Culture

Hommage à Let’s Dance, de David Bowie : Modern Love ou un nouveau genre d’amour

Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 30 mars 2023

[And so rock ?] Il y a 40 ans, le 14 avril 1983, paraissait Let’s Dance. David Bowie a minutieusement préparé le succès de son 15ème album : une tournée mondiale étalée de mai à décembre 1983, The Serious Moonlight Tour, et quatre singles mythiques pour la promotion : Let’s dance (mars), China Girl (mai), Without you (novembre). La postérité de Modern Love, le titre qui ouvre le disque, sorti en septembre, constitue pour Calisto Dobson « une parfaite représentation de ce qu’il peut advenir du sens séminal d’une œuvre ». Ses reprises au cinéma lui donnent une nouvelle dimension : Mauvais Sang (Carax), Frances Ha (Noah Baumbach), Nos 18 ans (Berthe), entre autres. Alors un amour toujours moderne.

Un tournant du transformiste de la pop music

Le 14 mars 1983, lancé aux avant-postes de la sortie du 15e album de David Bowie, Let’s Dance, le single éponyme a déferlé sur la planète pop. Œuvre considérée au moment de sa sortie en deçà des sommets créatifs du «  transformiste » de la pop music, pour la rupture qu’elle créait, Let’s dance a depuis été largement réhabilitée. Son influence a éclaboussé une part non négligeable des clinquantes années 80.

Il s’agit d’un nouveau départ dans la carrière de David Bowie, débarrassé de son addiction à la cocaïne, rasséréné par une hygiène de vie irréprochable, doté d’un nouveau manager et d’une nouvelle maison de disques (EMI), tout est savamment préparer pour programmer un succès commercial d’envergure. Il a passé commande à Nile Rodgers, le producteur compositeur new-yorkais prolixe passé maître du disco et de la funk.  Le guitariste du groupe Chic est moralement exsangue. Disco Sucks, la campagne de démolition de la musique disco orchestrée par un DJ de Chicago, les remerciements de la maison Atlantic ainsi que la séparation de son groupe pour déconvenues commerciales lui ont laissé un goût cocaïné amer.

En faisant appel à lui, Bowie sait exactement ce qu’il fait, son flair légendaire pour être en avance sur son temps est à nouveau opérationnel. Trois décennies avant les Daft Punk, entendez les rutilantes sonorités déployées sur Criminal World, sixième plage du disque, reprise du groupe Metro, elles sonneront familières à tous ceux qui se sont énamourés de Get Lucky, le méga-tube planétaire des décasqués de la French Touch.

Nile Rodgers n’a pour ordre de mission que la pochette d’un album de Little Richard, où ce dernier, tout en pompadour ébouriffante habillé de pied en cape dans un costume rouge, grimpe dans une flamboyante Cadillac rouge. En lui mettant la pochette sous le nez, Bowie  s’est exclamé : « voilà le rock’n’roll ». Bien que sceptique après l’écoute de la première version de Let’s Dance, sur une guitare acoustique 12 cordes sur laquelle il n’en reste que six, Nile Rodgers s’exécutera…
L’album se vendra à pas loin de 11 millions d’exemplaires vendus, la tournée sera suivie par un public de plus de 2,6 millions personnes.

Bowie atteint son acmé commerciale.

Let’s Dance, le premier single éponyme sort le 14 mars et sera N°1 des ventes un peu partout et seul single de Bowie à l’être simultanément en Grande Bretagne et aux USA. Le 24 septembre Modern Love sort en single.

The Serious Moonlight Tour prend son rythme de croisière de luxe.Bowie toujours aussi avisé offre une rampe de lancement à un jeune guitariste, qui refusera de partir en tournée avec lui. Deux mois plus tard sortira Texas Flood de Stevie Ray Vaughan & The Double Trouble.

“L’Amour Moderne”… Quèsaco?

La référence à Little Richard, notoirement un des premiers noirs homosexuels du Rock’n’Roll, Bowie affirmant lui-même qu’il fût un des inspirateurs du titre, peut laisser penser qu’il a écrit une chanson gay. Modern Love serait tiré d’une expression du milieu gay new-yorkais et l’Amour Moderne semble de plus en plus inaccessible, le ver mortel étant dans la Grosse Pomme. Le SIDA est là.
En effet les paroles semblent absconses. Bowie n’est-il pas un adepte du cut up ? Cette technique mise au point par William Burroughs, écrivant sur des bouts de papier qu’il mélange après les avoir découpés.
En creusant vous trouverez finalement un peu tout ce que vous voudrez, un forum de fans, explique qu’il s’agit là d’une pseudo confession de la part du maître caméléon au sujet de sa bisexualité. Lorsque sont décortiqués les vers de la chanson, il semble facile d’y trouver ce sens caché… To be gay or not to be gay

Marc Spitz, son biographe, opte pour une interprétation plus terre à terre. Il s’agirait de quelqu’un qui serait parti au loin, qu’il n’est pas question d’un travail mais du pouvoir de charmer, que les temps nouveaux le terrifient mais qu’il utilisera la peur pour la rendre positive. Serait-ce une allusion à son divorce trois ans plus tôt ?

Le critique Nicholas Pegg quant à lui, donne une version plus universelle, Bowie aborderait le thème récurrent du conflit entre Dieu et l’homme dans un monde laïque, tout en soulignant le rappel de la conclusion réitérative de Ashes to Ashes  “get things done” (faire avancer les choses).

Ailleurs sur le net se trouve une toute autre explication, la chanson se poserait la question de comment vivre sans amour. …
Serait-elle inspirée par le poème Modern Love du britannique George Meredith, publié en 1862 ? Bowie a-t-il eu connaissance de cette œuvre ? En définitive la seule chose qui semble claire reste le titre, l’Amour Moderne.
Contre toute attente, cette chanson, considérée de prime abord comme « superficielle », est définitivement entrée dans le panthéon de l’œuvre de Bowie. Elle s’est transformée en un « hyperlien virtuel temporel » qui a fini par illustrer de façon magistrale l’intention séminale de l’auteur.

J’aime l’idée que (les paroles soient) un médium que les autres peuvent interpréter ou utiliser comme ils l’entendent.
David Bowie Is, exposition Philharmonique de la Ville de Paris

Une postérité plutôt solide

L’usage et le parcours de cette chanson prennent un tour intéressant lorsqu’en 1986, Modern Love inspire Léos Carax qui s’en sert pour une scène instantanément culte de son deuxième film, Mauvais Sang. La séquence montre la course effrénée du personnage principal, Alex interprété par l’acteur alter ego de Carax, Denis Lavant à l’allure brute et étrange. De nuit, dominée par la couleur rouge, cette petite minute de tension lyrique est une fuite éperdue en avant entre sursaut, convulsion et acrobatie s’accompagnant des gesticulations du personnage qui se tord le ventre de douleur. Léos Carax sait très bien ce qu’il fait lorsqu’il choisit ce titre, aucun doute là-dessus, même si au bout du compte, il choisit une des interprétations possibles de la chanson, l’amour moderne menacé par le mauvais sang rend universel son danger mortel, son héros mourant à la fin du film. Par amour ou pas, chacun jugera.

26 ans plus tard, le cinéaste américain, Noah Baumbach, réutilise ce titre de Bowie en rendant un hommage appuyé à travers le temps à la désormais fameuse séquence de Mauvais Sang et au propos de Carax. Dans son film, Frances Ha tourné en noir et blanc, le personnage principal, joué par Greta Gerwig court de jour, dans la rue au son de Modern Love. Frances court dans le sens inverse d’Alex, le protagoniste de Mauvais Sang, elle semble aller à sa rencontre. Autant la course de ce dernier transpire le mal être autant celle de Frances semble légère, enjouée. Elle court avec le sourire, elle vole presque et en guise de gesticulations titubantes et autre cabriole, elle enchaîne une série de rotations à 360° sur elle-même tout en courant. En moins d’une minute, 26 ans plus tard, la vie est en noir et blanc, elle court et rentre chez elle, au claquement de la porte derrière elle, la chanson stoppe nette, elle est seule… 26 ans après les années SIDA, l’amour moderne n’est plus mortel mais terriblement rempli de solitude.

2007, Frédéric Berthe l’intègre dans la bande originale de son film, Nos 18 ans et la même année celui de Stéphane Kazandjian en porte le titre sans la chanson. Elle apparaît également en 2009 dans Adventureland de Greg Mottola et en 2010 dans Hot Tub Time Machine de Steve Pink, enfin en 2014 elle est présente dans le film brésilien Au Premier Regard de Daniel Ribeiro.

Quoi qu’il en soit, L’amour moderne ou pas reste ce sujet inaltérable qui poursuit chacun d’entre nous de notre réveil jusque dans les rêves les plus enfouis de notre sommeil…

#Calisto Dobson

Articles similaires

Les Excellents revendiquent d’exécuter Les Beatles et d’autres trucs (Café de la Danse)

Voir l'article

[And so rock ?] Hommage à November’s Heat by Certain General (L’Invitation au Suicide, 1984)

Voir l'article

[And so rock ?] Robert Wyatt, Rock Bottom (1974) Virgin Records

Voir l'article

[And so rock ?] Punk.e.s , de Rachel Arditi et Justine Heynemann

Voir l'article