Culture

Le Carnet de Lecture d’Héloïse Luzzati, violoncelliste, Elles women composers, La Boîte à pépites, Festival Un temps pour elles

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 1er juin 2023

Face au constat brutal que la programmation d’œuvres de compositrices reste marginale d’une saison à l’autre, la violoncelliste Héloïse Luzzati multiplie les initiatives pour y remédier. Car les compositrices existent, elles sont tout simplement effacées du patrimoine. Le collectif d’artistes Elles women composers a fondé en 2020 pour les mettre en avant, La Boîte à pépites, label discographique pour les enregistrer, une chaine youtube pour raconter leur histoire en petites vidéos pertinentes, enfin un Festival « Un temps pour elles » dont la 3e édition a lieu du 10 juin au 9 juillet 2023 dans six lieux du Val d’Oise. Regarder la programmation, il n’y a que des (bonnes) découvertes à faire. L’activiste culturelle nous a confié les ambitions de son engagement. Et elle décoiffe par son enthousiasme.

Un festival pour rapprocher interprètes de renom et compositrices oubliées

Héloïse Luzzati, violoncelliste, Festival « Un temps pour elles » Photo Capucine de Chocqueuse

Quand nous l’avons rencontré, Anais Luzzati était dans les affres des jauges des 14 concerts de son Festival « Un temps pour elles » du 10 juin au 9 juillet 2023, reconnaissant qu’il est de plus en plus difficile d’amener le public au concert et que les réservations tardives de dernière minute créaient une véritable incertitude. Il faut dire que ses programmes n’offrent que du nouveau, éclairant ce vaste répertoire de compositrices que l’Histoire a effacé des mémoires.

Pourtant, celle qui s’investit corps et âme depuis quatre ans, multipliant les projets, les formats pour faire connaitre l’immense vivier méconnu de compositrices peut s’appuyer sur un début de curiosité du public.
En témoigne la première monographie de son label La Boîte à pépites, consacré à la compositrice Charlotte Sohy a comptabilisé plus d’un million de streams, ce qui pour du classique peut être réjouissant : « cela va dire qu’il y a un intérêt ».

Cette dynamique la pousse de plus belle à continuer son travail de recherches, de déchiffrage, et de rapprocher partition et musicien pour le rayonnement de l’œuvre.

L’objectif du Festival « Un temps pour elles » est de faire monter le répertoire à des grands musiciens, parce que derrière, ils vont les rejouer et proposer aux programmateurs qui font leur programmation en fonction des propositions des musiciens. Si les musiciens se font eux-mêmes les ambassadeurs du répertoire, ils assurent ainsi son rayonnement.

L’année dernière, Renaud Capuçon est venu jouer le Thème varié Op. 15 de Charlotte Sohy. Depuis il le joue partout. Il fait connaitre cette musique aussi bien que ce que nous pouvons faire nous avec le disque. Nous comptons ainsi sur les musiciens pour ouvrir de nouvelles portes.

La tâche de défrichement et déchiffrement est immense

Les compositrices mortes dans les années 80-90, on les connait plus, déjà et on ne trouve plus leurs partitions. Aujourd’hui celles qui sont vivantes sont jouées et programmées. Elles sont accessibles, il suffit aux programmateurs de demander les partitions et de leur dédier des concerts. En revanche il faut réhabiter les compositrices du passé pour que les contemporaines ne tombent pas à leur tour dans l’ombre.

L’histoire de la musique est toujours écrit par les vainqueurs

On peut comprendre la difficulté de la tache, tant un rideau opaque est tombé sur « les femmes compositeurs » puisqu’on ne voulait pas les reconnaitre au même niveau que leurs homologues masculins. Sachant que c’est encore plus ardu pour le répertoire symphonique et lyrique pour des questions d’absence de partitions et d’enregistrements. Le cas de Jeanne Leleu (1898-1979) Grand Prix de Rome, est symptomatique ; l’œuvre de celle qui crée le 20 avril 1910 (elle n’a pas encore douze ans) la première version de Ma Mère l’Oye, une pièce enfantine pour piano à 4 mains de Maurice Ravel, n’a pratiquement aucun enregistrement discographique, seulement radiophoniques disponibles à l’INA ! Cette femme est incroyable.

Une responsabilité de précision

Mais ce n’est évidemment pas la seule. Parfois pour nos vidéos, il n’y a rien, aucune monographie sur la compositrice, ce qui nous oblige à aller chercher dans les journaux d’époque des informations ; avec une importante responsabilité d’être rigoureux et précis. La moindre erreur pourrait ensuite reprise indéfiniment !

Son engagement attire de plus en plus de soutiens importants ; avec la BNF qui nous permet de faire toutes les recherches nécessaires, et qui lui confie a programmation de toute une saison musicale autour de huit compositrices ; même confiance de la Philharmonie pour quatre concerts thématiques. « Dans la mesure où toute l’année, nous recherchons et détections beaucoup de partitions que nous déchiffrons collectivement, certaines institutions nous font désormais confiance pour jouer en concert nos trouvailles. »

Dans le Festival, j’ai à cœur que chaque programme raconte une histoire ce qui me pousse à aller encore plus loin dans mes recherches, surtout pour éviter que nos concerts deviennent « des poubelles à compositrices »

Y a t il  des limites au répertoire de compositrices ?

Si le vivier de compositrices n’est pas prêt s’assécher tant dans l’ombre qui les couvrent, reste opaque,  il semble inépuisable dans le monde. A chaque fois, Héloïse Luzzati trouve une nouvelle pépite, elle cherche le musicien qui saura la faire briller ou comment  l’ accrocher à des thèmes fédérateurs, Folksongs, La Nuit, … Ce qui peut l’arrêter dans ce travail de Sisyphe – il y a un Siècle les compositrices étaient reconnues – c’est davantage le risque de se lasser, non pas de la musique, mais de tous ces à coté qui ralentissent, voir bloquent son engagement musical.

En effet, pour relever tous les défis de son entreprise  la musicienne a du coiffer de nombreuses casquettes, pas toujours par plaisir :  se faire VRP pour récolter des fonds indispensable pour assurer ses recherches, ses productions vidéos et ses concerts, se faire juriste – voir généalogiste – pour cerner l’inextricable problématique des droits d’auteur surtout quand la compositrice n’a pas laissé de descendant. Ces dimensions arides l’occupent trop à son goût, mais, heureusement n’entament pas son enthousiasme quotidien. Tant elle rêve encore du soutien financier et logistique qui lui permettraient de mettre les bouchées doubles !

Cet enthousiasme intact – après plus de 75 films monographiques et de projets d’enregistrements ou de concerts plein la tête – qu’Adélaïde sait le communiquer et le partager avec musiciens, institutionnels et public de plus en plus large, devient un aiguillon pour aller entendre les partitions ou découvrir les compositrices qu’elle sort enfin de l’ombre

#Olivier Olgan

Le Carnet de Lecture d’Héloïse Luzzati

Pour ma sélection de disques j’ai choisi des enregistrements « pionniers » autour d’œuvres de compositrices !

Charlotte Sohy, compositrice de La Belle Epoque 

Cette monographie consacrée à la compositrice Charlotte Sohy est le premier projet réalisé par le label que j’ai créé en 2022 : La Boîte à Pépites

C’était une aventure à la fois passionnante et exigeante. Enregistrer 3 heures de musique jusqu’alors inédite avec 17 musiciens et un orchestre, fabriquer un livret de plus de 120 pages, créer le label, se poser les questions de distribution, de communication… ! 

C’est donc un disque qui aura toujours une place très importante dans ma vie de musicienne. J’ai eu la chance de pouvoir le réaliser entourer d’ami.e.s et de gens de grandes confiances qui m’ont accompagnés dans ce périple. 

Rita Strohl, Sonate Dramatique « Titus et Bérénice » pour violoncelle et piano / Edgar Moreau, David Kadouch – Warner 2018 

Ils ont été parmi les premiers à jouer cette sonate incroyable. Composée en 1898 cette œuvre montre tout le lyrisme et le côté dramatique de l’écriture de Rita Strohl spécifique à la première partie de sa vie créatrice. 

Voici une citation de Rita Strohl qui illustre très bien sa musique pour moi : 

« Un thème n’est pas un chant. 
Un chant obéit à une ligne tracée d’avance et qui le fait se mouvoir d’un point à un autre. On pourrait dire qu’il a sa trajectoire particulière. Un thème, qui, tout d’abord, semble aussi un chant, en diffère en ce sens qu’il doit être libre de toute contrainte. »

Cette liberté on la retrouve dans cette sonate incroyable Titus et Bérénice.
On y suit les péripéties des protagonistes de Racine

Dans le premier mouvement de la sonate, on assiste à l’incertitude de Titus qui espère faire accéder Bérénice au rang d’impératrice. 

Le deuxième mouvement s’ouvre sur les Appartements de Bérénice où ses femmes par leur chants et leurs danses s’efforcent de la distraire. 

En exergue du troisième mouvement poignant et dramatique, Rita Strohl écrit… « Bérénice sait tout, Titus malgré son amour la sacrifie à l’empire »

Dans le quatrième mouvement, le terrible moment approche, la séparation s’accomplira…

C’est très rare dans la littérature de musique de chambre d’avoir un œuvre à ce point lié à un texte littéraire !

Tout le reste de la musique de chambre de Rita Strohl est toujours à ce jour inédite et sera l’un des projets phare du label La Boite à Pépites en 2024. 

Maria Bach. Piano Quintet / String Quintet 

C’est le premier enregistrement de ces œuvres de Maria Bach, compositrice que j’adore. Klaus Christa, l’altiste de cet ensemble travaille activement à la redécouverte des œuvres de compositrices et j’admire beaucoup son travail ! J’attendais depuis très longtemps de découvrir ces œuvres ! Nous les donnons pour la première fois en France cet été dans le cadre du Festival Un Temps pour Elles /

  • 1 juillet à Luzarches avec le Quatuor Dutilleux et Xavier Phillips?
  • le 8 juillet au Domaine de Villarceaux avec Raphaëlle Poreau, Alexandre Pascal, Violaine Despeyroux, Héloïse Luzzati et François Lambret)

https://youtu.be/17dTrJgQNqE

Florence Launay : Les compositrices en France au XIXème siècle

Publié il y a presque vingt ans, à une époque où l’on s’intéressait encore moins aux compositrices qu’aujourd’hui, c’est pour moi un ouvrage fondamental. Il a alimenté ma curiosité pour le répertoire français des XIXème et XXème siècle – ma période de prédilection – qui occupe une place toute particulière dans la programmation du Festival ! J’aime son approche par thème plutôt que par compositrice, qui permet de tisser des liens entre toutes ces immenses musiciennes à travers des sujets clés, comme la place des femmes au Conservatoire de Paris ou à l’Opéra.

Diglee? Je serai le feu

Cette anthologie rassemble les biographies et les textes de dizaines de poétesses, illustrés par des portraits dessinés par Diglee – qui a également choisi les poèmes. Sa lecture m’a bouleversée : d’abord, parce que je ne connaissais pas la majorité de ces écrivaines, dont l’effacement fait écho aux destins des compositrices sur lesquelles je travaille… Ensuite, parce qu’il m’a poussée à chercher des correspondances entre leurs textes et la musique qu’elles ont inspirée à des compositrices. Ces recherches ont débouché sur la création d’un spectacle mêlant musique, lectures et dessin, également intitulé Je serai le feu, que nous donnerons au Festival le 11 juin à l’abbaye de Maubuisson avec Diglee, Sophie Daull, Marielou Jacquard et Laurianne Corneille. 

Virginia Woolf : Une chambre à soi

Ce texte célébrissime de Virginia Woolf est un monument de la littérature féministe ! Woolf y décrit avec finesse les difficultés auxquelles fait face toute femme qui veut créer, en imaginant la sœur qu’aurait pu avoir Shakespeare, tout aussi douée que lui mais dont la carrière aurait été condamnée d’avance… Elle y démontre aussi qu’il est essentiel de permettre aux femmes de s’exprimer en tant qu’artistes pour garantir la pluralité et la richesse des œuvres. Ce texte a nourri ma réflexion féministe, et bien sûr renforcé mes convictions sur l’importance du travail de recherche pour remettre au jour les œuvres des femmes du passé. Même si je sais aujourd’hui que bon nombre de compositrices ont connu le succès et eu une brillante carrière, je ne peux m’empêcher de repenser avec un pincement au cœur à cette phrase terriblement misogyne qu’elle cite, d’un certain Dr. Johnson au sujet de Germaine Tailleferre : « Monsieur, une femme qui compose est semblable à un chien qui marche sur ses pattes de derrière. Ce qu’il fait n’est pas bien fait, mais vous êtes surpris de le voir faire. »

Pour suivre l’engagement d’Héloïse Luzzati

Agenda

Suivre le site Composher : Vous souhaitez en savoir plus sur les compositrices ? l’équipe du site vous aide : à découvrir leur répertoire, à trouver des partitions pour jouer leurs œuvres, à choisir l’œuvre qui conviendra le mieux à vos projets et ​parcourez la page ressources pour découvrir associations, festivals, ensembles, projets … qui tous nous inspirent et apportent leur pierre à l’édifice de la redécouverte des compositrices.

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