Culture
Le carnet de lecture d'Ophélie Gaillard, violoncelliste et chef du Pulcinella Orchestra
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 19 mars 2021
Sa Victoires de la Musique 2003 comme révélation ne fut qu’un tremplin pour une trajectoire de musicienne très accomplie. Ophélie Gaillard en cultive avec une gourmandise insatiable et communicative toutes les facettes ; en soliste, en chambriste avec le Trio Amarillis, en animant l’ensemble Pulcinella, et en enseignante. Constituant une discographie aussi pertinente que libre, en témoigne son nouveau disque Cellopera, où la violoncelliste nous invite à l’Opéra.
Cordes métalliques et boyau, pour toutes les libertés
« L’héritage de l’école française, c’est pour moi le bon usage de la liberté, de la curiosité. Même si l’exigence de travail est le prix de cette liberté. » Si elle se sent redevable d’une tradition du violoncelle français, Ophélie Gaillard refuse d’attacher la moindre corde à sa liberté de musicienne. Nourri à la fois des avancées stylistiques et musicologiques du mouvement baroque et de l’éthique séculaire de l’interprétation comme médiation, la révélation aux Victoires de la Musique 2003 a poussé sans fausse note les feux d’une brillante carrière pluridisciplinaire ; soliste, chambriste, chef d’ensemble et enseignante.
Travailler plus pour jouer au plus près des répertoires
Son précoce passage au Conservatoire annonçait déjà la couleur et le ton ; l’envie d’embrasser toutes les facettes de l’instrument. Elle en sort avec trois Prix en Violoncelle baroque, Violoncelle, et en musicologie. De prestigieux Prix internationaux couronnent sa soif d’amplitude. et lui donne les cordes libres de ses ambitions : « Jouer parallèlement sur violoncelles moderne et baroque présentait (et présente) toujours un surplus de travail considérable et une formation plus lente, mais c’est une nécessité plus qu’un choix ; c’est aussi une chance inouïe de pouvoir concilier les deux instrument, de fuir les compromis sans schizophrénie, de ne se priver d’aucun répertoire. ».
Le refus d’un rôle écrit à l’avance
En cela, la violoncelliste appartient bien à sa génération (Emmanuelle Bertrand, Anne Gastinel, Jérôme Pernood,…), rebelle à tout enfermement, à un rôle écrit à l’avance. La réussite vient d’une puissance de travail énorme, en dédiant à chacun des différents styles abordés salut vient d’un travail acharné, de la diversité de la pratique musicale et la multiplication des rencontres pour construire une vraie démarche approfondie, aboutie, quelle que soit l’esthétique.
Quand ses coups d’éclats la propulsent sur le devant de la scène, c’est sans concession aux modes et à l’urgence. Il suffit de lire seulement sa recherche interprétative de ses magnifiques enregistrements des ‘Suites pour violoncelle’ de Bach’ (Ambroisie) pour comprendre que rien n’est laissé au hasard. Des risques comme des réussites.
Se donner les moyens
En initiant trois formations, Ophélie Gaillard s’est donné les moyens d’embrasser l’ensemble du répertoire dans le respect des styles et des attaques.
Créé en 1993, le Trio Amarillis se consacre au répertoire baroque multipliant les contrastes, les raffinements et les surprises comme la présence de la cantatrice Patricia Petibon, avec des programmes toujours originaux comme ses ‘Furioso ma non troppo’ (Italie 1602-1707)’, ‘Amour & Mascarade’ (Purcell et l’Italie)’, ‘Jeux de Dames à la Cour de France, 1710-1740’ ….
‘Contrastes’, c’est le nom de la formation consacrée à la période classique et romantique qui a magnifiquement coloré les ‘Phantasiestücke’ de Schumann.
Avec ses complices du Pulcinella Orchestra, ensemble sur instruments anciens qu’elle a fondé en 2005, la cheffe de bande se permet toutes les audaces de programme, y associant souvent la voix, que se soient Bach JS (Arias) et aussi CPE (Concertos), Boccherini et Vivaldi (intégrale des Sonates) jusqu’à I colori dell’ombra (Aparté), nouvelle plongée dans la musique concertante et lyrique de Vivaldi, où l’esprit vénitien se distille aux antipodes de celui du siècle des lumières français. « Pour moi le violoncelle est l’instrument qui connecte le mieux le monde de la voix et le monde instrumental. » insiste l’enseignante depuis 2014 à la Haute Ecole de musique classique à Genève invitant ses élèves à s’inspirer des grands chanteurs.
Enfin, des projets plus personnels s’imposent comme Dreams, anthologie de transcriptions de Chopin à Satie (Aparte 2009), et tout récemment, Cellopera. Grâce au mimétisme du violoncelle, le plus humain des instruments, elle a enregistré les plus célèbres airs d’opéra, de Mozart à Puccini en passant par Rossini et Offenbach ! Porté par son admirable instrument, un Gofriller 1737, la musicienne y incarne et explore toutes les passions humaines, de Don Juan à Madame Butterfly !
Sans oublier de servir les compositeurs contemporains : de Britten à Dutilleux et au besoin passer commande, de Philippe Hersant ou Alexandros Markeas…
Se mettre au service de la partition et donc du compositeur
« Que ce soit dans le domaine baroque, classique, ou contemporain, ce sont les compositeurs qui m’interdisent des choix! » se défend elle pour tout envisager. Son appétit comme sa magnifique discographie n’a pas de limite. Chaque enregistrement longtemps muri possède un élan et une fougue très roboratifs. De projet en projet, le travail collectif, rigoureux et imaginatif, reste pourtant proche l’école buissonnière, tant le festif innerve chaque partition. Au-delà de ses exigences et de ses passions communicatives, Gaillard nous invite à un exercice difficile entre tous : transformer sa curiosité, en besoin, puis en réussite collective. Celle qui croit encore – sur ce point aussi Ophélie se distingue – à la magie de la musique enregistrée, ‘cette intrusion artistique dans les vies quotidiennes des gens’ s’oblige : « Le rôle d’un interprète est de porter le texte musical sans avoir de jugement de valeur. On est vraiment là pour transmettre une œuvre ».
Si nous avons hâte de la retrouver sur les chemins de France, un coup d’oreille sur cette activisme musical mérite le détour !
Le carnet de lecture d’Ophélie Gaillard
Don Giovanni avec Peter Mattei, air « deh vieni alla finestra ».
C’est au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence que j’ai découvert Peter Mattei qui depuis il fait une carrière fantastique, rencontré Daniel Harding, joué au continuo sur scène avec Emmanuelle Haïm, rencontré Peter Brook, et passé quelques jours de rêve avec mon futur amoureux….. donc une production chère à mon coeur!
J’avais donc la chance d’être sur scène aux côtés d’Emmanuelle Haïm pour le continuo du Don Giovanni de Mozart, dirigé lors de cette reprise par Daniel Harding. Lors de l’une des dernières répétitions, le chanteur étant absent, le violoncelle solo du Mahler Chamber Orchestra prit la voix de Don Ottavio pour chanter son air, « Dalla sua pace ». Un moment de grâce, comme une nouvelle fenêtre qui s’ouvrait à moi et me tentait déjà secrètement depuis longtemps. Or il y en avait une de fenêtre, là sur la scène de l’archevêché à deux pas ! Un simple cadre de bois, unique décor du génial Peter Brook pour la sérénade de Don Giovanni accompagnée par la mandoline, « Deh, vieni alla finestra », celle-là même qui ouvre notre enregistrement, Cellopera.
C’est cette expérience qui m’a donné l’idée de mon dernier album, 20 après!
Don Carlo de Verdi. Air de Philippe II, avec Jose van Dam
Immense admiration pour l’artiste, l’homme aussi!
Et puis Parmi mes souvenirs d’enfance les plus savoureux, ce fameux air de Philippe II « Elle ne m’a jamais aimé », dans Don Carlos de Verdi. Une de mes premières expériences de lecture à vue devant mes camarades de l’orchestre des classes musicales de Thiais en banlieue parisienne ! C’était un banal lundi soir, après les dix heures quotidiennes de cours généraux et un sandwich vite avalé avec les copines. Le directeur et chef d’orchestre Guy Dogimont, surnommé « le Doge », arriva déjà tout habité par ces élans verdiens, posa la partition du solo de violoncelle sur le pupitre et me dit, « tiens, lis-ça, attention chef d’œuvre » !
Évidemment, après ces neuf longues minutes de musique, les yeux brillants, il ne manqua pas de piquer mon orgueil en concluant « c’est bien, mais tu n’as pas encore assez vécu pour comprendre vraiment ce qu’il éprouve… ». Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort, finalement, car à tout juste quatorze ans, j’étais une adolescente passionnée croyant follement à l’amour, grande fan de Madonna et de Michael Jackson…
La cérémonie inquiétudes, Alain Duault, Gallimard
Une belle amitié et une grande admiration pour son oeuvre de poète dans la pénombre, en marge et en retrait de la vie médiatique et des concerts. Une profondeur creux qui permet de façonner les mots comme des pépites, un grand lecteur aussi qui me conseille, m’oriente souvent pour me faire découvrir un livre, un film
Sidi larbi Cherkaoui Foi.
Magnifique où les danseurs sont aussi chanteurs. Magnifique souvenir aussi d’un artiste que j’avais découvert dans la troupe d’Alain plateau théâtre de la vie vers mes 20 ans et avec lequel j’ai pu performer au Japon avec Damien Jalet
Dersou Ouzala. film russo-japonais, 1975, Akira Kurosawa,
Sublime film . Qui a contribué à décupler mon amour de la nature, à prendre conscience de la sauvagerie du monde, de notre fragilité, et de la force de notre humanité.
Atys de Lully, William Christie, Les Arts Florissants
Premiers grands souvenir d’opéra avec cette prod mythique et la magnifique Agnes Mellon qui m’a fait vibrer comme rarement!
Fureur et Mystère, de René Char
Et toute son oeuvre, qui continuelle me nourrie, de me questionner de façon brulante et radicale, un joyau brut de poésie écrit dans l’urgence, dans le maquis>. Une homme au destin exceptionnel, grand résistant, qui en plein feu de l’action et au prix de grands risques continue en contrepoint son travail d’écriture et d’élaboration du poème, un modèle de vie et de personne pour moi.
L’usage du monde, Nicolas Bouvier
Immense romand initiatique de mon adolescence, immense écrivain suisse perdreaux confins du monde, un pr »capité d’existence, de résistance, et toujours la saveur des mots pour le dire.
Médée de Pasolini, 1969
Pour lui et surtout pour elle la Callas, tragiquement sublime.
Documentaire sur Jacqueline Du Pré et Daniel Barenboim
Le couple joue La Truite de Schubert, rayonnement, fluidité, évidence du partage amical et musical, idéal!!
Track bonus numérique de mon dernier album, un double hommage à l’incontournable star du Paris des années folles, Joséphine Baker, et bien sûr à Carmen, avec un titre-manifeste : « C’est ça la vie, c’est ça l’amour ».
À propos d’amour, Bernard de Clervaux n’écrit-il pas : « L’amour n’a pas d’autre mesure que l’amour, et la mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ».
Pour suivre Ophélie Gaillard et ses ensembles
- le site d’Ophélie Gaillard
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