Culture

Le Carnet de lecture de Jean-Philippe Domecq, romancier et essayiste

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 octobre 2020

Du chroniqueur de Singulars, nos lecteurs connaissent les multiples champs fertiles ; de la vitesse (automobile) à la peinture, du cinéma à la littérature, toutes formes de « critiques » au sens noble du terme que Jean-Philippe Domecq pratique en profondeur. Avec deux nouveautés : Le film de nos films (Pocket) et Heures de Paris, les nouvelles minutes parisiennes (La Bibliothèque). Dans son carnet de lecture, intense et intime se retrouvent l’éclectisme de ses curiosités, la pertinence des rapprochements : Melville/Giono, George Eliot/George Sand, et des coups de cœurs : Maud Simonnot, Carole Fives, et Isabelle Floch.  

Domecq JP © Magali C.Calisto

D’ordinaire, à la question ‘comment vous présente-t-on’, Jean Philippe Domecq répond « apprenti être humain – ce qui est plus prétentieux qu' »Ecrivain », n’est-ce pas ». Ceux qui ont lus ses chroniques de « ce qui reste de ce qui passe » pour Singulars savent qu’il n’y a aucune arrogance dans cette réponse, mais une volonté de laisser une trace d’une quête sincère et exigence, capter et restituer ce qui compte au milieu des comédies et artifices qui « divertissement » au sens Pascalien,  de l’essentiel, qui « traversera le temps »

Une tâche immense

C’est pourquoi Domecq ne cesse d’écrire pour assouvir cette passion hédoniste et critique dans les deux assertions dans le sens noble du terme :  constructive et partagée, en séparant ou redistribuant le rôle entre auteur et commentateur. Et sa plume fait feux de tout support : manifestes, essais, romans, articles (Esprit, Marianne) et même un blog.

L’éclectisme est sa façon de multiplier les ‘angles’ et les ‘regards’ au sens journalistique du terme mais avec du style (comme en avaient en leur temps, les Hugo, Zola ou Mauriac). Il s’agit de rendre compte des « mythologies » de son temps ; les fausses, comme son assaut acerbe vers les moulins à vents d’un « art contemporain » qui s’est dévoyé (Comédie de la critique) mais plus souvent les vraies du Film de nos films, à La Situation des esprits, traquées, tamisés par ce qu’elles marquent et donnent du sens à notre modernité.

Prise de conscience affective

Deux dynamiques complémentaires permettent de mieux cerner le dessein de cet arpenteur actif et sensible de notre modernité ; la « conscience affective », que Ferdinand Alquié définissait comme « l’homme sert autrement qu’il ne sent », « appelle en chacun une prise de conscience de sa pratique de spectateur », synthèse polysémique de sa démarche de critique.

Le Carnet de lecture de Jean-Philippe Domecq

Il y a les découvertes parmi les parutions récentes, et il y a les livres que l’on ne peut s’empêcher de relire, « ne pas s’en empêcher » alors qu’on en a bonne mémoire puisqu’on les a aimés ; c’est d’ailleurs un des critères permettant de clore les discussions sur les œuvres fortes et celles qui le sont moins, les chefs-d’œuvre nous faisant découvrir de nouveaux sens et échos à ce qui nous avait déjà marqués. Il y a sans doute aussi le plaisir de l’enfant en nous qui veut qu’on lui raconte la même fable sans en changer le moindre mot.

En rapprochant Giono et Melville, Jean-Philippe Domecq invite à démasquer « la fable romanesque » ou l’alchimie de la création littéraire. Lire la suite de la lecture de Domecq

  • De et autour de GionoPour saluer Melville, coll. « L’imaginaire », Gallimard ; Un roi sans divertissement, et autres romans, « La Pléiade », Gallimard ; La Bataille de Pavie, Folio-histoire, Gallimard ; « Giono », Cahier de l’Herne, études, lettres et inédits de Jean Giono.
  • De Melville: Vareuse blanche, et Pierre ou les Ambiguïtés, coll. « L’imaginaire », Gallimard ; Romans, 2 volumes « Pléiade », Gallimard.

Autre relecture que je ne m’attendais pas à faire tant j’avais adoré et mémorisé ce roman qui me paraît être le plus grand des romans d’amour. « A ce point ?, vous dites-vous, meilleur qu’Anna Karénine par exemple ? » Loin de moi l’envie de minimiser cet autre chef d’œuvre d’amour et société… j’avoue avoir relu trois fois le roman de Tolstoï dans ce laps de vie.

Bien des rapprochements sont possibles notamment leur intelligence romanesque, comme le réussit magistralement Mona Ozouf (L’autre George) entre les deux grandes figures d’écrivaine féministe du XIXème siècle, George Eliot et George Sand. Pour Jean-Philippe Domecq à leur relecture, #MeToo a aussi des effets bénéfiques en histoire littéraire aussi. Lire la suite de la lecture de Domecq

  • George Eliot, Middlemarch, et Le Moulin sur la Floss, Gallimard, « La Pléiade » ; Daniel Deronda, coll. Folio, ainsi que .
  • Mona Ozouf, L’autre George, à la rencontre de George Eliot, Folio.
  • George Sand, Romans, t. I et II, Gallimard, « La Pléiade » (en Folio).

Bon, et puis parmi les parutions toutes fraîches, trois femmes (je ne le fais pas exprès, c’est ainsi) contribuent à la floraison de cet automne littéraire assez riche :

Dans L’Enfant céleste (éd. l’Observatoire), Maud Simonnot relie en toute logique existentielle nos états d’être intimes et le Ciel qui nous englobe. Son héroïne, à la suite d’une rupture amoureuse, part avec son fils, qui est « trop » rêveur pour l’école, dans une île de la mer Baltique légendaire depuis la Renaissance où Tycho Brahe, astronome dont l’étrange destinée aurait inspiré Hamlet, imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel. Les blessures vont s’effacer là.

Dans un autre registre, un roman de rentrée 2020 fait comme si la peinture n’était plus…ringarde. Signe des temps, depuis qu’on le voyait venir…

Le roman de Carole Fives, Térébenthine ? (éd. NRF Gallimard), décrit les années d’apprentissage d’une narratrice qui, avec deux amis étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts, a l’incongruité de croire que la peinture peut encore exprimer le monde contemporain au même titre que les autres langages plastiques dont tout créateur aujourd’hui a heureusement le choix, et dont tous trois n’ignorent rien puisque multimédia, vidéo, installations in situ, dominent le marché, les institutions, l’enseignement théorique et pratique. Ce roman documentaire restitue les théories dominantes sans a priori négatif et avec une clarté méritoire vu le climat hyper-conceptuel et minimaliste-codé qui régna pendant quarante ans de ce qu’il faudra bien nommer l’Art du Contemporain. L’exclusive, et donc l’auto-censure de la majorité des jeunes enthousiasmés par le discours subversif officiel, sont telles que nos trois résistants s’excusent de peindre dans un climat de catacombes, dans les sous-sols puants la térébenthine. Autant dire que ce roman opère une catharsis historique et… libératrice : le « Réactionnariat » en art contemporain était bien du côté de ceux qui forgèrent cet anathème.

Tout autre registre enfin : dans les grands livres autobiographiques il y eut L’âge d’homme de Michel Leiris, il était temps d’avoir « l’âge de femme », se dit-on en lisant Quelques morts de mon père (éd. le Bord de l’eau), d’Isabelle Floch qui, en ressuscitant son père – et quel père, au privé comme dans la grande Histoire… -, mène sous nos yeux une exploration qui ne nous lâche pas, parce que cette filiation est rocambolesque et qu’elle emboîte l’enquête intime et de grandes affaires judiciaires de la Vème République. On en apprend de belles et neuves, d’ailleurs, qui pourraient faire du bruit.
Un thriller psychanalytique autant que politique, écrit avec l’ardente pudeur.

Pour suivre Jean-Philippe Domecq

Son blog 

Ses chroniques Ce qui reste du temps qui passe.

Dernières parutions

Heures de Paris, les nouvelles minutes parisiennes 1900-2020, La Bibliothèque, 2020, 22€

Dans la lignée de ces magnifiques « albums » collectifs, Minutes parisiennes, de l’éditeur Ollendorff, dont il s’inspire par la qualité de l’édition (maquette, illustrations, papier ), ce premier tome croise la chronique sensible de trois heures d’un soir de Paris,  7h, 9h et 10h ; chacune vue par des auteurs de 1900 : Gustave Geffroy (1855-1926), Joris-Karl Huysmans (1848-1907), Charles Jouas (1866-1942), Jean Lorrain (1855- 1906) et de 2020, Jean-Philippe Domecq (texte et photos) et la dessinatrice Nadja.

Bibliographie sélective chez Pocket Agora

  • Le film de nos films (2020)
  • Comédie de la critique, Trente ans d’art contemporain (Pocket, 2015)
  • Ce que nous dit la vitesse (2013)

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