Gastronomie
La daube de bœuf dite ‘de la Saint-André’ … et les autres
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 23 novembre 2018 à 11 h 36 min – Mis à jour le 23 novembre 2018 à 22 h 12 min
Bas-morceaux, morceaux choisis
Plat de fête à la campagne où les occasions d’acheter de la viande de bœuf étaient rares, la daube faisait partie du répertoire de cuisine bourgeoise qu’on servait les beaux dimanches après qu’elle eût mijoté longuement dans la bien nommée « daubière » (voir infra).
Mais qu’est-ce qu’une daube ? Mode de cuisson plus que recette, elle se fait généralement avec du bœuf — quand elle est sans qualificatif, c’en est forcément — mais aussi avec d’autres viandes de boucherie (agneau, porc, taureau), du gibier à poil (sanglier, lièvre, garenne) ou à plume (faisan, canard sauvage) voire des volailles (dinde, canard, poularde), la viande considérée étant braisée dans du vin pendant plusieurs heures.
Pour les viandes de boucherie, le choix des morceaux est primordial. On peut braiser une pièce dans son entier (culotte par exemple ou épaule pour un agneau ou un gibier) ou la couper en gros cubes, le fin du fin étant de mélanger plusieurs morceaux — dits bas-morceaux (ce qu’on appelait les morceaux de 3ème catégorie dans les manuels de cuisine de nos grands-mères), c’est-à-dire situés dans la partie arrière de l’animal : culotte, tranche, gîte à la noix, jumeau, macreuse, paleron, basse-côte, galinette (très gélatineux) — pour avoir des textures différentes et une saveur finale plus riche, à la fois de la viande et de la sauce. Des morceaux nécessitant tous une cuisson longue pour être tendres. On peut même leur adjoindre des morceaux du cinquième quartier (on nomme ainsi tout ce qui dépasse de la carcasse et ce qui se trouve dans les entrailles), à savoir, dans le cas présent, joue et queue.
… et bien sûr du vin !
Là encore tout est affaire de viande et de goût. La daube classique se fait au vin rouge mais en Provence, avec la viande d’agneau, on privilégie le vin blanc, tout comme pour les volailles. Encore que la dinde aime soit l’un soit l’autre. Pour le rouge, il vaut mieux choisir des vins corsés très tanniques qui donneront du caractère à la sauce mais pas nécessairement des grands crus qui y perdraient un peu de leur âme. On compte environ une bouteille pour un kilo de viande, sachant que le liquide doit recouvrir entièrement la viande mais qu’on dilue le vin pour moitié avec du bouillon (bœuf ou volaille) ou même tout simplement de l’eau.
On marine ou pas ?
A priori, la daube ne marine guère car l’usage primitif était de faire cuire des pièces de viande entières. Or, c’est moins pratique que de faire mariner des morceaux. Toutefois, défions-nous des a priori ! L’étymologie — qui apporte toujours des réponses, même parfois aux questions qu’on ne se pose pas — ne corrobore pas du tout cette affirmation (voir encadré ci-dessous).
En revanche, ce qui est sûr, c’est que s’il y a marinade, elle est courte, deux heures tout au plus. Exception faite tout de même des daubes de gibier où l’on peut d’ailleurs additionner le vin d’un peu de vinaigre ou de cognac afin d’attendrir les chairs sauvages plus fermes.
Un nom équivoque : vous avez dit « c’est de la daube ? »
Sans faire le tour complet des livres de cuisine basiques pour ne pas dire fondateurs, il est étonnant de constater que « Le Livre de Cuisine de Madame de Saint-Ange » (1927), véritable bible de la cuisine ménagère et garant d’une bonne économie domestique ne fasse aucune allusion à la daube. La daube ne serait-elle pas en odeur de sainteté ?
Et d’ailleurs, pourquoi « C’est de la daube ! » est-elle une expression argotique péjorative et méprisante ? Une bonne daube, c’est pourtant chaleureux et régalant. Eh bien, eh bien, dans son « Dictionnaire des argots », Gaston Esnault explique que « daube » serait un mot d’origine lyonnaise pour dire gâté, appliqué à des fruits et à de la viande. Autrement dit, on faisait mariner la viande qui était un peu limite au niveau fraîcheur, histoire d’atténuer son côté sauvage voire faisandé.
Or, si l’on pousse plus loin, on apprend que le mot « daube » s’est d’abord orthographié « dobe » et qu’en italien, « dobba » signifie marinade. Tiens ! Tiens !
Comme quoi la cuisine est une alchimie parfois un peu trouble, ce que confirme le mot « marmite » dont le sens initial (il était alors adjectif) est… « hypocrite » ! C’est au XIVe siècle que l’adjectif est devenu nom et a pris une connotation culinaire, par allusion au fait qu’on peut faire mijoter bien des choses suspectes dans un chaudron muni d’un couvercle.
De toute façon, en se transmettant de génération en génération et de famille en famille, les recettes s’hybrident.
La farandole des daubes régionales
On retrouve des recettes de daubes dans toutes les régions de France, notamment au Sud de la Loire.
Dans l’extrême Sud-Ouest (Landes, Béarn, Pays basque), on remplace le lard par du jambon cru (avec une belle épaisseur de gras). Dans l’Agenais, on y ajoute des pruneaux.
En Provence, ce sont des olives et un ruban de zeste d’orange séché On y prépare également une daube d’agneau (autrefois du mouton) au vin blanc et aux olives.
En Lorraine, on remplace le vin par de la bière et on ajoute un peu de concentré de tomates. Et vers les deux-tiers ou les trois-quarts de la cuisson, on introduit des pommes de terre coupées en cubes.
Enfin, en Camargue, elle se prépare traditionnellement avec de la viande de taureau.
La daubière, un ustensile indispensable
En grès, en terre ou en cuivre étamé dont le couvercle est pourvu d’un rebord élevé, ce qui permettait de mettre sur ce couvercle des braises et des cendres et ainsi, la daube cuisait dans la cheminée feu dessous, feu dessus.
Plus tard la daubière se fit en fonte pour une cuisson au four. Genre de cocotte au couvercle également à rebord mais moins élevé. Là, c’est de l’eau bouillante qu’on verse sur le couvercle et qu’on renouvelle dès qu’elle est évaporée pour assurer une cuisson plus homogène. Certaines marques comme Staub en fabriquent toujours.
La daube se cuit de préférence à four doux pendant 5 à 7 h. La cuisson peut se faire en plusieurs fois, elle n’en sera que meilleure (sur deux ou trois jours). On peut aussi la faire mijoter en cocotte sur la cuisinière où la cuisson sera plus rondement menée mais la sauce ne sera pas aussi onctueuse.
Les meilleures garnitures pour la daube
Les meilleures garnitures pour accompagner la daube sont les pommes de terre vapeur, la purée, le gratin dauphinois voire des frites (avec la daube servie froide), les pâtes fraîches, le gratin de macaroni, des gnocchi, des tranches de céleri-rave poêlées, une purée de potimarron, de panais, de châtaignes qui peut être truffée.
Dans les Landes plus précisément, l’« estoube » (prononcez estoubé) — autrement dit l’estouffat — se servait traditionnellement avec la cruchade (on l’appelle aussi « escoton » en Béarn), sorte de bouillie de maïs qui servait à « tremper la sauce ». La polenta en est une délicieuse alternative.
Et bien sûr, n’oubliez pas : la daube est encore meilleure réchauffée car la viande est de plus en plus confite et ses sucs se concentrent.
Comment réussir sa daube et l’associer aux meilleurs nectars
Savourer
La daube est un plat de cuisine familiale que l’on retrouve en saison hivernale dans les bons bistrots qui font de la cuisine de terroir (voir la sélection Paris-Bistro).
Nos conseils pour réussir :…
Savourer
La daube est un plat de cuisine familiale que l’on retrouve en saison hivernale dans les bons bistrots qui font de la cuisine de terroir (voir la sélection Paris-Bistro).
Nos conseils pour réussir : la viande mais pas que… Et ce n’est pas tout.
Pour donner du goût et de la densité à la sauce, il faut encore ajouter :
1 – Des os. Si les morceaux n’en comportent pas, demandez à votre artisan-boucher de vous donner une crosse de veau sciée en deux ou trois morceaux. Faites-les blanchir au préalable.
2 – De quoi lier la sauce afin qu’elle ait du corps, voire qu’elle prenne en gelée une fois refroidie. Donc, soit des couennes fraîches qu’il faudra blanchir avant d’en tapisser la daubière ou la cocotte (côté gras vers le fond) ou de la couper en petits carrés pour qu’ils lient la sauce en fondant pendant la cuisson.
On peut leur préférer un demi-pied de veau qui comporte à la fois des os et des morceaux gélatineux qui vont fondre. Os qu’on débarrasse en fin de cuisson et chair qu’on coupe en petits dés avant de les réintroduire dans la préparation. Avec cette méthode, la daube froide prendra obligatoirement en gelée.
Autrefois on « lardait » la viande avec des morceaux de lard gras à l’aide d’une lardoire, notamment les grosses pièces. On pouvait aussi y glisser des filets d’anchois pour saler la viande de l’intérieur, ceux-ci se désagrégeant complètement pendant la longue cuisson, arêtes comprises.
Dans le Sud-Ouest, on ajoute tout simplement un beau morceau de jambon cru avec du gras, le tout grossièrement haché avec la garniture aromatique. Lard demi-sel blanchi ou ventrèche font aussi bien l’affaire.
Une autre méthode particulièrement gourmande consiste à tailler la viande en gros cubes (6 cm de côté, 100 à 120 g le morceau) et à larder chacun d’eux avec un lardon blanchi : faites une fente dans le cube avec un petit couteau d’office et introduisez-y le lardon.
Un truc infaillible : un peu avant la fin de cuisson, liez la sauce avec un ou deux carrés de chocolat noir.
Enfin, sans os ni élément fondant, on peut faire rissoler la viande et « singer » les morceaux (les poudrer de farine) quand ils sont dorés, la farine servant alors d’agent de liaison.
Disons que pour une daube » à l’ancienne », on met la viande à cru dans la cocotte, par couches alternées avec les aromates mais qu’on aura tendance à faire rissoler et singer les morceaux dans une daube faite à la va-vite, c’est-à-dire qu’on ne cuit pas en plusieurs fois.
3 – Une garniture aromatique habituelle mais relativement abondante car on la parsème entre chaque couche de viande : mirepoix d’oignons, carottes, ail, à panacher ou non avec du lard ou du jambon + un bouquet garni (thym, laurier, persil plat, branche de céleri, oignon clouté). On peut prévoir plus de carottes pour en ajouter en rondelles. L’assaisonnement en sel et poivre se fera en fin de cuisson. On peut aussi râper un peu de noix muscade (subtilement).
Que boire sur une daube ?
Sur une daube traditionnelle
• Un côtes-de-Provence « Pièce noble » 2014 de Château Rasque (60% syrah, 40% grenache). Les arômes de fruits noirs compotés et d’épices fines au nez ainsi que sa bouche équilibrée et sa belle mâche relaieront les saveurs et les textures d’une daube de bœuf ou de gibier (sanglier, taureau). Prix : 17,50 € départ cave et chez les cavistes.
Château Rasque, 2897 route de Flayosc, 83460 Taradeau – Tél : 04 94 99 52 20
• Un gigondas
– « Tradition Le Grand Montmirail » 2017 du domaine Brusset (grenache, mourvèdre, syrah, cinsault) : un vin charpenté avec du répondant mais aux tanins doux qui relaiera l’onctueuse sauce au vin de la daube sans l’écraser. Prix : 16,50 € départ cave et cavistes. Domaine Brusset, 70 chemin de la Barque, 84290 Cairanne – Tél. 04 90 30 82 16
– « Cellier des Princes » 2016 (80% grenache, 10% syrah, 5% mourvèdre, 5% cinsault). Avec ses notes de fruits noirs confiturés, sa matière dense et ses tanins fins et soyeux, il affrontera sans complexe une daube de bœuf ou de gibier. Prix : 13,30 € – Cellier des princes ,758 route d’Orange, 84350 Courthézon – Tél. 04 90 70 21 44
• Un rasteau (côtes-du-Rhône méridionales) Prestige 2013 d’Ortas (50% grenache noir, 35% syrah et 15% mourvèdre) au nez d’épices, de cacao et de fruits confits et à la bouche équilibrée aux tanins fondus, aux arômes de fruits noirs, cassis et mûres, avec une finale réglissée et une belle longueur. Épatant avec une daube liée au chocolat, surtout si elle est accompagnée d’une purée truffée. Prix : 10,60 € départ cave et chez les cavistes.
Ortas, cave coopérative de Rasteau, Route d’Orange, 84110 Rasteau – Tél. 04 90 10 90 14
• Un cahors cuvée Haute Collection 2015 du Château Eugénie (100% malbec). Nez intense et expressif de fruits rouges bien mûrs avec une note de vanille qui annonce un vin finement boisé. Bouche complexe et élégante, riche en épices et en fruits, très soyeuse. Jolie caresse sur une daube racée.Prix : 24 €
Château Eugénie, Famille Couture, Rivière Haute, 46140 Albas – Tél. 05 65 30 73 51
Sur une daube provençale
• Vin de France, cuvée » Les amants naissants » 2017 de Le secret des amants (100% syrah vieilles vignes de la région de Nîmes et de la vallée de l’Aude). Nez d’une grande intensité aromatique, riche en notes de fruits sauvages (framboise, cassis), de poivre et d’une pointe de vanille. Bouche ample qui surprend par un côté légèrement fumé (noyau d’olives, tapenade) fait pour se marier avec une daube provençale (bœuf ou agneau) aux olives ou une daube marseillaise. Du tempérament mais des tanins soyeux avec une finale douce et vanillée. Prix : 10 €
en ligne : Vignerons de Bel-Air
• Un morgon Climat « Grands Gras » 2017 des Vignerons de Bel-Air (gamay noir) Nez de fruits noirs, réglisse, cacao, tabac, cigare. Bouche ample où l’on retrouve les arômes du nez. Entre matière et puissance. Parfait sur une daube aux olives. Prix : 6,20 € en ligne.
Vignerons de Bel-Air, 131 route Henri Fessy, 69220 Saint-Jean d’Ardières – Tél. 04 74 06 16 05
Sur une daube de gibier
• Un minervois Carretal 2016 du domaine Cailhol Gautran (60% syrah, 20% grenache noir, 20% carignan). Nez aux notes torréfiées, bouche franche et intense aux notes de fruits mûrs et confiturés. Vin puissant aux arômes de garrigue avec une belle finale poivrée. En phase avec une daube de canard, de garenne ou de lièvre. Prix : 12 € départ cave.
Domaine Cailhol-Gautran, Hameau de Cailhol, 34210 Aigues-Vives – Tél. 04 68 91 26 03
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