Culture

Le Carnet de lecture de Vincent Morel, DA, Festival Bach en Combrailles

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 2 août 2023

Passionné de musiques en général et de Bach en particulier, Vincent Morel se définit comme un passeur et transmetteur. S’il pratique l’orgue en amateur, ce mélomane très actif comme en témoigne son carnet de lecture a mis ses qualités d’administrateur au service des musiciens, puis d’institutions pour que la musique fasse bouger les lignes, autant intimes que culturelles. Mais pas à n’importe quel prix ! Depuis 2016, le directeur artistique du Festival Bach en Combrailles du 8 au 12 août 2023 à Pontaumur (Puy-de-Dôme) fait rayonner ses valeurs :  la simplicité, la spiritualité et l’exigence, convaincu qu’elles contribuent aussi à projeter le territoire. Rencontre avec un visionnaire pragmatique habité.

La musique, comme élan vital

Vincent Morel, Directeur artistique de Bach en Combrailles Photo Max Félix

L’orgue est son jardin secret, même s’il a exercé au-delà du Conservatoire, cette pratique personnelle n’a jamais fait l’ objet d’une démarche professionnelle : « J’ai beaucoup joué en liturgie, cela m’a beaucoup nourri, notamment pour concevoir des programmations cohérentes. Par exemple, juxtaposer des cantates pour leur donner un peu de chair. » Mais que l’on ne vienne pas lui dire qu’il est un musicien frustré. Il ne travaille aux cotés des musiciens, par nostalgie. Au contraire, ce diplômé de l’Université de Bourgogne fonde l’Agence Rameau pour accompagner artistes et institutions et met ses qualités professionnelles d’administrateur et conseiller artistique au service de sa passion, la transmission de la musique, ancrée sur un terrtoire.

On ne peut pas faire un Festival Bach si on n’a pas d’orgue. Ce fut le point de départ de la création de l’Association Bach en Combrailles.
Vincent Morel, DA Festival Bach-en-Combrailles

L’Orgue de l’Eglise de Pontaumur est une restitution de l’orgue d’Arnstadt, premier instrument dont Bach fut nommé titulaire en 1703 Photo DR

Mais l’orgue peut aussi devenir tout de même un fil conducteur,  puisque Jean-Marc Thiallier, le fondateur en 1998 de  l’association « Jean-Sébastien Bach en Combrailles » était organiste (élève de Marie-Claire Alain) Avec une ambition : construire un orgue à tuyaux dans l’église de Pontaumur. La première édition du festival a lieu en 1999. L’orgue construite sur une restitution de l’orgue d’Arnstadt, premier instrument dont Bach fut nommé titulaire en 1703 est inauguré en 2004.

Si je fais le métier de passeur, c’est d’abord pour transmettre la découverte et l’amour de l’écoute du répertoire, autant qu’une pratique de la musique. Porter un tel festival, c’est une responsabilité artistique autant qu’un acte de résistance devant la facilité. VM

Une histoire de filiation

La disparition du fondateur la même année (quelques mois après l’inauguration de l’orgue) appelle un nouvelle équipe Gilles Cantagrel (grand spécialiste de Bach) et Patrick Ayrton qui assurent respectivement la présentation des concerts et la direction artistique. « En 2015, si Patrick Ayrton pause ma candidature comme directeur artistique, c’est que j’étais l’administrateur de son ensemble, Les Inventions. et avait cette double casquette, à la fois de connaissance du répertoire, administrateur de spectacles vivants. Tout est ici une histoire de filiation.  »

En tant que directeur artistique, mon rôle est d’être à la croisée du chemin des artistes, du public, des financeurs mais aussi et surtout… du répertoire que nous devons transmettre. Le souci de transmettre une œuvre est pour moi tout aussi important que le souci de faire jouer tel ou tel artiste. VM

La dynamique artistique territoriale

Une direction artistique, rappelle Vincent Morel, qui regrette que ce métier dans un « petit » festival ne soit pas assez éclairé, n’est pas seulement la responsabilité d’une programmation qu’il fait de A à Z y compris la rédaction des programmes de salles,  mais de « porter politiquement le projet sur le territoire, le défendre auprès des élus et des financeurs. Même à sa 24e édition, rien n’est jamais acquis, même si cette année, la région a doublé sa subvention, ce qui nous a permis de franchir une étape. » Même si à ses yeux, les festivals en régions dépendent trop des bénévoles parfois dépassés, « alors que l’ingénierie d’un évènement devient tellement technique. »

Trois valeurs guident la vie de ce festival : la simplicité, la spiritualité et l’exigence. La simplicité, car ce qui compte c’est d’accueillir ce répertoire et de placer la musique comme seul élément qui nous réunit. On vient à Bach en Combrailles pour la musique, pour le calme et l’apaisement de ces paysages et donc aussi, paradoxalement, pour le silence.

Le repère des passionnés de Bach

Avec conviction autant que gourmandise, Vincent Morel sait faire adhérer sur « son projet unique en France :  » Chacun mettra ce qu’il veut dans ce qu’on nomme spiritualité, mais comment sortir indemne d’un concert avec trois cantates ou d’une Passion ? J’ai l’intime conviction que l’écoute de ces œuvres peut nous permettre d’aller au-delà du simple plaisir esthétique. »

Nous savons ce que nous défendons et nous savons aussi ce que nous ne défendons pas. Grâce à cette exigence, nous sommes devenus en France ce repère des passionnés de Bach.

Avec une réputation d’accueil et de bienveillance sur des programmes innovants, Vincent Morel sait qu’il peut compter aussi sur les artistes qui apprécient les offres du Festival. Sous forme de résidence : cette année Alice Julien-Lafferière avec un programme de Musique allemande du XVIIe siècle pour violon, timbales et autres instruments, créé pour l’occasion intitulé L’Harmonie des Batailles, associant Biber, Schmelzer, Froberger, Abel, Kuhnau, Pachelbel, Albertini… ou de carte blanche : le claveciniste Jean-Luc Ho pour deux concerts)

L’ensemble Correspondances à l’église de Pontaumur, Festival Bach-en-Combrailles, 2022. Photo DR

L’importance du geste artistique

Jouer une Passion, cela reste extravagant. La jouer chez nous cela la rend plus exigeant, plus importante. Venir chez nous pour ceux qui ont quelque chose à dire à Bach, c’est un peu un passage obligé là où il fallait en France. Un label, une caisse de résonnance de ce qui se fait de bien sur Bach.

Il faut saluer qu’une telle oasis à la fois créative et patrimoniale perdure en France. Et qu’elle trouve et abreuve autrement son public.  « Le profond renouvellement du public que nous observons ces dernières années et qui vient de plus en plus loin est notre plus grande fierté. » insiste notre DA heureux dont l’exigence trouve la puissance du bouche à oreille d’un public qui constitue son meilleur aiguillon.

Cet apaisement qu’il promet et promeut comme un manifeste de résistance « spirituelle », si ce mot n’est pas trop galvaudé ou pire, mal compris se double d’une bienveillance émerveillée : « Quand les gens sortent en silence du concert, on sait qu’on a gagné. »

Qui dit mieux comme ambition d’action culturelle du territoire ?

#Olivier Olgan

Le Carnet d’écoute de Vincent Morel

Au commencement était…

Pour moi c’est quitte ou double : je peux passer des jours sans rien écouter et travailler dans mon bureau dans le silence le plus absolu ou bien je suis parcouru par une envie irrésistible d’écouter et de découvrir.
Mon parcours professionnel est avant tout le résultat d’une passion pour la découverte du répertoire.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai été pétri par des disques qui m’ont façonné.

Je pense au Requiem de Jean Gilles (La Chapelle Royale / Herreweghe),

à la Missa Assumpta Est de Charpentier (Le Concert spirituel / Hervé Niquet),

aux Leçons de Ténèbres du dijonnais Joseph Michel (Le Concert Spirituel, Hervé Niquet)

au Troisième concerto pour piano de Beethoven (que j’ai découvert quand j’étais adolescent, dans un improbable enregistrement d’un orchestre des pays de l’Est que mes parents avaient reçu par « La Redoute » !), puis tous les concertos de piano de Beethoven pour lesquels j’ai une passion particulière.

Enfin, je n’oublie pas la Grande messe en ut KV. 427 de Mozart, disque que j’ai sans doute le plus écouté entre mes 15 et 20 ans dans la version des Wiener Philharmoniker / Solti.

Mais comment ne pas aussi citer la découverte de la musique de Poulenc, ma grande plongée dans les opéras de Mozart, avec une mention spéciale pour Cosi fan Tutte et les enregistrements de René Jacobs,

ainsi que les concertos pour piano de Rachmaninov.

J’ai reçu toute cette musique en fin de collège et au lycée. J’allais de découverte en découverte, je gravais frénétiquement des CD de la discothèque de la bibliothèque municipale. Mon professeur de musique du lycée me prêtait des disques, et aimait prendre du temps pour en discuter avec moi. Chaque disque était un monde en soit et en appelait d’autres. Pendant mon année de terminale, interne, je me levais plus tôt pour prendre mon petit déjeuner et j’allais m’installer dans la salle de classe écouter avec mon lecteur de disque la Messe en Si, cela me galvanisait pour la journée.

Et Bach arriva

Aussi loin que je me souvienne, le premier disque consacré à Bach que j’ai découvert chez mes parents était consacré à des extraits de l’Oratorio de Noël sous la direction Michel Corboz. La Passion selon Saint Matthieu et le Magnificat dans la version d’Herreweghe sont intimement liés à mes révisions en Licence de Musicologie. Après une Passion selon Saint Matthieu, je savais que j’avais révisé pendant trois heures.

Comme organiste, j’ai grandi avec l’intégrale d’André Isoir, mais pas de jaloux, Michel Chapuis et Marie-Claire Alain n’étaient pas loin. Un seul disque d’orgue résume à lui tout seul, ce que représente pour moi cette somme musicale : le disque de Pierre Vidal à Thionville La Bible dans l’œuvre d’orgue.

Concernant les cantates, je suis « tombé » dedans en arrivant à l’Université en 2001.

L’intégrale du Bach Collegium Japan de Suzuki débutait, j’ai donc cheminé avec ce grand chef pendant les 18 années que durera son intégrale, avant de pouvoir l’écouter par deux fois dans ses tournées européennes à Paris.

https://youtu.be/G2BaaxwYE0I

Parmi la profusion d’enregistrements consacrés à l’œuvre de Bach, j’ai une admiration toute particulière pour les lectures de Philippe Pierlot avec son Ricercar Consort. De nombreux disques seraient à citer ici pour souligner l’actualité de la discographie de l’œuvre de Bach.

Ce qui m’intéresse, plus précisément dans les cantates, c’est la présence d’un grand-orgue dans la réalisation du continuo, c’est pour moi l’enjeux principal de l’interprétation des cantates aujourd’hui.

Soulignons ici, l’exceptionnel disque de Bart Jacobs avec les Muffati dans un bouquet de transcriptions pour orgue et orchestre (Ramée 2019) : André Isoir et Le Parlement de Musique avait réalisé une même entreprise discographique en 1988 et 1993, récemment republié chez La Dolce Vita en 2013. Je voudrai aussi citer le premier disque du Bremer Barockorchester Bach to the Roots ! Il faut écouter la virtuosité d’ornementation dans la Suite pour orchestre n°2 en si mineur…avec un tel disque on a l’impression de redécouvrir que l’on croit connaître par cœur. 

 Exploration & découverte

Tous ces disques m’ont nourri et j’y reviens constamment. Je garde en mémoire ces années de découvertes, où chaque disque s’appréciait dans la longueur car sans la possibilité de passer de l’un à l’autre par le streaming.

La découverte du répertoire est pour moi une mission essentielle. J’aime passer une soirée entière plongé dans l’œuvre d’un compositeur, avec l’indispensable compagnon de route, le site IMSLP afin de télécharger les partitions pour les écouter plus attentivement : ainsi j’ai cette impression d’en garder plus précisément la mémoire. Je me souviens de soirées d’exploration des œuvres de Glazounoff (Concerto pour saxophone…), de découverte de l’inconnu Thomas Linley (à propos duquel Mozart pleura apprenant sa mort par noyade…). C’est aussi intéressant de s’intéresser aux œuvres rares, des compositeurs connus…

Plus récemment, je me suis beaucoup intéressé à l’ensemble du répertoire de compositeurs français, surtout connus pour leur œuvre d’orgue : Widor, Vierne, Tournemire. Quelle splendeur que ces œuvres concertantes pour piano et orchestre de Widor (deux concertos, une fantaisie pour piano et orchestre) : mais pourquoi cette musique n’est-elle jamais proposée au jugement du public ? Il faut remercier les anglais d’enregistrer la musique française de cette époque… Je pense aussi aux symphonies de Tournemire, dont ses huit symphonies sont totalement oubliées. Je dois confesser ici, mon admiration pour un instrument : la clarinette et plus généralement les ensembles à vents. J’admire la musique de chambre pour ensemble à vents de Beethoven, la Gran Partita de Mozart, leurs quintettes respectifs pour piano et vents, les deux concerts pour clarinette de Weber, Mozart (évidement…). 

 Disques totems

Et puis il y a ces disques que j’aime pour leur construction : 

Miroirs de l’ensemble Matheus / Spinosi (superbe Ach, dass ich Wassers gnug hätte de Johann Christophe Bach),

Un Concert pour Mazarin avec Jaroussky / La Fenice,

et parce que je dois bien le citer à un moment, tant j’adore cet enregistrement le disque consacré à Muffat de Martin Gester à l’orgue de Saint Antoine l’Abbaye, et enfin, plus récemment Notturno de l’Escadron Volant de la Reine.

Pendant le confinement

Pendant le confinement je m’étais fixé plusieurs objectifs : année Beethoven oblige, il s’agissait de lire toutes les sonates pour piano et les quatuors de Beethoven (toujours avec partition !) : quelle traversée fascinante !

Enfin, concernant Bach, je me suis surtout intéressé à la collaboration du Cantor de Leipzig avec la poétesse Christiana Mariana von Ziegler qui signe le livret de neuf admirables cantates (BWV 68, 74, 87, 103, 108, 128, 175, 176, 183). 

Des ouvertures vers d’autres mondes sonores

Pendant longtemps j’ai surtout évolué dans l’exploration de la musique ancienne. De longues périodes au cœur de la musique française, puis avec Purcell et Monteverdi mais aussi avec les œuvres des XVIIIe et XIXe siècles : Mozart et les grands romantiques, autant de chefs-d’œuvre vers lesquels on revient tout au long d’une vie. Ce n’est qu’après avoir « digéré » tout ce répertoire, que je suis allé plus loin, avec la musique du XXe siècle.

Sans doute faut-il une maturité suffisante pour rentrer dans l’œuvre de Schoenberg, Szymanowski, Zemlinsky, Korngold. Aujourd’hui, cette musique me fascine totalement, sans doute parce qu’elle est la résonance de l’Histoire du début du XXe siècle.

A ce titre, la lecture de Mélodies d’Auschwitz du compositeur Simon Laks m’avait bouleversée,

ainsi que le disque Terezin / Theresienstadt avec Anne Sofie von Otter (Deutsch Gramophone) avec les œuvres de Ullmann, Schulhoff, Kalman, Weber

Pour suivre le Festival Bach en Combrailles

Pour en savoir plus sur le Festival Bach en Combrailles
Découvrir la chaine youtube du Festival
et la playlist de Vincent Morel
Suivre  la 24e édition du 8 au 12 août 2023 : 14 concerts & auditions d’orgue, 1 nocturne, 3 Cafés-Bach

Mardi 8 août

16hPontaumur, églisePrésentation des travaux réalisés sur l’orgue de Pontaumur avec les facteurs d’orgue
18hBuffet dînatoireChâteau Miremont
21hConcertPontaumur, égliseLes Ambassadeurs,
Cantates BWV 8, 94, 114

Mercredi 9 août

12hAuditions d’orguePontaumur, égliseThomas Kientz, orgue
16hRécitalLe Montel-de-Gelat, égliseJean-Luc Ho
Variations Goldberg
21hConcertHerment, égliseChœur Hemiolia, dir. D. Comtet
22h30NocturneLe Puy-Saint-Gulmier, égliseJean-Luc Ho
« Silence, ça clavicorde » !

Jeudi 10 août

10h30Café-Bach

Jeune Public

Bromont-Lamothe, égliseAvec les musiciens de
l’ensemble Artifices
12hAuditions d’orguePontaumur, égliseBaptiste-Florian Marle-Ouvrard orgue
16hRécitalChâtel-Guyon, Eglise Sainte-AnneMatthieu Camilleri, violon solo
21hConcertRiom, église Notre-Dame-  du-MarthuretCapricornus Consort Basel & Miriam Feuersinger
Bach & Graupner

Vendredi 11 août

10h00Café-BachVillosanges, Café-AssociatifAvec Philippe Ramin

Soixante d’histoire de la discographie de la Passion selon saint Jean

12hAuditions d’orguePontaumur, égliseSamuel Liégeon, orgue
16hConcertPontgibaud, égliseEnsemble Opera Fuoco
21hConcertBromont-Lamothe, égliseEnsemble Artifices
Création L’Harmonie des batailles

Samedi 12 Août

10h00Café-BachPontaumur, salle des FêtesAvec Marc Leboucher
La Passion selon Saint Jean, exercice spirituel et expérience esthétique ?
12hAuditions d’orguePontaumur, égliseDavid Cassan? orgue
16hConcertMozac, L’ArlequinOrchestre national d’Auvergne
21hConcertPontaumur, égliseA nocte temporis & Chœur de chmabre de Namur
La Passion selon saint Jean

 

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