Culture
Le centenaire Pierre Loti à Rochefort et Oléron tourne à la Lotimania en Charente
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 3 octobre 2023
Connaissez-vous (encore) Pierre Loti ? A défaut de l’ouverture de l’invraisemblable Maison Pierre Loti, lieu de fêtes et de fantasmes, uniquement accessible en réalité virtuelle, Rochefort (où il est né) et Saint-Pierre d’Oléron (où il est enterré) ont multiplié les initiatives (dont un carnet de voyage en Saintonge) pour brosser les multiples facettes et identités de l’auteur de Pêcheurs d’Islande : de Julien Viaud devint Pierre Loti au Musée Hèbre (> 4 novembre) à Loti, enfant de l’Ile, Musée d’Oléron (> 10 décembre) en passant par Pierre Loti, arpenter l’intervalle, Corderie Royale-Centre International de la Mer (> 31 décembre), hommage de 10 artistes contemporains au mythe Loti.
Le centenaire du « Saintongeais », éternel nomade
« Si quelques Parisiens croient que je suis breton, si tous croient que je suis exotique, en réalité je suis un Saintongeais » Si Pierre Loti n’a cessé de multiplier ses identités, selon ses inspirations et ses évasions, il n’en revendiquait qu’une, celle de ses racines familiales. Celui qui ne cessa de rêver et d’embarquer (plus de 150 fois) pour parcourir les vastes horizons des quatre mers ou des cinq continents, et les partager au plus grand nombre, comme en témoignent ses passionnants récits de voyage et son (immense) Journal (en 5 volumes)… n’aspire lorsqu’il est à terre, qu’à vivre dans son port d’attache. Son terroir reste la Saintonge en général, comme le révèle le Carnet de voyage de l’AggloRochefortOcéan, et en particulier Rochefort où il est né et vécu et Saint-Pierre d’Oléron, où il s’est fait enterrer en 1923 après des obsèques nationales.
Une vie de roman
Pour commémorer – mais surtout (tenter de) balayer les stéréotypes et/ou légendes qui collent au pilori – l’auteur de Pêcheurs d’Islande – la Ville de Rochefort, la Communauté d’Agglomération Rochefort-Océan, la Communauté de Communes Cœur de Saintonge et l’Office de Tourisme de l’île d’Oléron et du bassin de Marennes, ont coordonné une « Année Loti » avec des initiatives foisonnantes et fédératives: expositions, visites, mapping et imagerie 3D. La réhabilitation de cet artiste libre, en proportion au mépris de l’intelligentsia qu’il suscita (lire Lesley Blanch, Pierre Loti, L’évadé, Le Passeur éditeur) devrait contribuer – espérons le – à une nouvelle « renaissance » de Pierre Loti.
Dans le programme multifacettes à l’image de Loti, nous avons retenu trois jalons de cette fête mémorielle qui éclaire son destin.
Julien Viaud devint Pierre Loti, le voyage de la Flore,1872 (Musée Hèbre)
Riche de documents et d’objets (jusqu’à la reconstitution de sa cabine à bord du Flore), mais surtout de dessins (qui furent le motif de son engagement et de sa promotion, le parcours évoque l’ épisode essentiel dans la vie de Loti : son premier voyage aux antipodes, sur les traces du frère admiré, la découverte d’autres cultures, de Tahiti à l’île de Pâques, avec les reines, Vaekehu des Marquises, Pomare IV de Tahiti, qu’il su si bien dessiner.
Durant les six premiers mois de 1872, il sillonne le Pacifique et visite l’île de Pâques, les Marquises et Tahiti. Il constate alors la manière dont les Occidentaux précipitent la disparition d’antiques cultures. Des méfaits qui le bouleversent.
L’acculturation des sociétés traditionnelles sous emprise occidentale constituera ensuite pour lui une préoccupation constante. C’est aussi à cette occasion qu’il débute en littérature.
Claude STEFANI Conservateur des musées municipaux de Rochefort, catalogue
Avec l’aide de sa sœur, le marin publie une série de textes accompagnés de dessins dans la revue L’Illustration. Des articles remarqués, considérés aujourd’hui comme de précieux témoignages ethnographiques.
Fondateur, le séjour à Tahiti lui permet de rechercher les traces de Gustave, son frère aîné disparu, qui avait vécu dans l’île dix ans auparavant. Quête décevante mais qui offrit à l’auteur en devenir la matière d’un de ses plus célèbres romans, Le mariage de Loti, publié en 1880. Ses écrits, ses dessins et sa collection ont contribué à éclairer la culture de l’Ile de Pâques, connue jusqu’alors que par les seuls voyages de Cook et de La Pérouse. Certains de ses objets pascuans furent acquis par les surréalistes, dont André Breton, fascinés par Rapa Nui (nom pascuan de l’île de Pâques), alors qu’ils n’estimaient guère Loti.
Loti, enfant de l’Ile, Musée d’Oléron
Le petit Musée d’Oléron – qui va connaitre une expansion importante dans les prochains mois -, a réservé ses salles d’étage pour présenter les liens de Loti avec cette ile. Et ils sont paradoxaux.
Il a racheté la maison des ‘aïeules’, dont il n’a qu’un vague souvenir, plus de quarante ans après son dernier séjour. Au passé familial, il se rattache certes, l’écrivant et le réécrivant, le chérissant à chaque fois davantage, tout en s’en affranchissant par les voyages, par l’hétéronymie qui dénoue les liens religieux et moraux qui l’empêchent d’être pleinement. L’œuvre de Loti déploie une entreprise de stratification du temps – c’est-à-dire du passé –, une récollection et un inventaire du passé, qu’il soit intime ou non. Le proche et le lointain, le familier et l’exotique, le connu et l’inconnu sont les deux pôles magnétiques d’une boussole dont il est pris dans le champ de force. Il a toujours besoin d’être de retour, et sans cesse il veut partir.
Pierre Loti ne naît pas avec Julien Viaud, mais bien après, et Pierre Loti meurt avant Julien Viaud. S’il décède à Hendaye, c’est à Saint-Pierre d’Oléron qu’il a exigé d’être inhumé. L’écrivain et son double est sous la terre de cette maison mémorielle.
Le passé, tout l’antérieur amoncelé des durées, obsède mon imagination d’une manière presque constante. Et souvent j’ai eu ce désir, – le seul irréalisable de façon absolue, impossible même à Dieu –, de retourner, ne fût-ce que pour un instant furtif, en arrière, dans l’abîme des temps révolus, dans la fraîcheur matinale des autrefois plus ou moins lointains.
Pierre Loti, Dans le passé mort, dans Pierre Loti, Nouvelles et récits.
Mais Pierre Loti a gagné une seconde existence, fantomatique puisque indéterminée et sans terme propre : il existe par la durée de son œuvre.
La vie n’est d’ailleurs qu’un sursis, ou comme le disait Théophile Gautier :
Nous sommes condamnés, nous devons tous périr,
Naître, c’est seulement commencer à mourir.
Dans l’infime entre-temps qui sépare naissance et trépas, Loti eut la bonne idée de vivre à la fois avec fougue et mélancolie, panache et élégance. Et il eut une idée bien meilleure encore : l’écrire.
Pierre Loti, arpenter l’intervalle (Corderie Royale-Centre International de la Mer)
Belle idée pour ne pas s’enfermer dans le souvenir ou le culte d’un Loti historique que d’avoir confié à des 9 artistes contemporains au cœur de la magnifique Corderie Royale-Centre International de la Mer, « une lecture de l’œuvre de Pierre Loti aujourd’hui, une sorte de réactivation réelle et singulière de sa pensé » selon Jean-Michel Alberola, à la fois commissaire et exposant. « Un écrivain-voyageur à cheval sur le XIXe et le XXe siècle avec ses romans, ses « essais », sa correspondance, sa maison peut-il révéler un monde qui s’articulerait avec le travail de jeunes artistes du XXIe siècle ? ». Si les œuvres proposées sont d’une portée inégale, elles ont le mérite d’élargir, ce que Alberola appelle le « continent Loti, sa singularité, sa vision de la réalité et sa capacité indéniable à la décrire. »
Le Voile d’Aziyadé, de Jean-Michel Alberola
« Sur toute la surface du mur : une seule et unique couleur puis des maximes typographiées et des figures composées le plus souvent de noir, blanc ou rouge. Chaque peinture murale érige un espace frontal à l’échelle du lieu qui surplombe le spectateur. En filigrane : les muralistes mexicains, les publicités peintes sur les murs de la ville dans le passé récent du XXe siècle, une imagerie populaire et surannée ; les esthétique aussi des encyclopédies, des livres illustrés, des affiches militantes ou bien encore celles empruntées aux enluminures et à la bande dessinée. »
Agathe Dos Santos, Enfance chez Loti, Chambre Loti et Mon Loti.
« À la façon de Loti, qui mêle des pans de sa mémoire à son imaginaire, elle prélève et associe des bouts d’images et de souvenirs pour constituer une nouvelle narration où tout est faux mais tout est vrai, selon une certaine disposition d’esprit. Dans Le Roman d’un enfant, Loti évoque « l’image initiatrice » d’un palmier en se demandant, à posteriori, comment cette image « aurait pu faire naître le moindre rêve en lui, si sa petite âme n’eut été pétrie de ressouvenirs… ». La mémoire de Loti ressasse à bon escient. Ce n’est pas tant le lieu, l’objet ou l’image en question qui retiennent l’attention de Loti, mais plutôt l’effet que ceux-ci produisent sur lui en tant qu’ils sont mémorables : l’auteur se souvient de Castelnau car jamais aucun lieu ne lui aura donné une telle « impression de Moyen-Age. »
Théodora Kanell, La maison de Loti
« La maison de Loti est une maison ludique, une maison immatérielle, une maison de la mémoire, une maison textuelle, une maison d’enfance jamais réellement quittée… Théodora Kanelli a représenté cette maison de manière improvisée, comme une sorte de plan horizontal accroché verticalement sur le mur et composé par des espaces variés – des « espaces mentaux »
Une notion d’espace tout d’abord, évidemment : homme de voyage, la vision se révèle à lui par contraste. C’est parce que le monde se dresse dans des repères neufs et vierges qu’il devient objet d’écriture. Loti ne voyage pas comme Flaubert, Chateaubriand ou Conrad, ni comme Ségalen ou Claudel : sous l’uniforme, le navire est son théâtre, et la terre proche est déjà devenue image.
François Bon, Un autre visage de Pierre Lori
Un témoin de combat face aux barbaries de son temps
Derrière l’inlassable voyageur et prolifique auteur de récits exotiques, derrière le désir d’être un autre ou d’être ailleurs, se cisèle une attention inquiète au réel, à l’histoire et à soi-même, se révèle une conscience aigüe du siècle et de ses crises – en jouant parfois contre son camp – ce qui lui a valu cette haine tenace de l’intelligentsia : l’Affaire Dreyfus, les conflits coloniaux, les guerres balkaniques, la colonisation anglaise en Inde, la première guerre mondiale, …
Mu par son imaginaire romanesque, ile dissident perpétuel a cherché à s’y attaquer moins par les armes que par la plume ou par des actions diplomatiques que sa notoriété internationale a pu faciliter. Loin de l’image d’un esthète mondain et frivole et de l’académicien conservateur. Il est d’ailleurs le seul membre de l’Institut à avoir posé nu pour un photographe : cela fait de lui, en un sens au moins, un homme rare !
Le fantasque est la clé du caractère complexe de Pierre Loti, car c’est grâce aux fantasmes de son imagination enfantine qu’il s’évadait de la salle de classe vers les mondes secrets de la splendeur orientale et de l’aventure où il accéderait dansa vie adulte.
Lesley Blanch, Pierre Loti, L’évadé, Le Passeur éditeur,
Une curiosité d’ethnologue et le refus de l’uniformisation
Ce qui rend Loti moderne et actuel, ce n’est, ni son absolue liberté – y compris sexuelle, ni sa hantise de la brièveté de l’existence. Loti est un écrivain du moi, de la quête d’un moi toujours changeant. S’il échoue dans cette recherche, étant de nature rétif à la théorie, débordé par la conscience de la finitude des civilisations, c’est sa curiosité d’ethnologue qu’il transmet par le dessin et les mots pour mieux pénétrer les us et coutumes – parfois la langue des contrées traversées. Loti est le fruit d’un entre-deux mondes : son perpétuel « déplacement » au sens propre et figuré est une image d’un monde qui se construit sur ses propres illusions, illusions de puissance, de grandeur, de progrès. Sauf qu’il n’est pas dupe et ne cessera de les critiquer.
La dynamique de Loti, c’est le refus chevillé au corps et au cœur de l’uniformisation culturelle, c’est la « couleur vraie » de sa vie – et ses désirs de bonheur – et de son œuvre, lui qui jouait de ses identités comme autant de masques » pertinence qui lui donne selon son biographe, Alain Quella-Villéger, Une vie de roman (Calmann Levy) cet « arrière-goût d’authenticité , d’actualité, l’œuvre de Loti dans sa naïveté lucide, dans sa pensée sauvage donne racine à l’histoire »
Cette stimulante Lotimania constitue un appel à l’expérience permanente du dépaysement, à relire Loti et à visiter la Saintonge.
#Olivier Olgan
Pour suivre sur l’Année Loti en Charentes
A Rochefort
Au Musée Hèbre, 63-65 avenue Charles de Gaulle – , Tél. : +33 5 46 82 91 60
- Jusqu’au 4 novembre 2023, Julien Viaud devint Pierre Loti, le voyage de la Flore,1872,
- Du 13 au 15 octobre 2023, Journées Nationales de l’architecture, Programmation en lien avec la Maison de Pierre Loti.
- Jusqu’au 31 octobre 2023, Pierre Loti, voyage dans la ville : pour découvrir les lieux rochefortais (collège, temple, jardin de la Marine, …) qui ont marqué et façonné Julien Viaud en Pierre Loti
- Jusqu’au 31 décembre, Un collège nommé Pierre Loti, Lieu emblématique de la naissance de son esprit voyageur, le collège où il va entrer en 1862, est décrit dans « Le Roman d’un enfant » comme un «lieu de souffrance».
- Jusqu’au 31 décembre 2023, Les fêtes chez Pierre Loti : découvrir l’esprit de ces soirées étonnantes dans sa maison musée reconstituée en 3D
Jusqu’au 31 décembre 2023, Pierre Loti, arpenter l’intervalle, Corderie Royale-Centre International de la Mer, rue Audebert, Centre International de la Mer, Rue Audebert – Tél. : +33 (0)5 46 87 01 90 : Jean-Michel Alberola a invité neuf artistes à se confronter à « l’univers » de Loti, : Agathe Dos Santos, Ariane Alberola, Carmen Ayala, Joséphine Ducat-May, Juliette Green, Lucie Baumgarten, Malo Chapuy, Solène Rigou, et Theodora Kanelli.
- Planète Loti, Médiathèque Erik Orsenna, Corderie Royale, rue Audebert, propose une immersion dans la « Lotimania »
- Pierre Loti, Gustave Viaud, deux frères unis pour la vie, Ancienne Ecole de médecine navale, 25 rue amiral Meyer, Rochefort
- (en cours de restauration) Maison Pierre Loti, 141 rue Pierre Loti : La demeure de ses grands-parents où il est né le 14 janvier 1850 que Julien Viaud, futur Pierre Loti, devient à force de transformations (chambre arabe, le salon turc, la salle à manger gothique, pagode japonaise) et de d’extensions extravagantes (la mosquée, la salle renaissance et la salle chinoise) le creuset de ses fantasmes et un lieu théâtral où il se met en scène lors de fêtes mémorables.
A Saint-Pierre-d’Oléron
Jusqu’au 10 décembre 2023, Loti, enfant de l’Ile, Musée d’Oléron, 9, Place Gambetta, Tél. : +33 5 75 05 16 : Terre d’origine, lieu d’inspiration et destination de son dernier voyage, Oléron demeure un refuge pour Pierre Loti.
A lire
Le Carnet de Voyage de Pierre Loti, AggloRochefortOcéan: Rochefortais de naissance, Pierre Loti cultivait ses racines. De Rochefort à Saint-Pierre d’Oléron, en passant par Échillais, Saint-Porchaire et le château de la Roche-Courbon, l’écrivain a laissé sa trace sur ce vaste territoire pour lequel il éprouvait un profond attachement et qui lui rend hommage cette année à l’occasion du centenaire de sa disparition.
Lesley Blanch, Pierre Loti, L’évadé, Le Passeur éditeur, 1983 : Ce romantique acharné doublé d’un mystique manqué, ne pouvait qu’attirer Lesley Blanch (1904-2007), la première épouse de Romain Gary, reporter et historienne intrépide, qui nous offre ici une délicieuse et exceptionnelle biographie. Extrêmement bien documentée, elle a su révéler la vérité de cet homme fantasque en puisant dans sa correspondance et dans son étonnant journal intime, tout en interrogeant ses descendants et leurs archives.
Alain Quella-Villéger, Une vie de roman, Calmann-Levy, 2019, 400 p. : « Mon mal j’enchante » : la devise de Pierre Loi résume son parcours de vie. Le biographe déjà auteur d’un Pierre Loti, l’incompris (Presses de la Renaissance montre que derrière l’inlassable voyageur et prolifique auteur de récits exotiques, derrière le désir d’être un autre ou d’être ailleurs nait s’une attention inquiète au réel, à l’histoire et à soir même., se révèlent une conscience aigue du siècle et de ses crises – sans trop se tromper de camp ! : l’Affaire Dreyfus, les conflits coloniaux, les guerres balkaniques, ka première guerre mondiale, …
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