Culture

L’envers des ombres, de Céline Navarre (Gallimard), un premier roman qui fait mouche

Auteur : Frédéric Martin, blog 5,Rue du
Article publié le 9 février 2025

(Littérature) Parfois, les rencontres avec un livre se font par des hasards assez étranges, mais heureux. Celle que Frédéric Martin a faite avec L’envers des ombres, de Céline Navarre paru aux éditions Gallimard en 2023 a pris la forme d’un énigmatique post sur Instagram. Attiré par le titre de l’ouvrage, il a suivi le fil de ce premier roman au style remarquable pour découvrir l’univers de l’autrice, parfois candide, parfois faussement naïf, mais toujours nourri d’une poésie tendre et délicate qu’accompagne une lucidité tragique. 

Un premier roman, nourri d’une poésie tendre et délicate

L’envers des ombres évoque une frange de la vie de la narratrice, Lily, qui doit retourner sur ses terres natales des Vosges Saônoises suite à la fugue de sa mère de l’hôpital psychiatrique où elle est enfermée depuis bien des années. Peu à peu, au fur et à mesure des recherches, les souvenirs se télescopent entre l’enfance rurale de Lily, sa vie parisienne de jeune adulte et le retour vers cette campagne au parlé rugueux, aux paysages de Canada miniature.

De sa mémoire surgit la violence d’un père qui humilie une mère rêveuse et trop peu armée pour se défendre. Viennent aussi des cafés parisiens, le monde de l’édition, les faux-semblants. Lily oscille d’un univers à l’autre, parfois candide, parfois faussement naïve, mais toujours avec une forme de poésie tendre et délicate qu’accompagne une lucidité tragique.

« Un matin, Maman dénoyautait une passoire de cerises sur un prospectus d’Intermarché. Les Triscottes étaient en promotion. J’aimais bien les Triscottes parce que quand Papa parlait et que j’en mangeais, je n’entendais pas les phrases en entier. Cela pouvait me laisser croire qu’il disait peut-être quelque chose de gentil. Il y a tant de façons de ne pas vouloir entendre. »

Un livre au style remarquable

Chacune des phrases, ciselée, précise, porte le lecteur dans des univers et une réflexion qu’il peut méconnaître. Nous devenons parisiens ironiques, vosgiens mélancoliques par le simple truchement des mots. Quel talent ! La bascule qui s’opère régulièrement d’un espace à l’autre présente là aussi une fluidité des plus remarquables.

Mais il ne faut pas circonscrire L’envers des ombres à un simple exercice de style.

L’histoire, ce qu’elle nous dit de l’humain, de l’enfance, des espoirs réalisés ou déçus, de la violence, de l’alcool, du mépris, de la beauté du monde pourrait devenir une forme de roman initiatique.

Que se cache-t-il dans ces recoins, derrière ces ombres ?

Que peut y trouver une enfant ? Une jeune femme ? Des monstres parfois, l’arrogance de ceux qui possèdent le pouvoir. Le père, l’éditeur… Ce père qui frappe sa femme, qui la pousse au bout du bout de sa folie et devient l’artisan de sa propre destruction.

On ne sait rien de la vie des gens, c’est peut-être le plus grand enseignement ici. On ne sait rien et au mieux, nous pouvons supputer, théoriser, imaginer. Mais derrière le paravent du quotidien, l’épaisseur de l’ombre cache des in-sus, des douleurs, des drames. Peut-être est-ce là ce qui fait la magie du texte : cette capacité à dire le pire sans verser dans le pathos et à ouvrir un espace réflexif.

Au sein de l’opacité de Lily, il y a cette petite fille qui mâche des Triscottes. Dans l’opacité de la folie de cette mère, il y a les coups, les marques. Et pour l’opacité de tante Ida, de ses cigarettes fumées à la chaîne, il y a des deuils et des hontes.

Qui y a-t-il pour nos propres ténèbres ? Et ceux de ceux et celles qui nous entourent ?

Il ne reste plus maintenant qu’à attendre avec impatience le second roman de Céline Navarre. Gageons qu’il sera au moins aussi beau, aussi bon, aussi prenant et qu’il nous emportera dans des ailleurs à éclairer.

Frédéric Martin

Pour suivre Frédéric Martin

Le site de Frédéric Martin où se trouvent ses différents travaux photographiques

Ses blogs de chroniqueur

A voir

Sérotonine, film photographique

Partager

Articles similaires

La Comédie Humaine de Balzac prend vie avec les voix d’Arnaud Marzorati et ses Lunaisiens (cd Alpha)

Voir l'article

Agnès Pyka, cheffe de l’ensemble Des Equilibres lance son Trans Europe Express

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi, comédienne, Le Radeau de la Méduse

Voir l'article

Hommage de Grégory à son père, Marcel Mouloudji, L’amour, l’amour

Voir l'article