Culture

La troupe d'Oya Kephale révèle Madame Favart d'Offenbach (Théâtre d’Asnières-sur-Seine)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 17 mai 2024

Après Les Brigands, le duo Emmanuel Menard à la mise en scène et Pierre Boudeville à la direction musicale font de Madame Favart d’Offenbach, un stimulant tremplin pour hisser le Chœur et l’Orchestre d’Oya Kephale à l’excellence.  Les quelques faiblesses du livret de cette opérette tardive sont autant de prétextes pour redoubler d’imagination et brosser de réjouissants rebondissements en tableaux colorés. Cette ferveur euphorisante fait oublier que cette réussite est signée d’un collectif d’amateurs, pour qui la musique est bien autre chose qu’un passe-temps. Olivier Olgan était à la Générale ouvrant une série de six représentations du 17 au 25 mai au Grand Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine.

Un aiguillon pour la cohésion de la troupe

Dans le silence du Grand Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine quasi-vide, la concentration est au maximum. A quelques minutes d’une Générale, clé de voute de près de 5 mois d’engagement du Chœur et de l’Orchestre Oya Kephale, quelques conseils fusent encore, et sur l’immense plateau, les derniers réglages des décors s’effectuent posément. Loin de toute agitation souvent de mise pour libérer la tension, chacun se prépare avec concentration dans un sérénité remarquable pour un collectif d’amateurs. Par rapport aux Brigands de l’année dernière, la troupe a gagné en maturité, même si plus d’un tiers – comme chaque année – des musiciens ont été remplacés.
La dynamique parfaitement rodée du chef Pierre Boudeville – désormais assisté d’un adjoint, Guillaume Roy – permet de « relever » dans tous les sens du terme l’engagement des bénévoles, faisant oublier leurs contraintes professionnelles. « Le double aiguillon nous a permis de progresser, individuellement et collectivement » soufflait en souriant un des violonistes, actif dans l’aventure depuis deux ans, avant de se glisser dans la fosse exiguë.

Madame Favard, d’Offenbach, mise en scène Emmanuel Ménard, Oya Kephale Photo OOlgan

La fête peut commencer

Rythmé, joyeux, décomplexé, dès l’Ouverture, le ton est donné ; dans la fosse, la direction est claire, avec ce grain de légèreté qui vous entraine d’emblée. Sur scène, Emmanuel Ménard multiplie les effets de miroirs du théâtre dans le théâtre, acteurs en costumes en côtoient d’autres en tenues de villes. On apprendra très vite que les protagonistes, les Favart font partie du monde du spectacle ; Madame Justine Favart est une célèbre comédienne, et Charles, son époux, auteur de théâtre.

Du livret alambiqué à souhait, mais riche en rebondissements, on retiendra qu’il met deux couples, les Favart d’un coté et Hector de Boispréau, jeune noble et sa femme Suzanne Cotignac, de l’autre, obligé de jouer des apparences et des coudes pour éviter soit la prison ou le scandale, ou la licence de quelques Duc ou Maréchal.
Autant de prétextes à déguisements, quiproquos qui mettent en valeur solistes et chœur.

Madame Favard, d’Offenbach, mise en scène Emmanuel Ménard, Oya Kephale Photo OOlgan

Des tableaux collectifs pour faire mousser Offenbach

Amandine Lavandier, Charlotte Ferraroli, Marcel Courau et Gabriel de Masfrand, quatuor clé de Madame Favard Photo OOlgan

Les trois actes passent à la vitesse d’un menuet sous ecstasy, libérant leurs bulles d’euphorie et de moments de bravoures très enlevés, Offenbach oblige. A la manœuvre, la direction  Pierre Boudeville  et la mise en scène d’ Emmanuel Menard sont millimétrées, parfaitement en place dés la Générale, ce qui en dit long sur le professionnalisme atteint par la troupe. Elles puisent aussi dans les clins d’œil d’ Offenbach au 18eme siècle, une matière de sourires et une manière d’impliquer à l’unisson tout le plateau: costumes et décors par exemple ne manquent pas de le rappeler, en particulier la toile peinte du 3e acte.

La dynamique coté du chant comme de la comédie opère grâce à des solistes chanteurs meneurs de troupe qui savent jongler avec les mots et enchainer les pirouettes ; deux femmes de voix et de tête – Amandine Lavandier (Justine Favart) et Charlotte Ferraroli (Suzanne), soutenus par  un trio Marcel Courau (Charles-Simon Favart), Gabriel de Masfrand (Hector de Boispréau) et Frédéric Ernst (Marquis de Pontsablé). C’est emballant et bien emballé, et ne sacrifie en rien, ni aux facilités, ni au mode.
Au contraire, le spectacle décolle autant par sa bonne humeur que par sa volonté de rester lisible et accessible, dans le dédale de rebondissements. Qui filent à toute vapeur.

Madame Favard, d’Offenbach, mise en scène Emmanuel Ménard, Oya Kephale Photo OOlgan

Le rythme pour partage

Madame Favard, d’Offenbach, mise en scène Emmanuel Ménard, Oya Kephale Photo OOlgan

En guise de finale, c’est avec délectation, que le spectateur saisit l’invitation bienveillante d’être emporté par les ricochets d’un plaisir collectif d’une rare jubilation, et dispensée avec une telle ferveur. La musique est nourrie d’une telle passion à être partagée qu’elle ne peut qu’être bain de jouvence; la fidélité à Offenbach permet cette euphorie sans prise de tête, surtout quand elle est servie avec une exigence de tous les instants.
Cette Générale ouvre six représentations qu’il ne faut pas rater, ne serait-ce pour changer d’air.

Cerise sur la gâteau
2025 correspond aux 30 ans de l’utopie Oya Kephale, venez y gouter dès maintenant – avec instruments ou pas – vos oreilles suffisent.
L’année prochaine annonce une autre histoire

Olivier Olgan

Le carnet de lecture d’Emmanuel Ménard

Dans ce jeu cornélien qui consiste à élire et à identifier un nombre limité d’œuvres qui m’ont marqué et construit en tant qu’artiste, un critère qui semble judicieux est peut-être celui des premières fois. Mais même cette échappatoire est illusoire, tant les premières fois artistiques ont été nombreuses… Le dilemme n’est par conséquent pas résolu, il va falloir choisir, donc éliminer…

La valse aux Adieux, Milan Kundera.

J’ai toujours beaucoup lu, et très tôt, encouragé en cela par mon environnement familial, à qui je n’en rendrai jamais assez grâce.
Mais la découverte de Kundera, d’abord La Vie est ailleurs, puis La Valse aux Adieux, a été un réel choc. Pour la première fois, je crois, je lisais sous la plume d’un autre, un inconnu qui plus est, étranger à toute ma vie et mon histoire, je lisais la transcription de mes émotions, de mes sentiments, de mes états d’âme, en phrases dont je n’aurais pas changé le moindre mot – à supposer que j’aurais été incapable de les écrire moi-même.
Je venais de découvrir que la littérature n’était pas seulement, comme je l’avais vécue jusqu’à présent, un loisir, une évasion imparable, un voyage facilité vers ce qu’il y avait de plus lointain, mais aussi un miroir, un lieu d’introspection et même de décryptage de soimême. C’était une nouvelle fenêtre qui s’ouvrait – vers l’intérieur.

Anatomie de l’horreur, Stephen King

La littérature fantastique, d’épouvante, voire d’horreur, a toujours occupé une place centrale dans mes lectures, de même que le cinéma de genre a toujours été au cœur de ma cinéphilie, tant comme consommateur que comme créateur.
A ce titre, Stephen King a très rapidement trouvé son fauteuil dans mon panthéon littéraire – malgré un premier contact mitigé, décontenancé que j’étais par la forme inhabituelle de son premier roman Carrie, que j’avais découvert sans doute trop jeune. Mais ce type de littérature n’avait pas très bonne presse à l’époque, c’était un peu de la sous-littérature, du pur divertissement sans fond réel, comme on pouvait le dire alors en plissant un peu le nez.
En lisant Anatomie de l’horreur, quelques années plus tard, j’ai compris qu’il n’en était rien, et que s’il existait une mauvaise littérature fantastique (comme il existe une mauvaise littérature dans tous les genres), ce n’était qu’un effet de bord. J’ai appris que la littérature d’épouvante, de science-fiction, d’horreur pouvait aussi et surtout être un révélateur des peurs de son époque, d’autant plus pertinente et efficace qu’elle n’était pas littérale ; comme ses voisines de rayonnages, jugées plus fréquentables, elle ne faisait pas que raconter, elle disait également. Je me rappelle avec quelle passion j’ai ré-écumé ma bibliothèque, comprenant le sous-texte d’un Frankenstein, décodant les dimensions métaphoriques de La Peau de Chagrin ou de Shining, ou réalisant les peurs très réalistes transposées dans Rosemary’s Baby...

La Flûte enchantée, W.A. Mozart

Ce fut mon premier contact – tardif – avec l’univers de l’opéra. Un univers qui m’était complètement inconnu, et auquel je n’avais jamais fait l’effort, ou même la démarche, de m’intéresser. Sans animosité aucune ; nous nous contentions de nous ignorer poliment.
Comme pour toutes les découvertes qui nous chamboulent en profondeur, je me suis demandé comment j’avais pu passer si longtemps à côté – et je m’en suis voulu ! Je découvrais un spectacle complet, où se mêlaient musique, théâtre, danse…
Et puis pour un premier contact, j’étais plutôt chanceux : c’était la production scénique annuelle du CNSM de Paris. Marc Mauillon chantait son premier Papageno, Pamina était incarnée par Amel Brahim-Djelloul… Et, ce que je ne savais pas encore, la mise en scène de Lukas Hemleb bousculait quelques évidences, faisant de Sarastro un manipulateur, des Initiés une secte pas si éclairée que ça, et de Papageno un pragmatique plutôt qu’un bouffon un peu benêt. Et tout cela en respectant la musique et la lettre du livret. Ce n’est que par la suite, en assistant à d’autres productions de la même œuvre, que j’ai réalisé la dimension inhabituelle de ces choix.
Et plus tard encore que j’ai souvent pu constater que certaines mises en scène, de La Flûte ou d’autres opéras, poussaient parfois très loin la relecture des œuvres, allant jusqu’à tordre le livret pour l’entraîner dans des directions auxquelles il n’était visiblement pas destiné – et là, les questionnements sont au moins autant éthiques qu’artistiques. Même si depuis, les émotions opératiques ont été nombreuses, avec la découverte du baroque, de l’opérette, de la suite du répertoire mozartien…, et ont pu souvent supplanter celles de cette Flûte Enchantée, elle occupe forcément une place à part, celle d’une Première Fois.

Les Rois Maudits, Maurice Druon et Claude Barma

La première fois que j’ai lu Game of Thrones, c’était au début des années 80. Qu’on ne m’objecte pas que ça n’avait pas encore été écrit ; ça existait déjà, c’est juste que ça s’appelait Les Rois Maudits ! Six tomes (par charité chrétienne, on oubliera le septième) d’intrigues de cour, de trahisons, d’infanticides, d’adultères, de complots, de coucheries, de rivalités sanglantes… Moi qui n’avais guère d’atomes crochus avec l’histoire à l’époque, je m’aperçus combien elle pouvait devenir passionnante, quitte à être un peu romancée pour les besoins de la cause.
J’ai lu et relu plusieurs fois ces six romans, avant d’en découvrir l’adaptation télévisée. Sous la houlette de Claude Barma (réalisateur TV incontournable de l’époque), une brochette de stars du petit écran, souvent issues du théâtre, et menées par un Jean Piat impérial – ou plutôt comtal – faisaient revivre la malédiction de Philippe le Bel et sa progéniture.

J’ai été frappé à l’époque, et je le suis plus encore aujourd’hui, rétrospectivement, de l’efficacité de ces six épisodes de dramatique télévisée (formulation garantie d’époque) ; certes, la distribution était brillante, mais le budget décors et costumes de l’ensemble devait avoisiner la dépense « café et croissants » d’un seul épisode de Game of Thrones… et pourtant ça fonctionnait ! Bon sang oui, ça fonctionnait. Il suffisait d’un drapé pour qu’on se retrouve dans les appartements du roi de France ; un tabouret en bois et une paillasse miteuse récréaient à eux seuls un cachot de Château-Gaillard ; et il ne fallait pas plus qu’un chapiteau et quelques épées pour se croire au milieu de « l’ost boueux » de Louis le Hutin.

Je n’ai jamais oublié le puissant effet qu’a eu sur moi cette première adaptation des Rois Maudits, et à quel point j’y ai retrouvé les émotions des romans.
Et par la suite, la modicité des budgets mis à ma disposition dans le cadre de mises en scène de spectacle vivant n’a jamais constitué un réel problème. Bien sûr, il faut chercher des solutions à des problèmes qui n’en seraient même pas avec d’autres moyens, mais
jamais je n’ai craint a priori de ne pas avoir assez pour que « ça fonctionne ».
Du reste, Les Rois Maudits a fait l’objet d’une seconde adaptation, en 2005, qui n’a pu que me conforter dans mon opinion : nantis de moyens qu’on devinait sans commune mesure avec ceux de la version de 1972, une brassée de comédiens époustouflants s’essoufflaient sans succès à tenter d’imiter leurs illustres prédécesseurs… malgré une distribution exceptionnelle, la débauche de décors, de costumes et de technique ne parvenait pas à faire oublier la version d’origine, ses drapés, ses tabourets et ses épées de théâtre.

Et puis il y a quelques autres œuvres que je m’en voudrais de ne pas mentionner,

car elles ont vibré très fort dans mon imaginaire de lecteur et que les théories ondulatoires nous enseignent que les vibrations perdurent longtemps.

Ainsi, c’est sans doute dans Le Monde selon Garp, de John Irving que pour la première fois je me suis attaché à un (à des !) personnage comme s’il était réel, comme s’il était un ami, au point de pleurer sur les pages où l’auteur l’a tué…

Par la suite, Robert Merle m’a souvent fait le même coup, que ce soit à Malevil ou sur L’Île.

C’est peut-être avec Zola que j’ai réalisé avec étonnement que naturalisme et irréalisme pouvaient se marier harmonieusement, par exemple dans les descriptions complètement oniriques d’une très matérielle grève de mineurs.

Et c’est sans doute Armistead Maupin et ses Chroniques de San Francisco qui le mieux m’ont appris ce qu’était l’ascenseur émotionnel (à deux pages de distance, on éclate de rire avant d’éclater en sanglots) et la suspension d’incrédulité (au bout de seulement deux coïncidences complètement invraisemblables – ce qui arrive somme toute assez vite – la théorie des probabilités n’est déjà plus qu’un vieux et encombrant souvenir !).
J’ai gardé toutes ces émotions-là quelque part, pas loin, à portée de main, et j’espère, quand j’écris ou que je mets en scène, qu’au moins certaines d’entre elles arrivent à se frayer un chemin jusqu’à moi.

Pour suivre la troupe d’Oya Kephale

Madame Favart, d’Offenbach, Grand Théâtre Armande Béjart
16 place de l’Hôtel de Ville, 92600 Asnières-sur-Seine

Pour en voir plus sur la préparation du spectacle, la chaîne youtube de Oya Kephele 

Dates et lieu du spectacle :

  • Vendredi 17 mai 2024 · 20h30
  • Samedi 18 mai 2024 · 20h30
  • Dimanche 19 mai 2024 · 17h
  • Jeudi 23 mai 2024 · 20h30
  • Vendredi 24 mai 2024 · 20h30
  • Samedi 25 mai 2024 · 20h30

Distribution de Oya Kephale

  • Direction musicale : Pierre Boudevilleassistant chef d’orchestre : Guillaume Roy
  • Mise en scène : Emmanuel Ménard – assistante mise en scène : Audrey Garcia-Santina
  • Chorégraphie : Mathilde Colas
  • Décors : Juliette Peigné
  • Costumes : Marie Leclerc
  • Lumière : Anne Frémont

Solistes

Amandine Lavandier (Justine Favart), Marcel Courau (Charles-Simon Favart), Charlotte Ferraroli (Suzanne), Gabriel de Masfrand (Hector de Boispréau), Frédéric Ernst (Marquis de Pontsablé), Daniel Ladaurade (Le Major Cotignac), Joseph de Habsbourg-Lorraine (Biscotin), …

Engagement caritatif
Une partie des bénéfices de cette représentation sera reversée à l’Association Jeunesse Saint-Vincent de
Paul, contribuant ainsi à ses efforts en faveur de l’éducation et du bien-être des jeunes du Nord-Est parisien
https://youtu.be/s92hqMazrtA

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