Culture

La Cache, de Lionel Baier, une famille-tribu dans les affres de mai 68

Publié par Patrice Gree le 24 mars 2025

De sa brillante adaptation du roman (prix Femina 2015) de Christophe Boltanski, Lionel Baier nous plonge dans la vie de la famille Boltanski, dans leur appartement-nid à la fois refuge et campement rue de Grenelle au milieu des événements de mai 68. Bohème et baroque, mi-intellectuelle, mi-artistique, la tribu avec ses quatre générations est scrutée par le jeune Christophe, 9 ans qui n’a pas sa curiosité dans la poche !
Ce qui fait le charme singulier du film, pour Patrice Gree, c’est la place laissée à l’imaginaire et à la parole ! Jamais contrariée, toujours explorée et très émouvante.

C’est l’histoire d’un nid !

Un gros nid de près de 150 m2, sur deux niveaux, rue de Grenelle en 68.
Au-dehors… les barricades, les slogans rigolos, la chienlit, rue Cujas, les pavés qui volent, les bagnoles qui brûlent, les flics qui chargent, les affiches qui fleurissent, le célèbre couple soixante-huitard « Baden Baden et Cohn Bendit« , le vide et le plein, le passé et l’avenir…enfin qu’on croyait !
Au dedans, c’est vu au sens propre et figuré d’un hôtel particulier de la rue de Grenelle  par une famille-tribu à la fois soudée et conflictuelle, qui se retrouve à nouveau prise dans les tourmentes de l’histoire raconté par Christophe (Ethan Chimienti), 9 ans. L’appartement redevient alors, le refuge protecteur qu’il fut durant la guerre et la matrice d’un nouveau monde à naître vingt-trois années plus tard !

La France était enceinte de mai 68… l’enfant fut beau et en fit baver des ronds de chapeau à ses parents lorsqu’il eut 20 ans à son tour ! la vie d’une famille juive, bourgeoise, mi-intello, mi-artiste, bohème et baroque, installée et marginale, qui fait tribu entre campement et disputes…

La Cache, de Lionel Baier photo Les films du Losange

Quatre générations frottent leurs rêves et leurs mémoires

L’arrière-grand-mère (Dominique Reymond) dite « l’arrière pays », née à Odessa, de son lit dans sa chambre pleine à craquer comme une roulotte de diseuse de bonne aventure, veille en actrice talentueuse sur la mémoire familiale. Le grand-père joué par un Michel Blanc émouvant et essoufflé – ce sera son dernier rôle au ciné – est un médecin fragile et modeste, anxieux et hanté par sa jeunesse de juif parisien, marqué au fer rouge de l’étoile jaune, restera planqué plusieurs années dans « la cache » de l’appartement familial.

La Cache, de Lionel Baier photo Les films du Losange

Pas de pathos mais de l’émotion à tous les étages

Le tragique est gravé dans le marbre de sa mémoire, comme en témoigne la scène de l’apparition brutale de la police dans un resto du quartier latin. La grand-mère aristo désargentée, communiste décidée au caractère trempé, handicapée et solide, enquête sur la dure vie de la classe ouvrière en usine et les journées déprimantes des femmes au foyer fin 60. C’est de sa voiture – une Ami 8 rouge et à gros ressorts – qu’elle mène ses entretiens.

Les jeunes parents de Christophe font la révolution avec les damnés de la terre du carrefour de l’Odéon dans le 6ème arrondissement de Paris.

La Cache, de Lionel Baier photo Les films du Losange

Les Boltanski…ont vraiment existé !

Luc, célèbre sociologue et père de Christophe le narrateur et futur romancier, cohabite avec et entre ses deux frères, Christian l’artiste plasticien à quelques années d’être mondialement connu, et Jean-Élie linguiste génial mais un gros poil obscur, que personne ne pige lorsqu’il s’exprime…quelque soit le sujet !

L’appartement des Boltanski, c’est un ventre maternel !

Personne ne semble vouloir en sortir ! Ventre maternel mais également terrain de camping… on y vit en pyjama, on y mange toutes générations confondues sur l’édredon du lit des grands-parents en regardant Guy Lux et Simone Garnier à la télé, on dort en chiens de fusil à même le sol et on philosophe au saut du lit en étalant une pâte dentifrice Signal sur sa brosse à dent.

La Cache, de Lionel Baier photo Les films du Losange

Ce qui fait le charme singulier de cette famille – et du film – c’est la place laissée à l’imaginaire et à la parole ! Jamais contrariée, toujours explorée, libre et courrant sur quatre générations…

Le réel étant tragique de face, l’imaginaire est alors utilisé, en le contournant par l’art, pour mieux l’explorer…ou lui rentrer dans le chou, selon les tempéraments ou les humeurs du moment !

J’ai adoré ce film, bien sur !

Auteur de l'article

avec Dominique Reymond, Michel Blanc, William Lebghil, Aurélien Gabrielli, Liliane Rovère, Ethan Chimienti, Larisa Faber, Adrien Barazzone, Gilles Privat, Louise Chevillotte

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