Culture
Le carnet de lecture d’Eve Risser, pianiste, compositrice et meneuse d’orchestres
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 13 mars 2023
« Il faut toujours de la mixité ». Pianiste et directrice artistique, jazz women et meneuse d’orchestres, Eve Risser fait de la symbiose des genres et d’une gourmandise « punk » à bousculer les codes, le fil coloré de sa vie artistique. En témoigne pour Olivier Olgan l’hilarant « Concerto contre piano et orchestre » où elle transforme avec ses complices de La Sourde une partition de Carl Philipp Emmanuel Bach en happening festif au Théâtre de l’Athénée (du 22 au 29 mars). Sa tournée Eurythmia, avec les musiciennes d’origine burkinabée du Red Desert Orchestra (cd Clean Feed) les 18-19-20 juin au Théâtre Silvia Montfort confirme cette volonté inclassable de croiser milieux et patrimoines musicaux.
Une affranchissement de toute trajectoire à la fois créatif et maitrisé
La première impression qui domine à la rencontre d’Eve Risser, c’est la densité de sa personnalité et de son travail artistique. Une fois la boîte ouverte, il sort des musiques et des projets de partout, et toujours avec un ton personnel, spectacles collectifs, discographie multiples et des rencontres, toujours des rencontres,… Chaque « onglet » de son site internet révèle et cristallise l’une des facettes d’une vie de musicienne assumée et bien remplie : « solos/duos » – « ensembles » – « orchestras » – « commandes » – « ReVer »… Loin d’une fuite en avant, celle qui se présente comme « musicienne, compositrice, pianiste et meneuse d’orchestre » sait parfaitement où elle se situe et où elle va, tout en sachant dégageant des perspectives qui clarifient sa dynamique en mouvement.
C’est que le jazz m’a fait chercher. Je n’arrivais pas à trouver cet endroit personnel dans le milieu de l’interprétation. La diversité est quelque chose de tellement relatif, en fonction d’où l’on vient, d’où on s’enferme. Le dialogue sert à comprendre l’altérité.
« Neige de Norvège – Soleil de l’Afrique »
Dans ce qui apparait comme un maelstrom (qui s’est accéléré après le Covid), si l’artiste plurisdisplinaire reconnait parfois ne pas savoir dans quelle ville elle est, sa production est pourtant bien structurée ; sa compagnie « ReVer » créée en 2019, lui permet soutenir ses projets les plus personnels – des commandes comme celle récente Be twin, créée pour le Festival Présences, à la direction de grands ensembles. ReVer prolonge le collectif « Umlaut » créé en 2004 à Stockholm qu’Eve développe à Paris à partir de 2009 autour de plusieurs axes; la création, un festival, un label Umlaut Records qui compte plus de 80 références et un travail de recherches notamment sur l’articulation entre écriture et improvisation…
Cette expérience inspire toujours sa dynamique propre actuelle.
Neige – Soleil. Pendant 10 ans j’ai creusé la musique méditative, désormais je suis dans la musique rythmique. Je traverse pas mal de musiques, soit je vais vers une musique très calme, soit une musique très puissante.
Pour résumer une identité musicale complexe, on l’aura compris, mais surtout passionnante. Eve Risser aime bien partager des métaphores colorées. Pour ne jamais s’enfermer. Et continuer à se nourrir comme elle l’a toujours fait, depuis sa sortie de l’École Nationale de Musique de Colmar diplômée simultanément comme pianiste et flûtiste, le passage au CNSM de Paris trop sexiste à son goût qui lui laisse un souvenir mitigé, les cinq années au sein de l’Orchestre National de Jazz de 2008 à 2013, …
J’ai la chance d’être l’exception « inclassable ». Trouver l’endroit qui n’est pas pris, et en faire le meilleur du monde.
Du White Desert au Red Desert
Derrière les couleurs, se dessinent des métissages de traditions rythmiques et de rencontres artistiques très distinctes. Le « White Desert Orchestra » crée en 2014 avec des musiciens et musiciennes européens et européennes était inspiré par des paysages traversés aux États-Unis.
Cinq ans plus tard, le Red Desert Orchestra lui succède, inspiré par l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Sa fonction de directrice compositionnelle stricte du « White » se métamorphose en une véritable élaboration collective entre artistes européens et maliens et burkinabés : « C’est de la musique jazz contemporaine européenne qui s’appuie sur mes compositions dans laquelle j’ai mis des instruments joués par des musiciennes et musiciens qui ont la double culture. »
La tournée en cours autour du disque Eurythmia édité en automne 2022 en témoigne. Eve Risser ne cache pas son admiration pour ces musiciennes ouvertes à toutes les musiques, qui savent s’inscrire dans nos rythmes contemporains, pourtant, rarement invitées dans des groupes.
Son pendant Kogoba Basigui est un rapport d’alter ego, un travail horizontal avec sept musiciennes maliennes vivant à Bamako : « je n’ avance pas d’un pas si je ne peux pas accueillir leur musique d’un pas aussi. Il y a un questionnement permanent pour savoir si elles se sentent bien. »
Aussi, elle se démène désormais pour trouver des concerts aux femmes du Kaladjula Band, « pour qu’elles aussi existent en France quand nous ne jouons pas, au-delà de nos codes, pour continuer à en vivre. »
Ce qui est fou, c’est que dans l’inconscient des Français, en entendant Kogoba Basigui ils croient que je me fais manger par la musique africaine. Personne ne se rend compte que ces musiciens se sont déplacés à 100% sur ma musique. On ne joue rien de leur musique sauf leurs instruments!
Véritable choc personnel, depuis son passage au Mali, Eve reconnait qu’au regard des conditions de vie artistique des musiciens maliens, en général, et des femmes en particulier, elle ne se plaint plus jamais de rien.
Je fais Eve, je reste Eve
Je ne suis pas Eve qui fait du classique, ni Eve qui fait du jazz. Je ne me travestie pas. Il faut savoir retourner dans sa petite maison intérieure. Etre soi-même tout le temps pour toucher autant de musiques différentes.
Difficile de retracer tous les projets en cours ou avenir, mais « la mixité est toujours quelque part » : de la « symbiose » qu’Eve préfère à « fusion » des musiciens classique et jazz de La Sourde, (avec le Concert contre piano et orchestre) ou de l’Ensemble Ensemble, aux musiques improvisées et orales d’Europe ou d’Afrique de l’Ouest, …
Il s’agit d’ouvrir et de s’épanouir par d’autres voies dans d’autres milieux musicaux. On se sent heureux quand on est au service des autres.
Aucune ligne n’est en fait tracée, l’important est de rechercher le lâcher prise pour l’artiste qui comme à son habitude refuse les cases toutes faites, mais avec la rencontre en ligne de mire.
Ah j’allais oublier, entre deux projets, Eve trouve aussi le temps pour d’aller faire de la musique en prison… La quête d’Eve la rend libre !
Le carnet de lecture d’Eve Risser
Divertimento, film de Marie-Castille Mentillon-Schaar
Deux femmes, Zahia Ziouani et sa sœur jumelle, Fettouma, violoncelliste créent leur propre orchestre « Divertimento » contre vents et marées et petites vexations… On pense d’abord que c’est cliché mais déjà c’est une histoire vraie et personnellement j’ai vécu ce genre de scènes et c’est complètement la réalité. Les actrices sont très sincères je suis très émue à chaque fois que je le vois (et c’est la 5eme fois !).
Woman At War, de Benedikt Erlingsson
Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Une vraie femme puissante et un modèle non hétéro normé et deux propositions de réponses au réchauffement climatique.
Une réponse activiste et une réponse climatique
La métaphore des sœurs jumelles est bien tissée
Un modèle inspirant dans un de mes décor préféré sur la planète (où nous devons ne plus voyager pour des raisons climatiques justement)
Carla Bley, Big Band European Tour
J’ai écouté ce vynil des milliards de fois.
Carla est de nouveau une inspiration. Un modèle pour moi.
Elle mène ses orchestres ses compositions. Elle a de l’humour. Elle est originale et suit ses instincts
Båra Sigfusdottir
Cette danseuse islandaise est très particulière
Elle peut évoquer les oiseaux au sol et autres éléments de la bio diversité sans vraiment danser mais tout en nous emmenant dans la poésie totale
C’est unique et touchant. J’adore
Anne Sylvestre, « Au bord des larmes »
J’adore cette chanson. Les arrangements sont ce qu’ils sont.
J’aime les 5 entretiens disponibles sur France musique.
Cette femme indépendante a toujours poursuivi son intuition de creuser son sillon ses chansons contre vents et marées
Contre les calibrages prévus pour les chansonniers et chansonnières de l’époque
Elle est aussi une femme forte qui montre le chemin
Un homme équilibré et non violent
Mais aussi ….
Casey Expeka Sextet
https://youtu.be/8IQ-YnTlURc
Joni Mitchell, « Both Sides »
Kim Myhr, « All my limbs singing »
Christian Wallumrød Ensemble
- Alban Berg « Das Friede Auf Erden » par Accentus + l’Ensemble Intercontemporain
- Les couilles sur la table, le podcast de Victoire Tuaillon parle en profondeur d’un aspect des masculinités contemporaines avec un·e invité·e
- Francis Dupuis -Déri, mon politologue préféré que j’adore écouter
Pour suivre Eve Risser
Le site d’ Eve Risser
Be twin, 2024, Commande du Festival Présences, 2024, en étroite collaboration avec l’ensemble Links et Rémi Durupt
Concerto contre piano et orchestre, concert théâtralisé conçu par Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser, qui distend, éclate, fait dériver le Concerto pour piano en do mineur Wq. 43/4 de Carl Philipp Emanuel Bach, par l’Orchestre La Sourde
L’objectif est de reconfigurer constamment la micro-société qu’est un orchestre : le soliste disparait et réapparait sans cesse, l’ensemble se rassemble et s’éclate en petits groupes dispersés, le deuxième violon devient chanteur a cappella, l’orchestre devient chef du chef.
Samuel Achache,
- du 22 au 29 mars, 20h, Théâtre de l’Athénée, Paris
- 02 avril, La Soufflerie, Rezé
Eurythmia, Red Desert Orchestra (cd Clean Feed, 2022)
- 18-19-20 juin, Théâtre Silvia Montfort, Paris
- 28 juin, Festival Le Jazz est là, Désaignes
A écouter
Sans tambour, spectacle de Samuel Achache et ses acteurs-musiciens dont Eve Risser, crée au Festival d’Avignon 2022, sur des arrangements collectifs à partir de lieder de Robert Schumann tirés de Liederkreiss op.39, Frauenliebe und Leben Op.42, Myrthen op. 25,Dichterliebe op 48, Liederkreiss op.24
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