Culture
Le Carnet de lecture de Marielle Gars & Sébastien Authemayou, Duo Intermezzo
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 8 juin 2021
A l’occasion du centenaire de la naissance d’Astor Piazzolla (1921-1992), la pianiste Marielle Gars et le bandonéoniste Sébastien Authemayou, lui consacre une remarquable biographie musicale, Libertad, l’étonnant voyage d’un homme libre, et un cd qui couvrent 40 années de carrière du maitre argentin. Deux concerts les 23 et 24 juin associent le Duo Intermezzo aux musiciens argentins Roberto Aussel et Raúl Barboza à l’Ambassade de la République Argentine à Paris. Avant une tournée Libertad en France.
Pour le duo, Astor Piazzolla est un précipité de la musique du XXe
Depuis sa création en 2006, le Duo Intermezzo se consacre à promouvoir la musique du maestro argentin Astor Piazzolla (1921-1992), à sa manière. Avec leur propre lecture, par des arrangements inédits ciselés et « conçus pour respecter au mieux la pensée piazzollienne originale » Pour son centenaire, la pianiste Marielle Gars et le bandonéoniste Sébastien Authemayou ont sauté le pas, rare pour des musiciens en exercice, « de se laisser envahir par son œuvre au travers des épreuves ou victoires qu’il a traversées tout au long de son existence ». Pour se lancer dans l’écriture d’une immense somme biographique vécue comme le défi de partager, d’échanger, de transmettre tant leurs émotions que des connaissances. Pour un monument de plus de 500 pages !
Libertad, Musique et récit se complètent
Pour une véritable quête de sens, le duo ne se contente pas de retracer la vie du compositeur argentin, avec moults documents et témoignages à leur disposition. Prolongeant leurs échanges vécus dans les salles feutrées des concerts, ils réussissent à brosser le parcours musical de celui qui a révolutionné l’histoire du tango mais « au-delà, celle de toute la musique du XXème siècle ». La force de ce récit immersif (puisqu’un disque l’accompagne) est vécu à hauteur de musicien, à la fois d’interprète et d’admirateur. Une expérience partagée entreprise de l’intérieur des notes montre comment Piazzolla à « précipiter » dans son langage comme on le dirait d’un alchimiste, des éléments empruntés au jazz, à la musique classique, à la musique de Bach, au romantisme, aux musiques populaires et folkloriques…
Une expérience à hauteur de musicien
Pour un passionnant portrait musical, le plus authentique et le plus éclectique possible d’une vue dédiée à la musique qui touche, interpelle, bouleverse autant qu’elle captive. « Le personnage est par ailleurs tout aussi attachant et extraordinairement saisissant d’humanité. Astor est resté toute sa vie un être libre et authentique. »
Avec cet hommage incontournable, le duo a gagné son pari !
Carnet de lecture de Marielle Gars & Sébastien Authemayou, à quatre mains
[SA] Robert Schumann, l’œuvre pour violoncelle et piano par Frédéric Lodéon et Daria Hovora (Erato). Enregistré en 1977 à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, ce témoignage discographique nous a marqué par sa plénitude, par sa générosité et par son incontestable sincérité. Un duo de musique de chambre magistral qui s’impose comme une référence incontournable tant l’engagement artistique qui s’en dégage nous captive dès la première note de la Fantasiestücke Op.73.
Suivent l’Adagio & Allegro Op.70, puis la Stücke im Volkston Op.102 et la Rêverie (n°7 des Scènes d’enfants Op.15).
Avec pédagogie, passion, enthousiasme, Frédéric Lodéon sait nous transmettre et nous délivrer avec un immense talent tous les secrets de la musique, que ce soit devant une caméra, derrière un micro, avec son violoncelle ou encore avec sa baguette de chef entre les mains ! À écouter.
[SA] La paloma enamoradan Atahualpa Yupanqui par Roberto Aussel (Aeon). Roberto Aussel est un éminent pédagogue et concertiste reconnu, apprécié dans le monde entier. Tout comme Frédéric Lodéon, il fait partie de ces personnes rares et précieuses, à la fois humbles, humaines, loyales et vraies, bien qu’extrêmement talentueuses.
Tous ses enregistrements sont extraordinaires, majestueux, uniques et nous emmènent à coup sûr dans un voyage lumineux et authentique. Sa guitare chante, nous envoûte, nous inonde de bonheur et d’émotions comme seuls quelques exceptionnels magiciens de la musique savent le faire. Un trésor musical précieux qu’il convient de savourer à sa juste valeur.
[MG] Trio in Tokyo par Michel Petrucciani, Steve Gadd et Anthony Jackson (Drefus Jazz). Ce disque est peut-être LE disque qui synthétise à lui seul l’art si singulier de Michel Petrucciani. Comme si nous assistions à ce concert en direct, l’osmose du trio nous happe dès les premières mesures et ne nous quitte plus, nous sommes ensorcelés par un swing à couper le souffle.
Michel Petrucciani nous enchante, soutenu par les magistraux Steve Gadd et Anthony Jackson, deux monstres sacrés du jazz. Tout simplement éblouissant ! A regarder
[SA] Une voix dix doigts par Claude Nougaro et Maurice Vander (Philips). Là encore, ce duo s’érige comme un monument de l’art dans le très difficile, impardonnable et redoutable exercice du récital piano – voix.. Nougaro le poète, le créateur à la diction rythmique irréprochable tutoie les astres en compagnie du génial Maurice Vander, maître du temps, qui nous enchante par son jeu riche, puissant, par ses harmonies savoureuses et ses improvisations d’exception.
Un sommet de la chanson française et un double album où textes et musiques se répondent sans cesse dans un étincelant arc-en-ciel d’émotions.
À déguster sans modération pour les amoureux des mots, des rimes, des sons !
[SA] Fantásia Cubana par Chucho Valdés (Blue Note Records) Chucho Valdes est sans conteste un immense pianiste par sa taille mais surtout par son talent. Sa technique instrumentale est colossale, à tel point, qu’on le compare très souvent à Art Tatum et Vladimir Horowitz, deux pianistes iconiques dans leurs domaines respectifs du piano jazz et du piano classique. Et ce n’est pas le fruit du hasard car dans cette album sous-titré « Variations on classical themes », le maestro cubain propose des versions personnelles de thèmes classiques sur lesquels il improvise avec grâce et justesse : Prélude en Mi mineur et Valse en la mineur de Chopin, Rêverie et Arabesque de Debussy, Pavane pour une infante défunte de Ravel… Chucho Valdés qualifie lui-même ce disque « de plus important challenge de sa carrière pianistique »…
Et si le pianiste place à un tel niveau le travail qu’il nous offre, c’est sans doute parce qu’il résume en partie ici son art si personnel où sa force, parfois même sa brutalité, laisse s’exprimer dans l’instant suivant une extrême douceur et une infinie poésie. Irrésistible !
[SA] Live in Lugano par Astor Piazzolla y su quinteto (Milan Records)
D’une grande richesse et philosophiquement très intéressant, l’exercice de réaliser ce « Carnet de lecture » n’est en aucun cas une tâche aisée car il implique de faire des choix, de renoncer à une sélection d’artistes, de disques que nous adorons et qui figurent bien sûr dans notre discothèque depuis bien des années. Mais il était bien évidemment impossible pour nous de ne pas mentionner au moins un enregistrement du Maestro Piazzolla parmi sa prolifique production.
Ainsi, un enregistrement de son dernier quinteto tango nuevo s’est rapidement imposé comme représentatif de sa pensée, de son discours, de son génie.
Cette formation instrumentale est sans doute celle avec laquelle il a été le plus créatif, peut-être le plus inspiré, dans tous les cas, c’est avec elle qu’il a pu conquérir le monde entier et obtenir une reconnaissance internationale à partir du début des années 1980.
Entourés des légendaires Fernando Suárez Paz, Pablo Ziegler, Hector Console, Oscar López Ruiz, Astor Piazzolla propose lors de ce concert live à Lugano un témoignage discographique de référence.
Il y en a bien d’autres mais celui-ci nous touche particulièrement depuis toujours tant par sa subtilité et sa finesse que par son énergie communicative et flamboyante.
[SA] Shostakovitch & Tchaikovsky Trio par Martha Argerich, Gidon Kremer et Mischa Maisky (Deutsche Grammophon)
Trois légendes de la musique, trois lumières célestes qui nous illuminent avec bonheur depuis des décennies. Nous mesurons donc notre chance d’avoir eu l’immense plaisir de les applaudir plusieurs fois en concert.
Nous pourrions même parler de « Divinités » de la musique tant tout est exemplaire dans ce qu’ils nous donnent à entendre comme une leçon de vie, une leçon de musique permanente dans laquelle chaque note scintille et rejoint les suivantes dans un feu d’artifice de sensibilité et de splendeur. À l’image de leur talent, la discographie de ces trois monuments est gigantesque et tout, absolument tout, doit se savourer comme un exemple de ce que l’humain possède de meilleur.
[MG] Bach, Suites pour violoncelle par Anner Bylsma (Vivarte / Sony Classical) Bach, père des musiciens, cantor de Leipzig, maître incontesté du contrepoint et de l’Art de la fugue… Rien que ces quelques mots donnent le vertige, ce qui rend encore plus fascinant l’interprétation magnifique et pure du violoncelliste néerlandais.
Comme une invitation à l’introspection dans une parfaite maîtrise de l’art et du discours baroque, nous savons désormais que la beauté existe.
Le temps est comme suspendu aux quatre cordes de son Stradivarius : les silences et les respirations sont « musique » et permettent alors au maestro Bylsma de sublimer les courbes, volutes et autres lignes mélodiques dans cette lecture très sensible et très juste.
Les lectures de Marielle Gars
Les variations Goldberg de Nancy Huston (première édition Seuil, puis Babel / Actes Sud) Dans ce premier roman de la romancière Franco-Canadienne publié en 1981, le fil narratif est ici parfaitement ciselé et s’insère comme un bijou dans un précieux écrin, celui des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. En effet, Nancy Huston rythme son discours en suivant la structure exacte de l’œuvre du maître allemand composée vers 1740 : Aria introductive, suivie des trente variations, puis reprise de l’Aria pour conclure.
Ainsi, chaque variation correspond alors au discours intérieur d’un personnage invité, mis en scène par Nancy Huston dans une symbiose parfaite de la musique et de la littérature.
Si je cessais de vous écrire de Gilles Vincent (Editions Parole), « J’avais envie d’écrire un roman qui nous parle de nos drames, de nos chutes comme de nos belles délivrances. Une histoire sombre et lumineuse où le flamenco et la peinture de Diego Velásquez se partagent une part des vérités ».
Tous les éléments d’un grand roman sont ici regroupés pour nous transmettre une incontestable leçon de vie, une leçon d’espoir et une victoire sur le néant au travers d’une intrigue qui nous maintient en haleine de la première à la dernière phrase. Un livre dont on se souvient longtemps. À dévorer et à découvrir parmi l’étonnant catalogue des Éditions Parole, maison d’édition indépendante créative et impliquée dans des propositions littéraires allant de l’essai (Nancy Huston), au récits biographiques (Pierre Micheletti, actuel Président d’Action Contre la Faim et ancien Président de Médecins du Monde), en passant par des publications plus scientifiques (Daniel Nahon, François Roddier, Virginie Langlois…), ou des romans et nouvelles (Jean Darot, Fanny Saintenoy, Laure Sorasso, André Cohen Aknin, Simone Righetti, Muriel Roche, Anne Lecourt, Christine Demarchi…).
Vous avez dit baroque de Philippe Beaussant (Babel / Actes Sud) Sous-titré « Musique du passé, pratiques d’aujourd’hui », ce livre de Philippe Beaussant nous interroge et nous pousse dans nos retranchements. Il soulève des questions essentielles, met au grand jour des conversations, échanges ou querelles entre « anciens » et « modernes ».
Par ailleurs, ces débats existant autour de bien des esthétiques musicales tout comme dans de très nombreux sujets de société, les réflexions présentées ici dépassent alors le simple cadre du sujet traité.« Un grand musicien peut jouer sur n’importe quel instrument. Horowitz peut se permettre de jouer du Scarlatti au piano. C’est du piano, et c’est du Scarlatti. Et c’est de la musique… »
Les finalités de la musique, mais plus largement de l’art, c’est-à-dire véhiculer un message, transmettre des émotions ne doivent-elles donc pas systématiquement l’emporter sur le moyen d’y parvenir ?
Musique et spiritualité de Monique Deschaussées (Dervy) Disciple des pianistes Edwin Fischer et Alfred Cortot, Monique Deschaussées est sans conteste une pédagogue rare, concertiste et enseignante de renommée internationale. Avec passion, bienveillance, exigence, altruisme, sagesse et charisme, elle sait tirer le meilleur de chacun en s’appuyant sur une prise de conscience accrue du rôle du corps dans l’interprétation musicale, mais aussi du rôle de la spiritualité et de l’esprit. « Que nous soyons ou non musiciens, ce livre nous invite à nous mettre à l’écoute de notre propre mélodie intérieure. C’est un chant d’amour à l’art et à la vie ».
Pour suivre le Duo Intermezzo
Le site du duointermezzo
A lire : Libertad, L’étonnant voyage d’un homme libre, editionsparole, 528 p. et cd plus de 75 mn, 39 €
Voir : le Documentaire du centenaire Piazzolla
Prochains concerts
23 & 24 juin, Astor Piazzolla 100 ans, Concert lecture LIBERTAD avec Roberto Aussel, Raúl Barboza et Claude Fosse (lecture), Salons de l’Ambassade de la République d’Argentine en France. sur invitation
10 juillet, Concert LIBERTAD, Roll’studio Jazz Club, Marseille (13)
12 août, Concert LIBERTAD, Festival Deux Cloîtres en Musique, Cloître de la Cathédrale, Fréjus (83)
18 août, Concert LIBERTAD, Festival les Milles Musicaux, La Trinité sur mer (56)
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