du lac dont j’ai senti tout le temps la respiration profonde.
J’ai trouvé partout des envies de revenir un jour, longtemps.
Où les sommets se voient profondément.
Une profusion de possibles.
La dernière vision de Glenorchy, à proximité de sa gare désertée par des rails devenus inutiles, de ses maisons douillettes au cœur d’une géologie pléthorique et démonstrative, c’est l’abouchement des innombrables torrents et rivières qui dévalent des hauteurs et offrent au lac naissant une multitude de confluences roulant au gré des saisons des pierres ou des branches qui sont un estran fluvial hérissé de ces bois rincés plantés comme des épouvantails sur leur lit de graviers et de cailloux. Je vais quitter un écrin démesuré de rêves, je vais maintenant reprendre la route vers Queenstown et me laisser bercer par des courbes enivrantes fort de la vitalité pénétrante que j’ai sentie. Queenstown ?
J’avais presque oublié ce point de départ, la civilisation assumée qu’il concède à ceux qui y habitent, le confort douillet de ses sentes balisées, les havres innombrables où abriter ses joies, ses convoitises. J’y reviens comme augmenté d’un bienfait.
Un large estran glaciaire.
Plus de feuillets du Carnet d’horizons
le site de l’office du Tourisme 100% New Zealand et la page dédié à Glenorchy
« Cette ville rustique est véritablement un paradis pour les férus de plein air. Adossée aux lisières de forêts de hêtres primaires et entourée de massifs montagneux, Glenorchy ne peut qu’inspirer en profondeur. » (extrait librement traduit)
Pour s’y rendre depuis les pays en voie de développement comme la France :
le plus simple consiste à viser d’abord Christchurch, capitale de l’Ile du Sud de Nouvelle Zélande.
Ensuite, l’obsédé du carbone peut continuer en avion et prendre un vol intérieur jusqu’à Queenstown, soit une heure qui sera captivante car les ailes des passagers effleureront des paysages insensés. L’étape essentielle regorge d’hôtels, de motels, de restaurants, la profession de foi commune est la conjugaison de l’accueil, du confort et de la qualité.
Le plus simple, qui se révèlera rapidement ne pas être le plus succinct, reste l’automobile. 480 kilomètres soit 6 heures théoriquement : Lake Tekapo, Wanaka, Cromwell seront parmi les étapes d’une route ébouriffante tendant de véritables pièges au pérégrin tant il aura vite l’envie de s’y perdre des siècles durant.
Pour atteindre Glenorchy depuis Queenstown ou Fernhill, suivre simplement la route indiquée sur la carte ci-dessous et se laisser séduire.
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