Le carnet de lecture (II) de Jean-Yves Clément, Lisztomanias, poète & éditeur Le Passeur
Auteur : Olivier Olgan Article publié le 10 octobre 2023
« Passeur au carré », que le poète et éditeur me pardonne cette facilité d’expression, mais à chaque nouvelle rencontre, Jean-Yves Clément ne cesse de déployer de nouveaux projets (littéraires, musicaux, ou culturels au sens large), de tisser des liens fertiles entre ses passions, de rassembler toujours. S’il a pris du recul comme biographe de Chopin, Liszt, Sand, trois héros de son « Berry romantique » dont il s’est fait le héraut, le directeur musical les publie et poursuit ses manifestations phares : le 57e Festival Chopin de Nohant (en juillet), le 22e Lisztomanias (du 20 au 25 octobre à Châteauroux). Son « art de faire circuler la créativité » prend trois dimensions, la stimulante thématique Les Femmes de Liszt !, un engagement humanitaire et de jeunes artistes à découvrir.
Vivre la musique : une certaine façon de s’asseoir sur l’immortalité.
Jean-Yves Clément. « De l’aube à midi »
A contre-pied de ceux qui imaginent les romantiques enfermés dans leur tour d’ivoire, Jean-Yves Clément a pris au pied de la lettre le manifeste de Liszt qu’il exprime dès 1834, à 23 ans !
La mission de l’artiste est d’exprimer, de manifester, d’élever et de diviniser le sentiment humanitaire sous tous ses aspects.
Liszt. 1834
« Suivant l’exemple de Franz Liszt qui toute sa vie se consacra aux plus démunis, insiste son directeur, les Lisztomanias ont imaginé un programme visant à partager la musique avec les personnes isolées, en situation de précarité ou éloignées des salles de concert.
Permettre l’intervention des artistes partout où elle est nécessaire.
Comme à son habitude des multiples évènements (Prix Pelléas, récompensant un livre littéraire sur la musique) ou jury qu’il créé ou anime, il veille à les couver, à les consolider avant qu’ils ne prennent de l’ampleur, comme les Journées nationales du livre et du vinà Saumur. C’est le cas également des Lisztomanias Humanitaires, l’initiative créée en 2018 prend chaque année plus d’ampleur, au point de développer pour l’édition 2023, à partir du 19 octobre, une dizaine de rendez-vous musicaux qui s’essaiment partout dans Châteauroux : une résidence musicale autour d’un pianiste, qui se produit en divers lieux de solidarité de la ville, de nombreux temps forts comme les concerts pédagogiques à destination du jeune public, des concerts in situ et une série de rencontres artistiques avec les habitants, qui peut donner lieu à une création participative .
L’art de faire circuler la créativité
Même si les bureaux de sa maison d’édition sont placés au cœur de Saint-Germain des Prés, nous sommes loin d’une approche désincarnée et élitiste d’une politique culturelle de proximité. Les intentions ne suffisent pas au poète, il a chevillé au cœur « l’art de faire circuler la créativitéautour de soi » prenant exemple sur son ami Liszt qui était « quelqu’un de tout terrain, qui brassait toutes sortes de choses ».
Tout est trop chez Liszt
Ce familier de Liszt considère, même après quatre livres qu’il lui a dédié, que s’il est « encore mal traité, et mal considéré même en Europe, c’est parce qu’il est « ‘trop’, pas enfermable, pas classable, par résumable , il déborde de partout et on n’en sait pas quoi en faire. »
C’est un monstre de créativité, et pas seulement comme un compositeur de génie, et même là il est déjà trop, avec ses inspirations littéraires, musicales, tout ce qu’il associe, … Cette surabondance le rend difficile à ranger.
Être inactuel
Ce « trop » permanent vaut également pour George Sand et Flaubert – dont Le Passeur a édité leur correspondance croisée, « Tu aimes trop la littérature, elle te tuera » : « Ce sont des monstres qui débordent de toutes parts, chez eux la vie et l’œuvre, c’est la même chose. Sauf que Sand alerte Flaubert : la vie ne peut tenir dans un manuscrit. Elle avait conscience que la vie était plus grande que son œuvre. C’est en même temps une leçon d’humilité fascinante. Attitude humble aussi chez Liszt. Quand Chopin meurt, Liszt, en abandonnant l’estrade, en commence une autre. »
Liszt fait rentrer l’œuvre dans la vie. Et surtout on le méconnaît. Il faut une véritable ouverture pour se rendre compte de son intérêt qui dépasse tous nos cadres actuels.
Le bonheur ne coûte rien, c’est ce qui les effraie. (« L’Exil de la pensée », à paraître)
Difficile de parler de tous les projets en cours, toutes les rencontres fertiles, mais saluons la formidable cohérence de projection de celui qui avait écrit sur la carte de visite « meneur de fêtes » et qui désormais revendique « ma nature, c’est l’ouverture ».
En guise rebond, reprenons cet appel de l’un des auteurs édités par Le Passeur à notre reconnaissance vis-à-vis de la musique en général, et tous ceux qui inlassablement cherchent à nous la rendre accessible.
La musique ne pense pas, elle nous pense. Elle nous ressent avant que la ressentions. De ce miracle renouvelé, il faut- être – c’est la moindre des choses – un peu reconnaissant, je crois » Sylvain Fort, « La musique souvent vous prend comme une mer », Le Passeur.
Edvard Grieg, Lieder, Anne-Sophie von Otter, Bengt Forsberg (DG)
Disque formidable, d’un accomplissement absolu, qui témoigne de la fécondité extrême de Grieg dans l’art du lied, ainsi que de l’amour qui l’unissait à sa femme et chanteuse. La musique (romantique), c’est la voix !
Liszt, Études d’exécution transcendantes, Yunchan Lim (Steinway and Sons).
Une révélation dans l’histoire du piano. Un météore a remporté haut la main à 18 ans en 2022 le Concours Van Cliburn, sidérant le monde entier. Son interprétation, captée lors du concours, est renversante. On est au théâtre de Liszt.
Chopin, Concertos n° 1 et n° 2, Benjamin Grosvenor, Royal Scottish Orchestra (Decca)
Ce jeune pianiste a donné une nouvelle lecture, très vivante, des deux chefs-d’œuvre de la jeunesse varsovienne de Chopin, avant l’exil.
La maison d’édition que j’ai créée en 2013, a publié en 2023 de deux livres importants et berrichon !, . Moi-même étant d’origine berrichonne et dirigeant les deux grands festivals de l’Indre consacrés respectivement à Chopin (Festival de Nohant, chez George Sand) et à Liszt (Lisztomanias de Châteauroux) :
« Campagne », de Raymonde Vincent, réédition du Prix Fémina de 1937, sublime roman d’une jeune femme autodidacte qui ne savait pas écrire jusqu’à à 11 ans !, et qui évoque avec un bonheur d’écriture sans pareil la ruralité et la nature du début du 20e siècle.
« Lettres oubliées de George Sand », éditées par Thierry Bodin. Plus de 400 lettres inédites qui montrent l’écrivaine dans son quotidien comme dans son rapport avec des grandes personnalités de son temps.
Chopin, Liszt, George Sand sont les héros de ce « Berry romantique » dont je me fais le héraut à travers mes publications et autres concerts que j’organise. Ils forment un trio magique pour moi.
Nohant est le phare d’où ce Berry romantique rayonne, après avoir accueilli nombre de personnalités du 19e siècle : Balzac, Dumas, Flaubert, Delacroix, Gautier, Viardot, Tourgueniev et bien d’autres.
Véritable communauté d’artistes avant l’heure !
Pour (tenter de) suivre Jean-Yves Clément
Actualités
du 20 au 25 octobre 23, Les femmes de Liszt!, Lisztomanias de Châteauroux (créés en 2002) : « Aux côtés de pages de Pauline Viardot et Clara Schumann nous écouterons des œuvres de pianistes-compositrices que Liszt appréciait, comme Marie Jaëll et Sophie Menter, qui fut l’une de ses élèves préférées — « aucune femme ne pouvait approcher d’elle » — ou encore Adele aus der Ohe, sorte de maillon entre Liszt et Rachmaninov, dont nous célèbrons en 2023 les 150 ans de la naissance. » Plus de 30 événements : concerts symphoniques, récitals, musique de chambre, expositions, concerts littéraires, conférences et cafés-concerts, les académies de piano et d’improvisation de Bruno Rigutto, Jean-Baptiste Doulcet et Karol Beffa et un programme philanthropique, Les “Lisztomanias Humanitaires” autour d’un « humanisme romantique » voir programme complet
Agenda
Prix Pelléas-Radio Classique,5 avril 2023 au Café Les Deux Magots, à Federico Maria Sardelli pour « L’Affaire Vivaldi » (Van Dieren Éditeur).
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