Gastronomie
La blanquette de veau : plat national patrimonial
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 12 septembre 2019 à 12 h 19 min – Mis à jour le 28 septembre 2019 à 8 h 52 min
Plat du lundi devenu « plat du jour »
Au XIXe siècle, quand la France a commencé à s’embourgeoiser — rappelons qu’à l’origine, les bourgeois sont des ruraux qui ont quitté leur campagne pour ouvrir des commerces dans les bourgs (d’où leur nom) et qui sont restés attachés aux valeurs terriennes d’une bonne économie domestique — la classe moyenne a pu acheter régulièrement de la viande. Toutefois, celle-ci n’était pas forcément au menu tous les jours. On privilégiait surtout les bas-morceaux et les abats pendant la semaine, réservant les volailles et les viandes chères au dimanche, comme justement le veau. Et toujours en vertu de cette bonne gestion, il eut été impensable de ne pas utiliser les restes d’un plat, quel qu’il fût.
C’est ainsi que les restes du rôti de veau dominical étaient coupés en petits morceaux et accommodés le lundi en un ragoût avec ajout de légumes et de champignons, le tout lié par une sauce épaisse à la farine (un roux) que l’on crémait plus ou mois pour la rendre appétissante. Une recette tout de même plus classe que les ravioli pour commencer la semaine !
Toujours est-il qu’une cuisinière plus audacieuse que les autres eut sans doute l’idée de préparer ce plat de seconde main avec du veau cru et qu’ainsi « revisité », il se démocratisa au point de devenir un incontournable du registre populaire et de la cuisine de bistrot. Et n’est-il pas cocasse qu’une recette mettant en scène les reliefs d’un plat du dimanche soit devenue l’un des symboles les plus forts de notre patrimoine culinaire ?
Plat de la littérature populaire
Véritable institution au XXe siècle, entre les deux guerres, dans les établissements où même les ouvriers sortaient désormais s’encanailler, la blanquette s’ancra jusque dans la littérature populaire — et surtout policière — puisqu’elle était le plat préféré du commissaire Maigret chez Simenon, et celui du commissaire San-Antonio dans la série éponyme chez Frédéric Dard, lui conférant définitivement une connotation franchouillarde.
Plat monochrome
La blanquette tire évidemment son nom de blanc : viande blanche, roux blanc, vin blanc, crème fraîche, blancs de poireaux, petits oignons blancs et champignons blancs (de Paris) eux aussi. Et il est impératif qu’aucun ingrédient ne donne une coloration marquée au plat, à aucune étape de la cuisson. Il est d’ailleurs à signaler que le consensus pour ce plat vient aussi du fait qu’il s’agit d’une viande blanche — qui plus est mijotée — qui n’a donc pas l’aspect sanguinolent des viandes rouges faisant taxer leurs amateurs de viandards. C’est un plat virginal de saveur douce sinon doucereuse. Mais sous cet aspect politiquement correct, se cache un plat tout en gourmandise que certaines déclinaisons peuvent même rendre impertinent. Ainsi par exemple, Flora Mikula remplace-t-elle la crème par du lait de coco… ce qui en fait une originale et agréable variante.
La recette
Concrètement, la blanquette est un ragoût de viande blanche revenue dans une fondue d’oignons, mouillé au vin blanc et au bouillon que l’on agrémente de légumes traditionnels (carottes, blancs de poireaux, petits oignons blancs grelots glacés à part et champignons de Paris), le tout lié par un roux blanc (qui n’est pas une sauce blanche).
Pour une blanquette à la fois plus savoureuse et plus économique, il est judicieux de mélanger des morceaux avec et sans os. Autrefois, on la réalisait avec des morceaux cartilagineux comme des tendrons ou, mieux encore, un mélange de morceaux tels que flanchet, collier et épaule. Mais il est un fait qu’en restauration il n’est ni pratique ni élégant de ronger des os en public, aussi la blanquette ne se fait plus (presque exclusivement) qu’avec de l’épaule coupée en cubes réguliers. Bien entendu, le veau doit être blanc à peine rosé. Il ne peut s’agir d’un veau broutard. Surtout, pour que la blanquette ait une belle rondeur, il faut écumer régulièrement la viande, mener la cuisson à tout petit frémissement et faire réduire le bouillon jusqu’à ce qu’il soit très corsé. Et pour plus d’élégance et de légèreté encore, la restauration utilise fréquemment des légumes miniatures (carottes fanes, poireaux crayons, champignons boutons ou même girolles têtes de clous), ce qui n’a pas lieu d’être à la maison où les légumes rustiques font très bien l’affaire. De la même manière, on n’y met plus toujours du vin sous couvert de diététique.
Liaison dangereuse
Mais la réussite de la blanquette réside surtout dans sa liaison. Il y a deux écoles : la liaison classique à la crème et la liaison « à l’ancienne », plus sophistiquée, qui consiste à battre la crème avec un ou deux jaunes d’œufs. Question de goût. Mais attention ! La blanquette étant un plat mijoté, elle passe souvent pour meilleure réchauffée. Or, ce n’est vrai que si la liaison est exclusivement à la crème. Car si elle comporte des jaunes d’œufs, la sauce risque de grumeler au réchauffage.
Enfin, en dernier lieu, il est bon — mais pas obligatoire — d’aciduler la sauce avec un filet de jus de citron. À moins que, comme le faisaient nos grands-mères, vous n’ajoutiez à votre blanquette quelques cornichons coupés en rondelles ou même une cuillerée à soupe de câpres, comme le faisait Félicie, la mère du commissaire San-Antonio.
Fidèle à ses garnitures
La blanquette de veau s’accompagne presque immuablement de riz blanc — à l’auberge Pyrénées-Cévennes à Paris, Pierre Négrevergne sert sa blanquette « à l’ancienne » et l’accompagne d’un riz basmati grillé — ou de petites pommes de terre à l’anglaise (cuites à l’eau) ou vapeur.
Où la savourer, avec quels vins
La blanquette n’est pas forcément présente en permanence sur les tables citées mais elle y revient régulièrement en tant que plat du jour.
• Auberge des Pyrénées-Cévennes, 106 rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris –
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• Auberge des Pyrénées-Cévennes, 106 rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris –
Tél. 01 43 57 33 78 – Ouvert de 12 h à 14 h et de 19 h à 22 h 30 sauf le dimanche.
• Allard, 1 rue de l’Éperon/ 41 rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris – Tél. 01 43 26 48 23
Ouvert tous les jours de 12 à 14 h et de 19 à 22 h 00.
• Au Petit Tonneau, 20 rue Surcouf, 75007 Paris – Tél. 01 47 05 09 01
Ouvert tous les jours de 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 22 h 15
• Restaurant Le First au Westin, 234 rue de Rivoli, 75001 Paris – Tél. 01 44 77 10 40 –
Ouvert tous les jours de 6 h 45 à 23 h 00
• Toquéo (Yann Oudni, chef à domicile), 50 avenue Jehan de Chelles, 77500 Chelles –
Tél. 06 70 74 95 27 – Tous les jours de 8 h à 22 h 00
Les vins pour l’accompagner…
Les blancs
Blanquette rime plutôt avec vin blanc. Vin blanc sec, mais tout en douceur :
• Bourgogne Les Sétilles 2017, Olivier Leflaive, 100% chardonnay.
Très élégant avec ses arômes de fleurs blanches, de pêche, d’amandes grillées et d’écorce de citron sur une trame minérale, il sera le parfait promis d’une mariée tout en blanc : une blanquette à l’ancienne. Son attaque pleine et chaleureuse et sa finale vive et gourmande relaieront à plaisir les saveurs à la fois douces et franches qui se conjuguent dans la blanquette. Prix : 18 € départ domaine et en vente chez les cavistes. Olivier Leflaive, Place du Monument, 21190 Puligny-Montrachet – Tél. 03 80 21 37 65
• Saint-Aubin 1er cru Sur le Sentier du Clou 2017, domaine Roux, 100% chardonnay.
Nez mûr fleuri (fleurs blanches), fruité (abricot, pomme) et épicé (épices douces, cannelle). Bouche harmonieuse et veloutée entre matière et fraîcheur. Finale longue. Sur une blanquette traditionnelle à l’ancienne. Prix indicatif : 34 € départ cave. Domaine Roux, 42 rue des Lavières, 21190 Saint-Aubin Côte d’Or – Tél. 03 80 21 32 92
• Chablis 1er cru Vau de Vey 2018 L’Églantière du domaine Jean Durup Père & Fils, 100% chardonnay. Nez de fleurs blanches mâtiné de lilas, fruité (pomme, agrumes, citron, pomelo), aux notes d’épices douces (poivre blanc, cannelle). Bouche gourmande, harmonieuse, entre matière, fraîcheur et fruits blancs. Bonne longueur en bouche. Sur une blanquette acidulée. Prix indicatif départ cave : 17,30 €. Jean Durup Père & Fils, 4 Grande Rue, 89800 Maligny – Tél. 03 86 47 44 49
• Limoux Toques & Clochers Terroir Haute Vallée 2016 de Sieur d’Arques, 100% chardonnay.
Nez de fleurs blanches et de fruits secs (raisins de Smyrne, abricots) finement épicé (poivre blanc, muscade). Bouche ample, équilibrée entre matière, fraîcheur, noisette-amande, finement pimentée, citronnée et minérale. Belle longueur en bouche.
Prix indicatif : 29 € le magnum. Sieur d’Arques, Avenue du Mauzac, BP 98, 11303 Limoux cedex – Tél. 04 68 74 63 00
• Beaujolais (blanc) 2018 des domaines Piron, 100% chardonnay. Son nez de fleurs blanches (aubépine) fruité brugnon-agrumes avec une touche de cumin et d’amande fraîche et sa bouche tendue, minérale et fruitée, tout en fraîcheur avec une jolie persistance citronnée et mentholée sont épatants pour accompagner une blanquette légèrement acidulée. Prix : 10 € départ cave.
Domaines Piron, 69910 Villié-Morgon, Tél. 04 74 69 10 20
• Bourgogne 2018 Gamme Signature de Vinescence (Cave des Vignerons de Bel-Air), 100% chardonnay. Nez de fleurs blanches (aubépine), de fruits exotiques (litchi-mangue), de brugnon, de fruits secs (raisins de Smyrne, noisettes). Bouche harmonieuse et longue entre matière, fruit et fraîcheur. Prix : 8,10 € départ cave. En vente aussi chez les cavistes.
Vinescence – Cave des Vignerons de Bel-Air, 131 route Henri Fessy, 69220 Saint-Jean-d’Ardières – Tél. 04 74 06 16 05
• Saumur Clos de la Thibaudière 2014 du domaine de Rocheville, 100% chenin, cépage récolté sur l’une des plus belles terres à blancs d’Anjou. Charnu, vif et équilibré, ce vin révèle en son for intérieur des arômes fruités et soyeux qui sauront caresser Dame blanquette en bouche, comme un amant plus délicat qu’on ne l’aurait cru. La longue finale minérale rappelle toutefois qui est l’homme de ce beau couple. Prix : 19,50 € sur l’e-boutique.
Domaine de Rocheville, Les Hauts de Valbrun, 49730 Parnay – Tél. 02 41 38 10 00
• Sancerre Terre de Silex 2017 du Château de Sancerre, 100% sauvignon. Notes citronnées et fumées au nez et bouche structurée avec une attaque acidulée, fraîche et vive, marquée par une belle minéralité et des notes citronnées. Sur une blanquette acidulée. Prix : 16 € environ, vente directe et cavistes. Château de Sancerre, 6 rue Porte César, 18300 Sancerre- Tél. 02 48 78 51 53
• Vouvray cuvée Rochefleurie 2018 de la famille Bougrier, 100% chenin. Son nez de fruits à chair blanche (pomme-poire-coing), d’amande fraîche et de fleurs blanches que relève une pointe de poivre blanc et de baies de genièvre seront en cohérence avec l’harmonie monochrome de la blanquette. La bouche fraîche, minérale, expressive et fruitée jusque dans la persistance lui seront comme un hommage. Prix : 7,95 € départ cave.
Famille Bougrier, 1 rue des Vignes, 41400 Saint-Georges-sur-Cher, Tél. 02 54 71 31 02
• Côtes de Provence La Londe bio Confidentielle 2018 de Figuière, 100% vermentino (rolle).
Nez expressif et élégant sur les fruits exotiques, agrumes et des notes d’amandes torréfiées. Bouche fraîche et ample aux flaveurs boisées et à la finale longue et généreuse. Un vin riche, complexe et original, partenaire suave d’une blanquette faisant la part belle aux champignons (de Paris, mousserons ou pourquoi pas girolles). Prix : 27,20 € en vente directe départ cave ou chez les cavistes. Figuière, 605 route de Saint-Honoré, 83250 La Londe-des-Maures – Tél. 04 94 00 44 70
• Roussette de Savoie cru Marestel 2018 de la cave du Prieuré, 100% cépage Altesse.
Nez fruité ananas-fruits à chair blanche, épices douces, estragon. Bouche ample, très harmonieuse entre fruit, fraîcheur et matière, avec une légère amertume finale, finement poivrée et agrumée. Convient aussi bien à une blanquette de veau qu’à d’audacieuses déclinaisons de blanquette de lapin ou de dinde. Prix : 11,90 € départ cave. en vente aussi chez les cavistes.
Cave du Prieuré (Barlet Raymond et Fils), Le Haut, 73170 Jongieux – Tél. 04 79 44 02 22
• Chignin-bergeron Le Grandbossan 2016 d’‘André et Michel Quénard, 100% bergeron (roussanne). Nez frais et intense, fruité pâte de coing-poire, fruits secs noix-cacahuètes, lait de coco, finement épicé gingembre avec une touche de cumin. Bouche bien équilibrée entre élégance, ampleur et une grande fraîcheur, note minérale et jolie persistance sur l’abricot confit avec une touche saline. Parfait sur une blanquette où l’on aura remplacé la crème par du lait de coco. Prix : 14,90 €. André et Michel Quénard, Toméry, Cidex 210, 73600 Chignin – Tél 04 79 28 12 75
Les rouges
Toutefois, pour les inconditionnels du rouge, un vin souple peut parfaitement faire l’affaire. À titre d’exemple, proposons celui-ci :
• Côtes-du-Rhône Terre des Galets 2018 du domaine Richaud (40% grenache, 30% syrah, 15% carignan, 10% mourvèdre et 5% counoise). Souple et fruité sont les deux mots qui peuvent résumer sa dégustation : nez aux arômes de fruits rouges et d’olive noire, bouche gourmande, fraîche et équilibrée sur des notes de violette. Volupté douce qui préservera tous le soyeux de la blanquette. Prix : 11 €.
Domaine Richaud, 470 route de Vaison-la-Romaine, 84290 Cairanne – Tél. 04 90 30 85 25
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