Culture

L’art a un visage : Jesse A. Fernández expose ses amis artistes

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 26 juin 2020

D’une qualité muséographique, le rapprochement présenté par la galerie Orbis pictus de portraits d’artistes signés Jesse A. Fernández (1925-1986) avec leurs œuvres approfondit le regard sur le travail de 24 créateurs, et pas des moindres tels Bacon, Dalí, Hartung, Lam, Matta, Miró, Picasso, Tàpies… Cette exposition qui fusionne photographie et peinture se tient jusqu’au 1 août 2020.

Rapprocher de façon risquée de la photographie et de la peinture

Jesse A. Fernández Photo © Estate Jesse A. Fernández collection F. Mazin Fernández

Si les frontières entre les arts visuels se gomment, les rapprochements entre photographie et peinture sont encore rares dans la bibliographie artistique malgré quelques remarquables travaux sur l’usage de la photographie par les peintres et ils sont quasi absents des galeries.

Cette rareté rend encore plus nécessaire la visite – et la découverte – à la Galerie Orbis Pictus du travail de Jesse A. Fernández (1925-1986). A la fois éclectique dans ses associations et pluridisciplinaires dans les œuvres exposées,  l’exposition ‘L’art a un visage’ comme le dit élégamment Serge Fauchereau dans le catalogue remarquablement édité, « prolonge une expérience de l’artiste qui a voulu rapprocher de façon risquée de la photographie et de la peinture, pratiquant lui-même la peinture, le dessin, le collage et l’assemblage de boîtes tout en étant photographe de profession. »

Deux niveaux « d’expositions »

Pour les amateurs, deux niveaux « d’expositions » sont possibles : celle de plus d’une vingtaine de portraits d’artistes mis en regard d’une de leurs œuvres avec le jeu (et le plaisir ludique) des correspondances et des lignes de fuite, et celle d’un artiste attachant qui allant au-delà de « l’aura » de la prise de vue, ajoute une dimension picturale « risquée » au tirage avec la collaboration du plasticien portraituré. Ici, pour les amateurs, toutes les œuvres sont toutes disponibles à la vente.

Hans Hartung par Jesse A. Fernandez L’art a un visage Orbis pictus © Olivier Olgan

Un portraitiste éthique qui se soucie de la personne

Celui dont Emil Cioran, autre apatride parisien, disait de lui : « c‘est l‘homme qui sait si bien voir une idée » sait pénétrer l’intimité, la flamme ou le flegme de ses modèles. A chaque prise, le regard empathique fait merveille sur les artistes qu’il capte surtout dans la période 1975-1980.

Photographe de presse reconnu autant par passion que pour s’assurer un métier, ses portraits n’ont rien de figé, ils sont nourris des circonstances des rencontres et de l’instinct de l’urgence de la prise.

« Je cherche le côté humain, pris sans aucun éclairage masquant la lumière naturelle. revendique Fernandez, Je compose toujours avec l’univers intime de la personne. Je recherche la relation entre le sujet et son cadre de vie. A d’autres occasions j’utilise les rues et les murs, que je considère comme le meilleur studio. Je traque l’auteur et son œuvre dans leur intégrité…Ainsi, le rejet de toute technique picturale s’applique à la photographie. Pour résumer, je me soucie de la personne… »

Francis Bacon Jesse A. Fernandez L’art a un visage Orbis pictus © Olivier Olgan

Certains pourront ressentir la remarque de Serge Fauchereau sur ses portraits : « Ils n’ont pas de profondeur que celle du personnage figuré. Susan Sontag a insisté : « Le contenu éthique des propos est fragile. » Fernandez a voulu que ses portraits n’en aient pas. » D’autres au contraire, apprécieront le respect bienveillant, l’inventivité du temps suspendu, le moment d’amicale décontraction…

Tous seront d’accord sur cette vitalité : « L’humour chez Fernandez n’est que lui-même. »  Avec une seule dynamique, celle de témoigner sans artifice.

Ajouter de la calligraphie intime à l’aura de la photographie

Jesse A. Fernandez par Calder avec calligraphie sans titre © Olivier Olgan

Autre transgression à un usage établi – Rodtchenko, Ben Shann ou Man Ray ne mélangeaient pas leurs photographies et leurs peintures quand ils exposaient, Fernández non seulement apprécie les mélanges mais surtout il les fusionne ! En rajoutant avec ou sans la complicité du modèle une dimension graphique – autographe ou calligraphie intime, il coupe court à la problématique de la photo reproductible pour une œuvre devenue unique.

Signées Cardenas, Cuevas, Lam, Miró, Saura, Tàpies…, l’exposition de ces calligraphies intimes fait aboutir un projet que Fernandez n’avait pas pu mener à bien.  Entraîne-t-elle « une distorsion de l’appréciation et de la compréhension plastique » comme l’invoque Fauchereau parce que les deux arts relèveraient « d’univers mentaux différents. »? Au spectateur d’assumer à son tour cette prise de risque et de privilégier la découverte !

Sam Françis Jesse A. Fernandez L’art a un visage Orbis pictus © Olivier Olgan

L’art  a un visage et une âme

Avec ‘L’art a un visage’, les moins aguerris mettront une figure sur une œuvre, les invitant derrière le masque ou la toile à aller plus loin ; les plus experts découvriront la modernité d’un artiste qu’il y a plus de trente ans pressentait qu’il fallait encore bousculer les frontières des arts visuels et le protocole des expositions. « Il savait, dit justement Serge Fauchereau, que la photographie se jouait entre amis. »

La galerie orbis pictus vous accueillera sans aucun doute amicalement.

Informations pratiques sur la galerie orbis pictus

galerie Orbis pictus jusqu’au 1er aout 2020
7, rue de Thorigny 75003 Paris, France
+33 9 53 88 82 89galerie@orbispictus.artfacebookinstagram
Heures d’ouverture mardi – samedi 11h – 19h

Prix d’un tirage photographique de Jesse A. Fernández

  • Original : 7000€
  • Moderne édition limitée : 3 000€

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