Culture
Le carnet de lecture de Vanessa Wagner, pianiste, directrice du Festival de Chambord
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 30 juin 2021
En 10 ans, la pianiste Vanessa Wagner a fait du Festival de Chambord du 3 au 17 juillet un creuset de rencontres et un laboratoire de nouveaux formats, initiant des collaborations transversales, mêlant avec imagination musiques, danses, vidéo, ou poésie…. C’est aussi la continuité d’un parcours qui a su décloisonner les genres et s’implanter dans la musique d’aujourd’hui. This is America ! son dernier enregistrement avec Wilhem Latchoumia (cd Dolce Volta) condense magnifiquement cette dynamique d’émerveillements actifs et de bienveillance gourmande. Ils le jouent à Chambord le 12 juillet et à La Roque d’Anthéron, le 31 juillet.
S’affranchir des règles
“ Ce qui a changé, c’est le regard des autres. Quelque chose de tangible, une reconnaissance officielle pour laquelle il faut désormais être à la hauteur.” Vanessa Wagner n’a jamais oublié l’impact de cette Victoire de la Musique ‘Jeune talent’ en 1999. Mais au lieu de lui tourner la tête, cette reconnaissance – qu’elle pris pour son niveau d’exigence – l’a obligée. Et n’a constituée qu’une étape utile pour mener une carrière avec l’éthique de l’ouverture « sans écraser les autres ».
Fuyant les concours, les étiquettes et les stéréotypes du milieu classique, celle que Le Monde décrit comme « La pianiste la plus délicieusement singulière de sa génération » n’a depuis jamais cessé de conquérir sa liberté à travers des projets qui lui ressemblent et dans lesquels les frontières artistiques sont volontairement effacées. Sans pour autant céder à cette facilité « de la « vulgarisation vulgaire » selon ses termes.
Ses programmes en témoignent, comme les plusieurs pièces que lui ont dédiées Pascal Dusapin, François Meimoun, Amy Crankshaw ou Alex Nante. Elle est libre et fascine Vanessa !
Inventer sa carrière et sa vie, le moteur d’une éthique
Près de vingt ans après nous avoir confié son éthique musicale, Vanessa en a fait la dynamique de son immense curiosité : « L’un des grands enjeux et en même temps l’une des principales qualités d’une sublime interprétation, c’est d’allier à la fois une personnalité très forte et un respect du texte qui est pour moi est essentiel. ” De ses maîtres Léon Fischer et Arthur Schnabel, l’élève a appris et partage – en soliste, en chambre ou à la tête d’un Festival – l’interrogation inlassable sur le sens de la forme, et plus profondément, la légitimité de l’acte musical. Depuis elle y rajoute à ceux qui s’interrogent sur le mélange des genres dont elle s’est fait une spécialité gourmande : « quand la motivation et le plaisir personnel rencontrent un intérêt musical, cela donne la légitimité à un projet ».
https://youtu.be/3D94aqeG0AM
Maitriser le rythme, pas l’enthousiasme
Le rythme de concerts comme les étapes de sa discographie restent parfaitement à sa main. Osant beaucoup, surprenant plus encore. Diversifiant le plus possible son jeu, son toucher pour le mettre au service des œuvres et des styles. N’hésitant pas ni à apprivoiser le piano forte, ou l’orgue, ni aller se frotter au piano minimaliste et à la musique électronique. l’aventurière refuse les murs qui séparent les répertoires, encore plus quand il s’agit des musiques de son temps. Chaque programme devient l’occasion de « proposer une autre façon d’écouter, de vivre le concert, un autre éclairage. C’est à la fois une revendication de ma part – vouloir élargir les horizons – et en même temps, c’est une voie d’épanouissement qui possède une cohérence et un sens musical. »
Ici le parcours de musique devient toujours un parcours de vie. Toujours confiant dans la curiosité de ses contemporains.
Une ouverture bienveillante
Cette curiosité bienveillante rend son parcours et le Festival de Chambord dont elle est directrice artistique depuis 10 ans si attachant. Toujours être nécessaire, voir vitale, toujours sortir du confort ou de l’habitude stérile. Son questionnement éthique se retrouve dans la préparation aussi bien de sa programmation estivale que dans sa quinzaine de disques.
Dans les livrets de ses disques, l’alchimiste des « dualités » donne les clés de ses découvertes ou confirmations dans une langue éclairante. Ce qui contribue pour ceux qui s’en donnent la peine à saisir son cheminement personnel et musical. Par exemple, (en parlant du piano forte pour Mozart, et du piano moderne pour Clémenti qu’elle réhabilite) « Même si cela est déroutant, c’est aussi une position enrichissante pour l’auditeur de se retrouver confronté à deux univers, deux sonorités, deux époques. On s’habitue assez facilement aux différences de diapasons. (…) Désormais, grâce à ma fréquentation des instruments d’époque, je recherche sur piano moderne plus de subtilité, de clarté et de délié dans le phrasé. Il résiste à tous ces automatismes nécessaires sur piano moderne. Cela transforme le rapport à l’interprétation et conduit à plus d’humilité : nous ne sommes plus maîtres à bord, mais à l’écoute des failles, des scories ou d’un marteau qui grince. »
Pour son programme Lizst – Part, la pianiste s’enthousiasme : » le lien entre ces deux artistes est évident : ils partagent une certaine forme de spiritualité, qui transcende leurs époques et leurs modes d‘expression. Un tel cloisonnement me semble absurde, car on trouve chez Liszt, Scriabine ou Janáček les prémices de la musique minimaliste. Il n’y a pas de séparation radicale entre les genres. Mais heureusement, les mentalités évoluent progressivement. »
Vous avez dit ‘minimaliste’
Celle qui « espère toujours toucher plusieurs publics et faire tomber quelques barrières » travaille depuis des années à donner une vision plus large de cette musique américaine des années 70s qu’on réduit souvent au terme « minimaliste » parfois peu considérée (même si elle connait un succès populaire). This is America, son dernier enregistrement en plein confinement avec son complice Wilhem Latchoumia se veut une stimulante contribution au plaisir d’écouter Adams, Bernstein, Glass, et Monk, loin des clichés et surtout des oeuvres riches en émotions : « Ce répertoire a parfois souffert de codes qui mettaient de côté texture sonore, souplesse du phrasé, différenciation des nuances. Par exemple, la pièce d’Adams peut être jouée dans un registre très dur, uniquement rythmique, alors qu’elle regorge de couleurs, de nuances qui ne demandent qu’à ressortir avec sensualité et poésie. »
Changer son rapport à la vie tout en restant humble. Ce paradoxe, Vanessa Wagner le décline à sa manière, avec maturité, imagination, et engagements, tout en citant quand on lui demande de définir son métier, le mythique Sviatoslav Richter (1915 -1997) qui affirmait : « je suis un interprète. »
Le carnet de lecture de Vanessa Wagner
Schubert, Winterreise, par Mathias Goerne et Christoph Eschenbach. Une des œuvres que j’ai le plus écoutée, entendue en concert notamment par ces 2 interprètes en totale fusion. Goerne incarne chaque note chaque mot et Eschenbach mène l’art d’accompagner au sommet. La mélancolie profonde de ce cycle dont l’errance mène à la mort de tout idéal est immensément noire mais comme toujours avec la musique de Schubert il y a les réminiscences des temps heureux qui apportent de la lumière et le rapport très fort et poétique à la nature. Le cheminement sur les sentiers est mêlé au cheminement existentiel.
Arvo Pärt, Silencio, Tabula Rasa, Gidon Kremer. Aussi une œuvre que j’écoute en boucle. J’étais présente aux 80 ans de Arvo Part à la philharmonie de Paris et Tabula Rasa a été jouée par Jarvi et Mullova. J’étais très fatiguée car j’avais joué la veille et en état de réception émotive totale. J’ai passé le concert à pleuré d’émotion. Je rêve de jouer la partie de piano un jour! La musique de Part empreinte d’une grande spiritualité et immense profondeur me fascine.
Verdi La Traviata, par Cotrubas, dirigé par Kleiber. Le disque de mon enfance dont je connais chaque souffle chaque respiration. Cotrubas est pour moi la plus grande Violetta. La musique de Verdi malgré ses emphases me parle encore aujourd’hui et j’aime toujours y revenir même si l’opéra n’est pas le genre musical que j’écoute le plus. Il suffit que résonnent les premiers notes de L’ouverture de Traviata pour que mes yeux se mouillent de larmes!
Schoenberg. La nuit transfigurée, par Belcea, Michael Gordon Dystopia Jonathan Nott. Gordon est un compositeur américain peu connu en France et ce qu’il a fait avec cette symphonie de Beethoven m’a convaincue. S’emparer d’un chef d’œuvre est risqué mais il réussit tout en gardant quelque de reconnaissable a en faire quelque chose de novateur et personnel. Et très marquant. J’avais entendu le mouvement lent à Chaillot pour un spectacle de danse et j’avais été subjuguée.
Steve Reich City life, par Bradley Lubman. Steve reich ensemble. Immense choc à la découverte de Reich quand j’étais jeune. Surtout ce disque. Il a ouvert des portes à toute une génération de musiciens, éclaté les codes les styles mélangé musique savante populaire samples instruments acoustiques et électroniques.
Schubert Sonates D960 664, par Javier Perianes. Des Sonates que je connais par cœur mais grand coup de cœur pour ce pianiste de ma génération dont le toucher est une merveille de poésie et délicatesse
Janacek par Alain Planès, Un disque que j’ai beaucoup écouté, cette musique à la fois ascétique mais incroyablement tendue et profonde me bouleverse. Le jeu de Planès est en totale osmose avec cet esprit, à la fois simple mais essentiel, une rugosité hyper sensible. Je rapproche ce compositeur de Schubert malgré un style, une époque très différents. On y trouve la même nostalgie, une simplicité bouleversante, une profondeur sans pathos qui va droit au coeur.
Beethoven opus 109, par Solomon Cutner (1902-1988). Solomon est un pianiste que j’adore, on ne joue plus du tout comme cela, c’est pour ainsi dire « passé de mode » et pourtant, sa sonorité et sa poésie sont magiques. L’opus 109 ferait hurler les puristes tant elle est romantisée mais quel souffle, quels timbres, quelle imagination. Adolescente j’ai beaucoup écouté de « vieux » pianistes et encore aujourd’hui je retourne constamment sur les Guilels, Richter, Kempf ou bien sûr Clara Haskil qui était l’idole de ma jeunesse.
Sibelius violon concerto, par Christian Ferras : Mon concerto préféré noir et passionné sous les doigts d’un écorché vif. Chaque note est jouée comme si c’était la dernière à la fois hyper fragile et en allant jusqu’au bout…merveille.
Litanies Nicholas Lens, Nick cave. Mon dernier coup de coeur. Inclassable, ce qui se fait de mieux dans le risqué mélange des genres. Style épuré textes sublimes entre prières et poésies de Nick cave et orchestration simple mais magnifique, on oscille entre pop, Opéra de chambre, style minimaliste, à la fois abordable et exigeant.
Lectures
Wajdi Mouawad, Anima. Un livre coup de poing qui m’a énormément marquée, dans une langue sublime. Le point de vue du narrateur change à chaque chapitre et est raconté par un animal un insecte un oiseau qui pose son regard sur les humains qui se déchirent. D’une sensibilité à fleur de peau mêlée à une grande violence, un texte très émotionnel et charnel qui nous apprend en creux, si besoin, à quel point nous pouvons être déconnectés de nos sens. Ce regard à la fois hyper sensible et désabusé des animaux sur le monde humain m’a énormément touchée.
Jean Baptiste Del Amo, Règne animal. Une sorte de Balzac d’aujourd’hui. Un immense écrivain qui parcourt un siècle d’histoire dans une exploitation familiale qui va se faire dévorer par le progrès, la pauvreté. Là aussi l’auteur parle de notre incapacité à nous relier à la nature au monde animal à notre impossibilité de nous sentir faisant partie d’un tout, notre volonté de tout asservir sans y trouver bonheur ni épanouissement. Un grand livre, fresque historique et personnelle à la fois et un fervent plaidoyer pour le monde animal.
Jean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises. Un conte que j’ai lu un soir à mon fils et qui m’a submergée d’émotion. Mon fils s’est endormi pendant que je lisais et moi j’ai continué la gorge serrée à chaque mot, je devais parfois m’arrêter tellement j’étais émue par cette histoire à la fois naïve et hyper profonde, d’une humanité extrême au milieu du grand drame de l’’Histoire.
Je l’ai offert à plein de gens ensuite et il est exposé dans ma bibliothèque car je le feuilleté régulièrement.
Pour suivre Vanessa Wagner
Son site officiel
du 3 au 17 juillet 21. 10e Festival de Chambord ; 17 soirées associant notamment Les Siècles et Sol Gabetta dans Saint-Saëns, Les Arts Florissants en concert-lecture avec Erik Orsenna autour de La Fontaine, Alexandre Tharaud, un concert en forêt avec La Grande Volière, un nouveau concept, Château en musique, promenade musicale dans le château, après sa fermeture avec Astrig Siranossian, Maroussia Gentet……
- 5 juillet, Festival de Chambord avec le Quatuor Tana
- 9 juillet, Festival de Chambord avec Arthur H
- 12 juillet, Festival de Chambord, This is America, 2 pianos avec Wilhem Latchoumia
Prochains rendez vous
- 24 juillet, Romieux – récital Inland
- 31 juillet, Festival de la Roque d’Anthéron, This is America
- 2 août, Festival de Chaillol
- 5 août, Heures Musicales du Haut Anjou – concert lecture La Nature et les Oiseaux
- 8 août, Toulouse – Dialogues en Carmélites – concert lecture
- 28 août, Annecy – Variations de ville – Carte Blanche
- 29 août, Paris – Les Solistes à Bagatelles – Mendelssohn, Grieg, Tchaikovsky, Filidei
- 11 septembre Paris – Le Centquatre – récital Inland
- 21 septembre, Metz – Arsenal – This is America !
- 24 septembre, Lens – Piano Festival
- 28 septembre, Toulouse – Le Metronum
- 2 octobre, Pau – Festival Pierres lyriques – récital
6 octobre, Vésinet -Théatre – récital - 14 octobre, Limoges – Concerto de Schumann avec l’Orchestre de Limoges
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