Gastronomie
La fusion gastronomique de Raphaël Fumio Kudaka, chef étoilé de La table Breizh Café, Cancale
Auteur : Régine Glass
Article publié le 13 décembre 2023
Cancale n’est pas la seule à exprimer sa reconnaissance à Olivier Roellinger, le chef Raphaël Fumio Kudaka a lui aussi bénéficié de ses conseils avant de s’y installer à son tour. Après un repas inoubliable à La table Breizh Café, fleuron étoilée du groupe Bertrand Larcher, dans un décor très épuré « à la Ozu », Régine Glass est allée à la rencontre du chef qui a su si bien associer deux traditions gastronomiques françaises et japonaises, autour d’une graine locale, le sarrazin breton.
Une formation au Japon, un perfectionnement en France
Formé à Osaka à l’Institut culinaire Tsuji, le jeune Raphaël Fumio Kudaka se passionne pour la cuisine française, son école lui permet de se perfectionner à Lyon durant une année où il se spécialise en gastronomie et pâtisserie françaises. Diplômé et de retour à Tokyo, il restera six ans et travaillera uniquement dans des maisons françaises. Son implication lui permet de passer du statut de commis à celui de chef de partie. Cette ascension lui permet de revenir en France, avec le projet de ne travailler que pour de grands chefs Français.
Un parcours initiatique, de maitres en maitres
Raphaël Fumio Kudaka débute chez Michel Guérard, inventeur d’une cuisine gastronomique légère voire digestive avec trois étoiles aux Prés d’Eugénie, puis auprès du chef Passedat au Petit Nice à Marseille , 2 étoiles au guide rouge. Il enchaîne La Palme d’Or, du Martinez sous la direction de Christian Willer qui officie durant 40 ans dans l’établissement obtenant une, deux puis trois étoiles; quand Raphaël-Fumio y travaille le restaurant décroche sa 2éme étoile.
Sa quête d’excellence se poursuit auprès de Marc Veyrat qu’il l’emmène dès potron minet débusquer les herbes sauvages dans les montagnes au- dessus de l’auberge de L’Eridan à Annecy. Le chef au chapeau noir le recommande auprès de son ami – un peu druide comme lui qui sévit dans les mélanges d’épices- Olivier Roellinger dans la Baie de Cancale. Le chef du Coquillage ®, lui enseigne comment les associations permettent d’obtenir de subtiles saveurs, à partir d’épices fades ou trop fortes ou trop pimentées, une autre façon d’assembler le Yin et le Yang.
Aller et retour à Cancale
Rafael Fumio Kudaka rencontre son épouse à Cancale. Il travaille à Bénodet dans La ferme de Letty qui a une étoile.
Au bout de ces sept années auprès de grands étoilés de la gastronomie française, son parcours initiatique s’achève quand avec femme et enfants, il retourne à Tokyo pour treize années où le chef travaille toujours dans des restaurants exclusivement français de haute gastronomie.
Une rencontre providentielle
Il croise Bertrand Larcher à l’époque où l’entrepreneur a le projet d’ouvrir un restaurant Japonais en Bretagne. Il est à la recherche d’un chef qui aurait comme lui cette double culture insulaire « Breizho Nippone » voire “Nippo Bretonnante”, avec un regard croisé et complémentaire
En 2009, l’appel de la Bretagne est plus fort, le couple revient à Cancale pour une nouvelle aventure pour créer sa propre gastronomie avec un lieu original : une crêperie au rez-de-chaussée, La table Breizh Café, restaurant gastronomique au premier étage et quelques chambres au-dessus ainsi qu’un appartement de 150 m².
Petite anecdote : le restaurant du premier étage de la maison avait affiché « Restaurant Japonais » juste au-dessus de fronton de la crêperie, et bien sûr les quais de Cancale où l’on vient déguster les huîtres natives et les fruits de mer, peu de gens se précipitent dans le restaurant” trop exotique” où l’on s’attend peu ou prou à déguster des sushis. Mais l’erreur est vite perçue et la bannière ôtée.
Le pari de “faire une cuisine japonaise en Bretagne” avec des produits locaux est audacieux.
La pari est tenu, comme en témoigne une étoile au guide Michelin en 2010, et notre repas où nous avons pu savourer cette cuisine « fusion » sinon « fusionnelle » avec son environnement qui doit beaucoup à la méthode adoptée pat un chef, habitué à la gastronomie française. S’inspirant de produits qu’il sélectionne et arrête à chaque saison, il compose son menu en imaginant comment un japonais s’u prendrait, et associé à l’exigence du « Kaizen », c’est là que la magie opère.
La rencontre de Raphael – Fumio Kudaka avec Bertrand Larcher à Tokyo en 2008 est-elle le fruit d’un hasard ou le signe d’une destinée ?
Bertrand Larcher est connu à Tokyo pour ses crêperies, haut de gamme et comme le plus grand importateur de cidre au Japon, par ailleurs Bertrand Larcher n’a de cesse de lier Culture et Gastronomie entre ces deux grands pays où le raffinement est élevé au rang d’art de vivre. Bernard Larcher fait à peu près 7 voyages par an entre le Japon et la France surnommé le “paysan crêpier”.
Bertrand Larcher a fait la galette bretonne produite en Bretagne avec de la farine de Sarrasin bretonne un produit qui a su acquérir ses lettres de noblesse, grâce à un véritable travail de revalorisation de toute la filière . Cet engagement a été récompensé par la prestigieuse institution La Liste qui lui décerne le prix de la cuisine créative pour l’ensemble de son implication dans la valorisation de la cuisine bretonne.
Comment avez vous conçu votre cuisine, fusion de deux cultures gastronomiques ?
L’essence et l’esprit de la cuisine japonaise est toujours donnée au produit, les épices ne doivent jamais primées sur le produit ainsi on ne trouve pas de curry dans sa cuisine ou toute autre accompagnement qui masquerait le goût central du produit.
Comment votre étoile a évolué depuis 2010 ?
Le « Kaizen » est une notion typiquement japonaise où le travail est un acte sacré mais son amélioration continue est l’essence de ce concept. Dans ma cuisine, cela consiste à donner de plus en plus d’importance au produit et de poursuivre la philosophie de Mies Van der Rohe « Less is More ».
Années après années je procède à un dépouillement sans sacrifier l’émotion et le travail pour aboutir à ce résultat. Avec l’équipe qui a doublé depuis le démarrage du restaurant, on travaille on teste beaucoup les créations avant de finaliser le menu de saison.
Chaque saison tout change complètement de l’amuse-bouche au dessert, nous n’avons jamais refait deux fois le même plat depuis 13 ans, il est important de maintenir ce niveau de création et d’exigence.
Ambitionnez-vous une seconde étoile au guide Michelin ?
Avoir une étoile me satisfait pleinement, notre menu de saison est à 125€ ce qui me semble correct, une seconde étoile nous contraindrait à augmenter substantiellement nos tarifs, à changer toute la décoration du restaurant, la vaisselle et le niveau de stress imposé sera bien supérieur à ce que l’on vit déjà au quotidien.
Je suis reconnaissant de cette étoile, je me réinvente chaque saison avec mon équipe pour la maintenir. Il ne faut pas que le stress nous gâche le plaisir de réaliser notre mission quotidienne. Qu’ajouter de plus à cette ode au plaisir du travail passion ?
De Cancale et Tokyo: une gastronomie fusionnelle
Le voyage du quai de Cancale aux faubourgs raffinés de Tokyo se fait sans escale, au rythme enrobant de vos papilles et des émotions qu’elles suscitent. Cette cuisine à l’expression duale intègre des apprentissages des épices subtils et des bouillons d’herbes sauvages que le chef s’autorise à accommoder aux saveurs typiquement nippones comme la sauce ponzu à base de soja et d’agrumes acides japonais à partir. de sudachi, yuzu, ou de kabosu, du wasabi ( racine de raifort macéré), du katsuobushi ( bonite séchée) sans oublier les tartares d’algues que le chef compose lui-même, ainsi que des variétés d’ huiles bio comme le sésame mais également le sureau dans lesquelles sont rôties les algues, les légumes ou les poissons.
La féérie marine du menu fixe de l’hiver
On trouve principalement des accords marins : saint jacques, homard de Roscoff, daurade royale, thon rouge mariné, poulpe, huitres plates de Cancale, mais également huitres plates d’Irlande. Le chef propose également un rôti mi cuit de porc fermier au thym et au persil avec une mousseline de pomme de terre accompagné dans un second tempo d’un sohobroan de cochon aux légumes algues hijiki et ragoût de cochon à la japonaise, anaux châtaignes.
Le chef Japonais aime la fraîcheur et la qualité des poissons et crustacés bretons, il se fait livrer tous les jours des produits extra-frais et bio même le dimanche et le lundi(ou il n’y a pas de marée), mais le chef nous a confiés qu’au Japon il est bien plus facile de travailler le poisson grâce à une très grande variété d’espèces trois à quatre fois plus étendue qu’en France.
Nous nous souviendrons longtemps de cette explosion de saveurs en bouche comme ce homard mi cuit de Roscoff à la sauce ponzu agrémenté de lamelles de daurade royale et de poulpe dans un vinaigrette aux algues, et bien sur des saint jaques poêlées au beurre au thym et au persil accompagné d’huitre frite au Sarazin servi avec du tofu poêlé l’émulsion de céleri rave …
Mon coup de cœur se porte pour l’extrême légèreté du dessert, un nuage de saveurs une poire pochée enrobée dans un fine crème mousseline dans un sorbet à l’écume de poire surmonté de tuile caramel -amandes un péché samouraï.
La fermeture traditionnelle de La table Breizh Café en janvier et en février est l’occasion pour Raphaël Fumio Kudaka d’animer à Tokyo le restaurant de cuisine Bretonne de Bertrand Larcher. Il mettra à l’honneur le homard qu’il affectionne tant et les crustacés.
Mais cette fois, il les accommode à la française !
A Cancale, Régine Glass pour Singular’s
Pour aller plus loin avec Raphaël Fumio Kudaka
Le site de La table Breizh Café, fleuron étoilée du groupe Bertrand Larcher
Lundi, jeudi, vendredi : 19h30-21h00 – Samedi-dimanche : 12h-13h30 – 19h30-21h00
7 Quai admis en chef Thomas, 35260 Cancale, – Tél. : + 33 2 99 89 61 76
Un restaurant au décor très épuré
La table Breizh Café à l’intérieur soigné nous plonge dans un décor de film d’Ozu où le bois, le granit, les céramiques, les tatamis, les cloisons en papier de riz, les barriques de saké en papier maïs, toute l’atmosphère d’une maison Tokyoïte nous invite à la détente et à une forme de contemplation.
Le restaurant conçu autour d’une cuisine ouverte et un bar attenant où l’on contemple le chef affairé à la finition des plats, fait face à une seconde partie où des tables assez basses à la japonaises en bois blond sont disposés et l’on s’assoit déchaussés ayant à notre portée des sabots traditionnels en bois pour nous déplacer si besoin durant le repas.
Yoshiki Tudji reçoit la médaille de l’ordre national du mérite en 2018
L’école Tudji, institut culinaire créé par Yoshiki Tsuji journaliste passionné de gastronomie française ouvre son école dans les années 60 et grâce à son amitié avec Paul Bocuse décide d’ouvrir une antenne sur Lyon puis dix ans plus tard une autre école dans. Cette année de perfectionnement dans le berceau de la gastronomie Japonais sortent diplômés en cuisine, pâtisserie et boulangerie française
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