Culture

Le carnet de lecture de Silas Bassa, pianiste et compositeur

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 27 novembre 2020

Vous ne mettrez pas facilement Silas Bassa dans une case, tant le musicien argentin assume une continuelle évolution artistique. Ses interprétations et ses compositions musicales combinent minimalisme, romantisme, impressionnisme et folklore argentin. Il ne cesse de défricher de nouvelles pistes comme le fait son dernier cd éponyme.

Prendre la tangente

Formé en Argentine et en France auprès de grands maîtres (Aldo Antognazzi, Bruno Gelber, Monique Deschaussées), il quitte rapidement le circuit classique pour embrasser la musique de son temps : « C’est en découvrant la musique de Steve Reich dans un ballet d’Anne Teresa de Keersmaeker que j’ai pris la tangente, je me suis soudain rendu compte qu’aucun de mes professeurs ne m’avaient jusque là parlé ni de Reich ni de Philip Glass ni d’Arvö Part. L’enseignement s’arrêtait à Debussy, le répertoire à Messiaen. »

Un éclectisme éclairant

Après deux précédents albums remarqués pour leur éclectisme Oscillations et Dualita  (publiés par le label Paraty), Silas Bassa surprenait avec son ‘piano monde‘. De Messiaen à Cage, de Satie à Glass, de Ligeti au postminimaliste William Duckworth (1943-2012) sans oublier quelques tangos, le pianiste argentin revendique avec gourmandise réminiscences et admirations en y glissant quelques de ses compositions comme Réminiscence, Eternità, … . Ses cocktails composés avec subtilité sont à la fois toniques et persistants dans l’oreille, comme on le dit d’un bon millésime.

Prise de risque sans le filet du concert

Son dernier album inscrit son prénom, Silas, édité par label Klarthe. Le pianiste assume son envol. Et propose uniquement ses propres compositions. Avec une prise de risque totale d’autant qu’aucun concert COVID oblige ne permet d’écrêter : « Je sais que dans le contemporain, qu’il y a un préjugé fort envers les musiques mélodiques qui paraissent trop accessibles, et je sais que c’est un challenge de sortir un album né d’une démarche si personnelle sans être connu. Mais cela me correspond et ma musique ne s’adresse pas à un cercle restreint. »

Cinéphile aguerrie

Cette composition assume une autobiographie assumée, qui montre aussi la finesse et la diversité de ses racines : les musiques de films qui m’ont marqué adolescent, celles de Zbigniew Preisner, Nino Rota, Michel Legrand, et toujours Philip Glass, côtoient la musica del littoral, celle de sa région natale, comme celle d’Ariel Ramirez, connu pour sa Misa Criolla et Alfonsina y el mar, ou Carlos Guastavino, natif eux aussi de Santa Fe. « Cette région a une identité musicale forte, empreinte de nostalgie et de mélancolie. Assume le musicien. Parfois elle se danse, par exemple dans le Chamamé, le courant le plus connu. »

Il faut se laisser tenter puis porter par ce voyage hypnotique, entre transe et danse, entre tendresse et violence, entre évolution et statisme. Et il faut se réjouir que ce musicien refuse d’être et de s’enfermer dans un genre.  Sans surprise son carnet de lecture reflète sa belle singularité.

Le Carnet de lecture de Silas Bassa

« Depuis l’enfance je me questionne sur le monde, les êtres et la vie qui m’entoure… Non conforme a l’idée d’une religion (je suis issu d’une famille chrétienne non pratiquante) et à la recherche d’une réponse,  j’ai commencé  à explorer la philosophie et la spiritualité ce qui m’a conduit vers Jiddu Krishnamurti (1895-1986) et son livre « De la vérité ». C’est devenu une évidence. Ce livre a été le départ de beaucoup d’autres lectures. Sur ce chemin je fis la rencontre quelques années plus tard de Nita Klein, tragédienne et fille du penseur philosophe Jean Klein, ce qui m’a permis de m’initier à la philosophie de la « non dualité ». Le livre qu’elle lui dédie « À l’écoute de Jean Klein » me touche  particulièrement, on y  découvre les échanges entre Jean Klein et sa fille sur le travail de l’artiste,  et le lien direct avec sa philosophie et comment elle nourrit toutes les formes créativité. Je lui dédie moi même mon deuxième album « Dualità » dans lequel on peut entendre  Nita Klein dire le poème d’Aloysius Bertrand  « Le GIbet » qui accompagne la pièce homonyme de Maurice Ravel.

Une autre rencontre importante a été celle d’ Alejandro Jodorowsky (1929), artiste multidisciplinaire et très intéressant. Son livre « Psychomagie »  m’a accompagné pendant une bonne partie du processus  de composition de ce nouvel album. J’ai beaucoup travaillé sur la question des « croyances héritées » et de comment, à travers des actions, on peut arriver a se libérer du connu qui parfois nous contraint d’avancer et même de créer! C’est une sorte de « thérapie révolutionnaire » que nous propose Jodorowsky: apprendre à la raison à parler le langage des rêves.

Un autre livre qui m’a accompagné pendant la composition de mon nouvel album est celui de François Cheng, 5 méditations sur la Beauté : « La vraie beauté est élan de l’Être vers la beauté et le renouvellement de cet élan ».

Pendant la période de confinement,  j’ai plongé dans l’essai de Maurice Matterlinck, Le trésor des humbles. J’ai été conquis dès le premier chapitre « Le silence ». Le silence,  occupe une place très importante dans ma musique, je cite  « la parole est du temps, le silence de l’éternité ». Un très beau récit avec l’âme en tant qu’interlocuteur privilégié et où écrire est tenter d’entendre cette voix de l’invisible qui nous interpelle.

J’ai découvert la musique de Philip Glass très tard par rapport à ma formation musicale ; jamais, aucun de mes Maîtres ne  m’avaient parlé de lui et c’est à travers le cinéma et la danse que je suis arrivé à lui. Je n’oublierai jamais la première fois  où j’ai découvert au piano la Metamorphosis no.3 . J’étais en Argentine à Santa Fe, ma ville natale, un voyage émotionnant puisque mon père venait de mourir et le lien que j’ai eu avec cette musique m’a totalement bouleversé.
Depuis sa musique ne me quitte plus et c’est avec joie que je plonge dans la lecture de son autobiographie, Paroles sans musique ; ce qui me rapproche d’avantage de lui et me fait encore plus l’admirer.  Raconter une vie en musique, c’est bien arriver à dire ceci « Je ne pense plus sur la musique, je pense musique. Mon cerveau pense musique. Il ne pense pas avec des mots. » Et d’ajouter : « je trouve la musique à partir de la musique elle-même, elle n’a pas d’excuses ni explications à donner ».

J’ai eu la chance de rencontrer  il y a quelques années Katia et Marielle Labèque. Une belle amitié s’est immédiatement établie entre nous, fondamentale pour moi. Leurs encouragements et conseils m’ont permis de franchir une étape, de me lancer pleinement dans la composition. Leur livre, « Une vie à quatre mains », retrace leurs parcours exceptionnels et nous offre des anecdotes incroyables sur tous ces grands artistes qu’elles ont croisées. Je suis admiratif de leur originalité, leur audace, de cette force de travail et de cette recherche constante de renouvellement et cette curiosité pour les musiques actuelles.

Pour suivre Silas Bassa

Son site

Sa chaîne youtube

La cinémathèque idéale de Silas Bassa

De par sa mère, grande cinéphile, le musicien a été initié de tout petit à l’amour pour le cinéma :  » A Paris, abonné a la Cinémathèque,  j’ai pu voir, revoir et découvrir tant de chef d’œuvres ! Il y en a tellement que je ne citerai que ceux qui m’ont marqué plus spécialement par leur bande sonore ».

  • Bleu. Blanc. Rouge, Krzysztof Kieślowski/musique : Zbigniew Preisner
  • L’orange mécanique, Wendy Carlos
  • Mulholland Drive, David Lynch/ musique: Angelo Badalamenti (et Twin Peaks!)
  • 8 et 1/2 Fellini/Musique: Nino Rotta
  • Tous les films signés, Jacques Démy/ Michel Legrand
  • West side Story, Robert Wise /musique: Leonard Bernstein
  • Le temps des gitans, Emir Kisturika/ musique: Goran Bregovic
  • In the mood for love, Wong Kar-wai / musique:  Shigeru Umebayashi
  • Dracula, Francis Ford Coppola/musique de Wojciech Kilar
  • Evita, Alan Parker/musique: Andrew Lloyd Webber : un film qui réunit mes origines argentines, une musique que j’ai tant écouté et une artiste que j’admire depuis mon enfance et qui m’a tant inspiré: Madonna.

Partager

Articles similaires

Trois questions à Pascal Amoyel sur Chopin, Une leçon de piano de Chopin (Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi, comédienne, Le Radeau de la Méduse

Voir l'article

Une leçon avec Chopin transcende Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de Lecture de Caroline Rainette, auteure et comédienne, Alice Guy, Mademoiselle Cinéma

Voir l'article