Culture

Le carnet de lecture de Claude Bard, éditeur éclectique et romancier, Le voyage d’Arles

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 25 avril 2023

Après avoir été éditeur pour Média 1000, filiale d’Hachette spécialisée dans la littérature érotique, Claude Bard crée en 1994 La Musardine qu’il dirige jusqu’en 2020. En parallèle, le lecteur éclectique crée aussi les éditions Almora, spécialisées dans la spiritualité… Son premier roman, chez Serge Safran en librairie mi aout, Le Voyage à Arles est une plongée troublante dans le milieu de l’édition où l’auteur s’en donne à cœur joie avec des personnages hauts en couleurs. Il a confié son carnet de lecture à Olivier Olgan.

Les œuvres que nous aimons disent beaucoup de nous-même et finalement peu de ce qu’elles valent. Voici donc un peu de moi en quelques heureuses rencontres …

La Petite lumière, d’Antonio Moresco, Verdier, 2014.

Depuis un fond de vallée où vous habitez, peut-être vous êtes-vous un jour interrogé sur la présence d’une lumière qui brille la nuit au cœur d’une forêt que vous connaissez bien ? Il n’y a à l’emplacement de cette lumière aucune habitation, le terrain est fort accidenté, les randonneurs ne s’y aventurent pas, ni les chasseurs, ni personne…
Si cette lumière se met de nouveau à briller la nuit suivante, il y a fort à parier que vous prenne une envie irrépressible d’y aller voir. Une aventure commence.
Belles métaphores développées par l’auteur italien Antonio Moresco. Celle de l’élan qui prend l’écrivain devant le livre à venir ? Celle du lecteur curieux attiré par un texte lumineux ?

La Faim, de Knut Hamsun (1890), Livre de poche, 1989.

Pour écrire, il faut avoir faim. C’est à peu près le thème du premier roman de Knut Hamsun. Un jeune écrivain erre dans une ville à la recherche de l’inspiration. Il est sans ressources, il a faim. Une faim qu’Hamsun, parce qu’il l’a connue, nous rend presque charnelle (comme si la privation pouvait s’incarner). Une faim que le narrateur recherche pour ce qu’elle lui procure : le délire et l’inspiration. De cette faim naîtra une œuvre.

Un diamant brut, une force peu commune, et, mine de rien, un des premiers exemples de monologue intérieur, ce genre qui sera promis à un bel avenir.

Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello (1921), Folio, 1978.

Dans un théâtre, pendant les répétitions d’un prochain spectacle, entre une famille cherchant un auteur et des acteurs pour interpréter leur histoire. D’abord réticent, le metteur en scène et sa troupe se prennent au jeu. On improvise selon les indications de la famille, mais ce n’est pas assez réel, pas assez dramatique. Finalement, la famille joue elle-même son histoire, ce qui ne va pas sans raviver quelques tensions…

N’est-ce pas le rêve de tout romancier de voir frapper à sa porte un personnage qui cherche un auteur ? On le ferait entrer, on lui proposerait un café, on écouterait son histoire et notre roman serait bouclé.

À voir en dvd, l’adaptation modernisée de Stéphane Braunschweig ou celle de la Comédie-Française par Marina Hands.
Et le texte original en livre de poche.

La modernité

Bande à part de Godard (1964)

On connaît le fameux regard caméra au début d’A bout de souffle. Remontant sur Paris dans une voiture volée, Michel Poiccart (Jean-Paul Belmondo) s’adresse au spectateur via la caméra : « Si vous n’aimez pas la mer… Si vous n’aimez pas la montagne… Si vous n’aimez pas la ville : allez vous faire foutre ! »

Avec Godard, nous sommes toujours au cœur du sujet moderne. Dans le sublime Bande à part (1964), c’est toute l’histoire qui se retourne vers le spectateur, une histoire de série Z qui semble se décomposer à mesure qu’elle avance.

On trouve dans ce film des scènes cultissimes :

la traversée du Louvre en moins de 10 mn :

la séance de Madison dans un bar :

Et si c’était cela, la modernité : l’histoire qui regarde le spectateur ?

Godard est un monument du cinéma, mais quel réalisateur aujourd’hui pourrait nous faire signe de son importance à venir ?

In Water de Hong Sang-Soo (2023)

Ce réalisateur coréen trace une voie originale dans le cinéma. Refusant les normes de productions actuelles, réunissant une petite équipe, il tourne des films à tout petit budget, écrivant son scénario scène par scène au moment du tournage.

Son dernier film projeté en France, In Water, est le premier film de l’histoire du cinéma entièrement flou. Une expérience ! Ce flou artistique, qui au bout d’un moment ne gêne plus le spectacle, force à voir différemment. Il témoigne ironiquement de la maladie oculaire qui a touché récemment Hong Sang-Soo. Et aussi du brouillard qui saisit le personnage principal : un jeune réalisateur qui cherche patiemment un sujet pour son prochain film. Comment mieux se confondre avec son œuvre ?

Lettres à Lou, Apollinaire, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2010.

Peu après la parution d’Alcools (1913), œuvre complexe, savante, débridée, Apollinaire part à la guerre et écrit depuis les tranchées à Lou, une amoureuse de passage rencontrée dans le Sud de la France. Au dos des lettres, il compose des poèmes, qui tranchent par leur lyrisme érotisé sur les poèmes d’amour du recueil précédent. Ces Poèmes à Lou seront publiés de façon posthume en 1949. Quant aux lettres, souvent crues, qui n’étaient pas destinées à la publication, elles seront publiées à part, en 1969. Elles expriment sans détour ce que l’œuvre poétique exalte, à mots choisis. Un désir vibrant défie la mort dans les tranchées de la Guerre de 14-18.

Il est passionnant de suivre les différentes palettes de l’auteur et de constater qu’il reste toujours auteur, même quand il aboie son désir à la demoiselle, restée planquée.

Et vous savez quoi ? Je préfère les lettres aux poèmes.

Le premier roman

Il faut revenir à L’Iliade et le lire comme un roman. Le premier du genre s’il vous plaît. Un roman épique en vers avant la lettre, pourrait-on dire. Un roman, en êtes-vous sûr ?

La plupart des spécialistes s’accordent aujourd’hui à penser qu’Homère est bien au moins partiellement l’auteur de L’Iliade, pour la raison que seul un créateur, et non des générations d’aèdes, a pu mettre au point une histoire aussi construite, démarrant « in média res » (nous sommes immédiatement plongés dans l’action), centrée sur un épisode limité de la guerre de Troie (dont il ne donne ni le début, ni la fin), avec des personnages d’une richesse inouïe et une narration au cordeau. Un roman, vous dis-je.

A sa lecture, quelque chose remonte de nos origines, un parfum d’étrange proximité voisine avec le sentiment d’une perte irrémédiable. Mais le plus étonnant est bien la présence sur notre épaule d’un auteur singulier, qui joue de notre attention et de notre sensibilité.

A lire dans la nouvelle traduction de Pierre Judet de la Combe (dans Tout Homère, Albin Michel/Les Belles Lettres, 2019).

#Olivier Olgan

Pour suivre Claude Bard

Le Voyage à Arles, premier roman, à paraitre début septembre chez Serge Safran, 2024

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