Culture
Le carnet de lecture de Geneviève Laurenceau, violoniste & pédagogue
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 23 septembre 2021
Geneviève Laurenceau fut 10 ans le premier violon solo de l’orchestre du Capitole de Toulouse. Son archet aérien anime une magnifique carrière de soliste tout en travaillant collectif ! Cette amoureuse de la musique française traque et magnifie les pépites souvent délaissées, comme en témoigne Romance, son dernier cd Naïve dédié à Saint-Saëns méconnu avec le Concerto n°1 peu joué qu’elle donne dimanche 26 à l’église Saint-Martin de Laon et le 18 décembre à la Seine Musicale de Boulogne.
Chaque facette du musicien en nourrit une autre
Exemplaire de curiosité et de chemins obliques, le parcours de cette nouvelle étoile du violon français prouve qu’aucune porte ne reste fermer pour un musicien d’orchestre.
Encore faut-il pour avoir plusieurs vies, montrer une aptitude à l’indépendance d’esprit, et un archet polyvalent capable de se remettre en question. Avec de nouveaux rebonds qui en font une interprète recherchée, Geneviève Laurenceau dispose à la fois de l’intelligence des programmes et d’une sonorité rayonnante, théâtrale quand il y nécessaire mais sans esbrouffe. L’ancienne élève de Wolfgang Marschner, Zakhar Bron puis Jean-Jacques Kantorowchoisit pourtant l’humilité du dialogue au sein d’une grande formation et la musique de chambre pour renforcer sa capacité à situer son rôle par rapport à l’ensemble : « Je ne prétends pas comprendre chaque orchestre, déclare-t-elle. mais je suis plus attentive car je connais mieux les instruments isolément et leur capacité, mais aussi l’esprit de chaque pupitre. Je connais bien aussi les familles qui peuvent exister dans les orchestres. Sentir cette atmosphère de jouer en collectif. Je suis sensible à ce que ça représente d’être musicien d’orchestre, avec la force instrumentale et humaine. »
La beauté des chemins buissonniers
Le gout du partage s’étoffe depuis son départ du poste de premier violon solo de l’orchestre du Capitole de Toulouse. Il constitue aussi l’un des moteurs d’une dynamique exemplaire, avec celui de prendre des chemins buissonniers. Cette exigence la porte aussi vers d’autres activités, essentielles à ses yeux ; de professeur de la classe de violon de l’Académie Philippe Jaroussky, à directrice du Festival d’Obernai qu’elle a monté en 2009 dans sa ville natale, sans oublier des masterclasses régulières depuis 2015, au Centre d’enseignement supérieur de musique et de danse de Toulouse ( ISDAT). Pour se nourrir, elle multiplie les rencontres atypiques, en dehors des cercles classiques habituels : avec le philosophe Raphaël Enthoven, ses collaborations avec le comédien Didier Sandre ou encore le spectacle et le cd, La Symphonie des oiseaux, imaginé avec les chanteurs d’oiseaux et ornithologues Johnny Rasse et Jean Boucault…
Une discographie originale à découvrir
A son niveau de reconnaissance, Geneviève Laurenceau aurait pu dérouler dans un fauteuil les grands concertos de son répertoire et s’en tenir à ces sommets. C’est mal connaitre l’appétit de découvertes qui la taraude. Si elle se concentre sur la musique française fin de siècle, c’est parce qu’elle sent combien certains compositeurs magnifiques sont à tort délaissés et méritent autant un nouvel éclairage que de nouvelles couleurs. De Magnard à Fauré, de Chausson à Saint-Saëns (dont le centenaire reste trop discret à ses yeux), c’est dans son arbre généalogique musical qu’elle grimpe avec bonheur, et avec gourmandise qu’elle en libère les plus beaux fruits.
Première de cordée
Dans cette aventure festive, la Lauréate du concours international de Novossibirsk, et du 5e concours Le Violon de l’Adami sait depuis longtemps se faire accompagner de magnifiques compagnons, David Bismuth pour les sonates n°1 de Fauré, Pierné, Saint-Saëns dont le second thème de l’allegro agitato initial, serait à l’origine de la fameuse petite phrase proustienne de la sonate de Vinteuil, et tout récemment le chef Benjamin Lévy à la tête de l’orchestre de Picardie pour Romance, une programme Saint-Saëns de toute beauté, avec des opus que l’on programme et entend rarement : Concerto pour violon n°1 op.20, au lien du best seller Concerto n°3 qui permet à son auteur de rester dans les bacs, mais aussi l’émouvante La Muse et le Poète pour violon op.132… L’archet de cette violoniste rayonnante assume cette musique magnifiquement capté comme le reflet de ce qu’elle est, et de ses évolutions, les plus sincères.
Pour mieux aller vers les autres.
Jeter des ponts entre les musiques d’hier et d’aujourd’hui,
Toujours enclin à questionner et partager la musique, celle qui fourmille de projets profite de chaque occasion pour enrichir son carnet de rencontres (de lecture) et son répertoire, convaincu que le potentiel est fantastique. D’autant qu’elle peut s’appuyer sur des chefs d’œuvres comme sur les compositeurs d’aujourd’hui, qu’elle intéresse et sollicite. Après l’intégrale de Karol Beffa, son violon leur offre une variété de timbres et de tessitures qui fonctionne bien avec la diversité des langages d’aujourd’hui ; de Philippe Hersant à Fazil Say… Geneviève Laurenceau n’a pas finit de surprendre.
Le carnet de lecture de Geneviève Laurenceau
Le discours harmonique de Harnoncourt. Relu pendant le premier confinement, c’est un livre fondateur pour tous les musiciens et mélomanes. Une approche qui nous interpelle sur notre rôle d’interprète, sur la façon d’aborder le répertoire baroque, classique, et romantique par extension.
David Haskel, Un an dans la vie d’une forêt. L’auteur a passé un an de sa vie à regarder un mètre carré de terre, son « mandala », dans une forêt primaire des États Unis. Et sur un quel mètre carré, que de beautés ! Que d’histoires a raconter !
Un livre qui m’a profondément touchée et émue, concernant notre rapport à la nature, nos connaissances sur le vivant. C’est un livre qui donne à s’émerveiller sur la vie qui nous entoure, faune et flore, et qui nous remet dans l’état enfantin d’apprendre en observant.
Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée. Lu à l’adolescence, ce livre m’a transportée par la force de vie de l’auteure, qui se décrivait elle-même comme « douée pour la vie ».
Plus que pour ses dons de philosophe ou d’écrivain, et bien entendu en célébrant sa bataille pour l’égalité des sexes, c’est l’énergie et la liberté qui se dégagent de cette femme et de ce livre qui m’ont marquée, et continuent de m’inspirer aujourd’hui.
Proust, La recherche du temps perdu. Je me souviens m’être terriblement ennuyée pendant une bonne cinquantaine de pages… les a priori, peut-être, les descriptions que je trouvais ampoulées, longues, insupportables.
Et puis, je me suis laissée happer par cette langue, sa musique, cet esprit si analytique et sensible. J’ai ri, beaucoup. J’ai été émue, prise, emportée par sa capacité extraordinaire à décrire l’humain, le petit et l’universel, à dresser des portraits, à peindre des lieux.
Giardino Armonico, Giovanni Antonini : Vivaldi répertoire pour flûte, La morte della ragione, Symphonies de Beethoven,
Tous ses enregistrements sont pour moi des événements. J’ai la chance de connaître et d’échanger régulièrement avec ce musicien,toujours en quête de connaissances pour étayer sa compréhension des œuvres.
Sa façon de parler de la musique me passionne, par analogies non-musicales. Son approche des œuvres et sa façon de vivre la musique représentent pour moi l’alchimie parfaite entre savoir et intuition.
Bach, Sonates et partita, Isabelle Faust. Un choc, au théâtre des Champs Elysées il y a quelques années.
Une justesse de ton et une liberté de son et de tempo phénoménales, mêlées à une technique extraterrestre.
Un modèle d’intelligence.
Tchaikovsky, Symphonie pathétique. Mon premier émoi musical, toute petite. C’était un livre disque, avec l’histoire de la vie de Tchaikovsky. Je me souviens avoir ressenti déjà, si petite, toute la douleur que pouvait contenir l’âme de ce compositeur.
Et depuis, je suis restée proche de lui comme d’un ami. Et je ne peux pas écouter cette œuvre sans penser à cette émotion primaire et déterminante.
Bizet, Carmen. Avec Julia Migenes, Placido Domingo…
Dès mon plus jeune âge, l’opéra m’a fascinée. J’ai d’ailleurs voulu être chanteuse, à un moment de ma vie, pour jouer un personnage sur scène et théâtraliser la musique. Encore aujourd’hui, c’est une des formes musicales qui m’émeut le plus. Associer le mot et la théâtralité à la musique, est un élément expressif déterminant pour moi, et j’imagine souvent des histoires, des paysages et sentiments dans mon discours musical.
Pour suivre Geneviève Laurenceau
Site de Geneviève Laurenceau
Tournée Romance, Saint Saëns avec le chef Benjamin Levy : « Pour moi Saint-Saëns est un conteur. Il prend la plume pour nous raconter une histoire en musique »
- 26 septembre, 16h, : Romance op.48 – Concerto pour violon n°1 op.20, Valse caprice (arrgt. Ysaÿe), Orchestre de Picardie, église Saint-Martin de Laon (33e festival de Laon)
- 18 décembre, 20h30, Romance op. 48, Danse macabre, Symphonie n° 2 en la mineur op.55, La Muse et le Poète pour violon, violoncelle et orchestre, Le Carnaval des Animaux, Orchestre de chambre Pélléas, Seine musicale
Discographie sélective
- Saint-Saens, Romance op. 48, Concerto pour violon n°1 op.20, Romance op.37, Fantaisie pour violon et harpe op.124, La Muse et le Poète pour violon op.132, Caprice d’après étude de Valse op.52, Orchestre de Picardie, dirigée par Benjamin Levy (2021, Naive)
- Saint Saëns, Sonate pour violon et piano n°1 op.75, Fauré, Sonate n°1 op.13, Pierné, Sonate n°1, op.36 avec David Bismut, (2017, Naive)
- Mozart, Casals, Schumann, Saint-Saëns, Grieg, Messiaen, Tchaïkovski, La symphonie des oiseaux, avec les chanteurs d’oiseaux et ornithologues Jean Boucault et Johnny Rasse, et Shani Diluka, piano (Mirare)
- Magnard, Sonate et trio, avec Oliver Triendl, piano et Maximilian Hornung, violoncelle (2015, CPO)
- Fauré, Quatuor avec piano, La Bonne Chanson, avec l’ensemble Contraste et Karine Deshayes (Zig-zag Territoires).
- Beffa, Masques, intégrale de la musique de chambre, avec l’ensemble Contraste (Triton).
- Piazzolla, Gardel… Café 1930, tangos, avec l’ensemble Contraste (2017, Zig-zag Territoires).
- Franck , Quintette – Chausson, Quatuor avec piano, op. 30, avec l’ensemble Musique Oblique
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