Culture

Le carnet de Lionel Ginoux, compositeur sans apriori stylistique, de Stabat Mater Speciosa à Vanda

Auteur : Olivier Olgan
Article publié 12 décembre 2024

« Sans apriori de style, j’ai besoin de croiser les musiques, les sons, les matières pour donner du sens et être témoin du monde. » Lionel Ginoux est un compositeur prolifique, plus 80 œuvres en 20 ans. En mêlant toutes sortes d’inspirations littéraires et musicales, il s’est approprié à peu près tous les genres : œuvres symphoniques, vocales ou solistes, bandes sons, spectacles pédagogiques,… Vanda, son deuxième opéra de chambre créé en 2015 pour mezzo-soprano, associe somptueusement viole de gambe baroque et sonorités électroniques (édité en cd Nervure – Inouï). Une occasion pour Olivier Olgan d’apprécier un musicien ancré dans son temps et qui sait le chanter sans à priori de style. 

« Ecrire… en toute simplicité… écrire, faire jaillir ce qu’il y a en moi, non par les mots, mais par les sons. Sans à priori de style, j’ai besoin de croiser les musiques, les sons, les matières pour donner du sens et être témoin du monde. »
Lionel Ginoux

Lionel Ginoux, compositeur prolixe avec plus 80 œuvres en 20 ans photo Michel Rubinel

Balayer les chapelles et les frontières

Ceux qui croient qu’un compositeur contemporain vit à travailler des sons éthérés dans une tour d’ivoire loin des enjeux et surtout des oreilles de leur contemporain, peuvent découvrir l’œuvre de Lionel Ginoux. Il aggrave même son cas pour les puristes puisque loin de séparer musique savante et populaire, il compose sans œillère, ni à priori les unes et les autres, au fil de ses nombreuses commandes et de ses envies de scènes. Collant toujours au verbe des textes qui le captent, mais surtout aux émotions exprimées.

Vanda, second opéra de chambre (après Médée Kali)

Créée sur scène en 2015 (et récemment édité), Vanda cristallise cette dynamique sans chapelle. Par l’instrumentarium qui associe les sonorités  délicates de la viole de gambe avec les sons électroniques. Par le sujet aussi toujours hélas aussi d’actualité, la vie saccagée d’une jeune maman, venue des Balkans, au bout de ses forces, prête à abandonner ce bébé maudit fruit d’un viol collectif qui malgré tout s’adresse à lui envisageant l’irréparable.

Victime expiatoire d’un monde déshumanisé

« L’histoire de Vanda c’est l’histoire de tous ces hommes sans patrie, sans papiers, sans logis, sans droits, ce peuple d’ombres effarées dont nos sociétés ne savent que faire… » 
Lionel Ginoux

Monodrame, opéra de chambre, ou monologue, l’adaptation de la pièce Le Testament de Vanda de Jean-Pierre Siméon, peu importe l’appellation exacte de la forme, Vanda parle à tous. Nous interpelle tous.
Cette voix au bord de la crise de nerf et d’espoir, c’est celle, éperdue et ardente d’une femme avec son bébé « Belette », dans un centre de rétention, en France. Assignée à la solitude, épuisée par toutes les drames, toutes les humiliations que son corps a subies, elle est dévastée par ses pensées mortifères. Que faire quand vos forces vous abandonnent et que votre enfant n’a que vous comme recourt ? Le plainte crue, fragmentée de silence trouve son chemin d’émotions texturées par les notes dépouillées et sensibles, car n’est plus accessibles que cette rivière de sons sculptés par Lionel Ginoux.

De Stabat Mater Speciosa  à Stabat Mater Dolorosa et Furiosa

Les larmes sont les seules choses qui restent. Le dépouillement musical creuse un espace pour que son interprète Fanny Lustaud littéralement se « lâche ». Elle assume deux rôles, « un lorsque l’actrice parle, un autre lorsqu’elle écoute, » pour reprendre le mot de Cocteau, à propos de La Voix Humaine (1930). Seule différence froide, aucun amant au bout du fil, ni séduction ou distanciation possible. Face à un enfant, la mezzo-soprano exprime sa fuite vers le néant, brisée de tant d’épreuves morales et physiques ; de l’identité perdue, de la fuite, de l’impossible intégration, son cri frôle l’écœurement, sculpte un désespoir d’une impasse physique, au-delà de la pure indignation.

Ce cri prolongé est l’inverse le Stabat Mater Speciosa (du même auteur) sur « la naissance de Jésus, donc il y a une joie, une luminosité qui se dégage du texte. Mon travail a été de trouver, par les harmonies et les contrastes, cette luminosité, cet appel à la vie que procure la naissance d’un nouveau né »

Entre Dolorosa et Furiosa, Stabat Mater Vanda tenant à peine debout n’arrive ni à supporter son sort, ni à voir un avenir d’elle même et pire de son enfant. Alors que tant de portes se sont fermées, ce cœur meurtri en vient à insulter ce « Dieu endormi » : « Je hais Dieux d’avoir fait les hommes/(…) Je crois en Dieu mais je hais Dieu / d’avoir créé le monde et avec le monde/le lieu les moyens et les raisons de la guerre ».

Elle ne peut plus rien, ni le pas en arrière ni le pas en avant.

Entre l’indicible et l’impensable.

De cette tragédie actuelle – insupportablement ordinaire – douloureuse variation de l’éternel drame maternel, personne ne sortira indemne. Elle constitue aussi un aiguillon pour suivre ce compositeur lumineux et attachant, qui se fout pas mal des catégories, pour mieux chanter de l’humain, chanter notre époque mais tout respectant interprètes et spectateurs.

Olivier Olgan

 Le Carnet de Lionel Ginoux

La symphonie n°6 ‘Pathétique’, de Tchaïkovski, par Carlo-Maria Giulini

Un pur bonheur, tout me plait dans cette œuvre. Pour moi c’est le souvenir du début de chaque vacances. C’était un rituel. Le samedi matin je m’allongeais sur le canapé dans le salon, je mettais ce disque et je me laissais partir. J’avais la sensation d’accomplir un grand voyage en écoutant cette musique remplie d’image ou en tout cas une musique qui me permettait de sentir, de rêver, de décoller.
La seule version que j’écoute est celle de Carlo-Maria Giulini avec le Philhar de Los Angeles. J’ai essayé d’écouter d’autres versions mais les images ne sont pas les mêmes et elles ont moins de saveur pour moi.

 

Requiem de Verdi, par Bernstein

Interprétation de  Bernstein ! J’ai été suffoqué par l’intensité de cette musique, la puissance du chœur, la puissance des cuivres, la puissance des timbales. Pour ressentir cette intensité pleinement, je  me rappelle m’enfermer souvent dans la voiture (pour ne pas déranger ma famille) et j’écoutais en boucle à très fort volume sonore le « dies irae ». Tout tremblait dans la voiture de mon père et j’adorais cette sensation. Souvenir physique impérissable de cette œuvre !

 

Blues and roots, de Charles Mingus

Découverte frappante. Quand j’ai mis le disque j’ai eu la sensation d’être dans un quartier à New York, un quartier dense, rempli d’activité, j’ai ressenti la ville, et j’ai été impressionné de pouvoir ressentir cela en musique. Impression de vivre dans la ville où Mingus habitait et de vivre ce qu’il vivait.

Quintets, de Miles Davis (coffret 1965 à 1968)

Une découverte de musique jazz libre, un quintet dont je ne me lasse pas parce qu’il y a une richesse harmonique avec toujours une pulse qui nous ramène au temps, qui fait que l’on se raccroche toujours à quelque chose

Tostaki, album de Noir Désir

C’est un groupe de ma jeunesse, j’ai adoré cette énergie rock, et puis la richesse de l’invention musicale, c’est un travail sur le son aussi. Je trouve que c’est une musique puissante, simple et qui utilise la poésie des mots au-delà du sens.
Pour moi les mots étaient utilisés d’une manière instrumentale. Je regrette tout ce qu’il s’est passé ensuite mais c’est un groupe et une musique qui a formé mon identité.

« L’existentialisme est un humanisme » de Jean-Paul Sartre

C’est un livre que j’ai lu au lycée. Je pense n’avoir compris que 20% du livre mais ce que j’ai compris m’a, je crois, profondément changé. Le rapport à la religion, à la relation à Dieu, au pardon de nos péchés, au fait que l’homme doit être responsable de ses actes.

Bel Ami, de Maupassant

J’étais au collège et c’est le premier roman qui m’a passionné à lire. Peut-être cette thématique: Comment une personne qui ne naît pas dans la bonne société arrive à gravir les échelons pour sortir de sa condition sociale et finalement, arriver à côtoyer la haute société ?

Le mal des fantômes, poèmes de Benjamin Fondane

Juste une merveille ces poèmes dont La préface en Prose. Je suis fasciné par la puissance, la simplicité des mots qu’utilise Fondane. Avec cette détermination de défendre, de redonner de la dignité aux petites gens.

 

The rest is noise, à l’écoute du XXème siècle, d’Alex Ross (Actes Sud)

Pour une fois un livre qui regroupe toutes les musiques du XX° siècle qui ont été créées durant ce siècle. Formidable livre qui m’a fait réaliser combien la création musicale au XXeme a été foisonnante et qui m’a fait sortir de l’esthétique de la musique contemporaine. 

C’est sûrement le livre déclencheur de mon envie d’intégrer de la pulse, de la mélodie, des répétitions et d’aller au-delà de la musique expérimentale que l’on m’a enseigné au conservatoire.

La porte des enfers, de Laurent Gaudé

Simplement magnifique ce roman, cette écriture, cette histoire. Je suis fasciné par l’écriture de Laurent Gaudé. Dans ce roman, il nous fait basculé d’une histoire actuelle dans un univers mythique : la Divine Comédie de Dante. C’est d’une puissance fabuleuse.
On a deux mondes qui se côtoient et on bascule de l’un à l’autre sans aucune frontière.

Propos recueillis par Olivier Olgan

Pour suivre Lionel Ginoux

Discographie 

  • Vanda opéra de chambre, pour mezzo-soprano, viole de gambe et électronique : Lionel Ginoux, composition et électronique, Jean-Pierre Siméon, livret, Fanny Lustaud, mezzo-soprano et Marie-Suzanne de Loye, viole de gambe – Production scénique en 2016 avec Ambroisine Bré (cd Label Nervure – Inouïe Distribution)
  • Nuit Blanche pour piano, Marion Liotard piano
  • Sans Frontières Fixes mélodies pour baryton et piano, Mikhaël Piccone baryton, Marion Liotard piano
  • Cantico delle creature pour quatuor vocal, Quo Vademus Ensemble
  • Un Brasier d’étoiles Œuvres de Lionel Ginoux et Henri Tomasi , mélodies pour soprano et piano, Jennifer Michel soprano, Marion Liotard piano (Maguelonne)
  • Geronimo sort de la brume pour slam et piano, Dizzylez slam, Vincent Truel piano (Disque Aux Anges)
  • Le Verre d’eau pour alto et sons fixés, à l’alto Sylvain Durantel alto, Emmanuel Christien piano, François Castang récitant (Disque La Cuisine)
  • Point de Fuite pour chœur de femmes, Poème de Sarah Kéryna, Direction, Sébastien Boin (Edition Fidel Anthelme X)
  • Préface en Prose, pour chœur, orchestre de chambre et récitant. Poème de Benjamin Fondane, Ensemble C.Barré, chœur de chambre Pyramidion, Direction, Sébastien Boin & Pascal Denoyer, Récitant, Sacha Saille
  •  Mai soloœuvres pour saxophone, Joël Versavaud, saxophones (Distribution Maguelone)

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