Gastronomie
Le chou farci, trésor gourmand de la cuisine paysanne
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 30 mars 2019 à 18 h 26 min
Quand la farce rehausse l’ordinaire
Presque le seul avant l’arrivée de la pomme de terre, le chou peut se targuer d’être au centre d’une recette de soupe ou de potée dans chaque région de France, qui diffère légèrement des autres en fonction des ressources géographiques ou de la prospérité domestique. La plupart avec un bout de lard ou de petit salé — le cochon était l’animal des fermes qui fournissait parcimonieusement de la viande pour une année — ou des châtaignes, ou du pain, ou tout ce qui tombe sous la main comme provende pour varier l’ordinaire. Avec de la farce, c’est une toute autre histoire !
Un plat né de l’imagination paysanne
La cuisine pauvre n’a jamais été triste. Au contraire, elle est souvent génératrice de créativité. Et notre patrimoine gastronomique le raconte à travers ses recettes ancestrales qui ont perduré jusqu’à nos jours.
Saluons donc l’inventivité de la première cuisinière ayant eu l’idée d’écarter les feuilles d’un chou, sempiternelle pitance, pour le garnir avec les restes d’un bouilli, histoire d’augmenter et de revigorer la mangeaille quotidienne. Ou comment l’utilisation des restes et un légume omniprésent dont la consommation devait être fastidieuse, ont donné naissance à un trésor gastronomique.
Ne pas confondre chou vert frisé avec le chou pommé
Considérons d’abord le chou qui doit être un chou vert frisé, c’est-à-dire l’ancêtre de tous les autres puisqu’il a été le tout premier à être cultivé par les hommes et qu’on le cuisinait déjà dès l’Antiquité. Ce n’est pas un chou pommé (comme le chou vert cabus), ce qui facilite l’écartement des feuilles. Il est généralement d’un beau vert franc, même si de plus en plus plus pâle en allant vers le cœur et ses feuilles ne sont pas lisses mais cloquées. Les feuilles extérieures ont quant à elles de grosses nervures.
Deux techniques de montage et une ruse
Pour faire un chou farci entier, il y a deux méthodes. Quelle que soit celle que vous choisissez, il faut éliminer les feuilles extérieures dures et le trognon à l’intérieur duquel vous creuserez un cône, puis le laver dans une eau vinaigrée. Ensuite, il faut le faire blanchir, différemment selon la méthode choisie :
I/ Le chou farci feuille à feuille
Blanchissez-le entier 10 minutes, égouttez-le et rafraîchissez-le. Installez-le sur un torchon, puis écartez délicatement toutes les feuilles jusqu’au cœur, prélevez celui-ci, hachez-le au couteau et incorporez-le à la farce qui se doit d’être à grain fin, en tout cas plus que pour un chou moulé. Mettez gros comme un œuf de cette farce à la place du cœur et rabattez les feuilles en glissant des cuillerées de farce entre elles. Enveloppez-le dans deux grandes bardes de lard disposées en croix et ficelez-le. À cuire dans bouillon ou en cocotte dans un fonds de braisage abondant.
II/ Le chou farci moulé
Cette fois il faut détacher toutes les feuilles (éliminez les grosses côtes des feuilles extérieures) et les faire blanchir 2 à 3 minutes seulement, juste pour les assouplir. Il faut alors tapisser un saladier ou un moule avec les plus grandes feuilles, côté large et rond vers le fond, en les faisant légèrement se chevaucher. Puis montez le chou en alternant couches de farce et de feuilles de chou et en terminant bien sûr par des feuilles. Rabattez les premières feuilles sur le dessus, enveloppez de bardes de lard et ficelez pareillement.
De la patience pour des petits choux farcis
Si les deux premières méthodes vous paraissent compliquées, celle-ci est très astucieuse et beaucoup plus facile à réaliser, même si elle demande aussi de la patience. Les feuilles de chou sont en effet farcies individuellement (superposées). Faites blanchir les feuilles comme précédemment, superposez-les par deux ou trois en fonction de leur taille, déposez sur chaque tas une grosse cuillerée de farce, enfermez en petits paquets et ficelez !
Une véritable signature régionale
Si, comme dit plus haut, on mange du chou farci dans toutes les régions de France, trois d’entre elles peuvent s’enorgueillir d’une tradition prépondérante : l’Auvergne, le Poitou et la Provence.
En Auvergne, le chou est moulé en terrine et la farce se fait à grain moyen avec des restes de bouilli, du lard, des échalotes et de l’ail, des fines herbes (persil, cerfeuil, ciboulette). On ajoute beaucoup d’œufs (8 pour un chou) mais plutôt que de la mie de pain rassis, on incorpore à la farce 4 cuillerées à soupe de farine de sarrasin, céréale traditionnelle autrefois). On le cuit ensuite 2 heures au four.
En Poitou, on le nomme « farci poitevin ». Spécialité de la région de Civray, il existe une poche à farci spéciale, se fermant en tirant sur une ficelle prévu à cet effet. À défaut, utilisez une étamine à beurre ou même un torchon. Là encore, la farce à grain moyen se compose de lard et de verdures (bettes, épinards, oseille, oignons, ail), de mie de pain et d’œufs. Tapissez un grand saladier avec la mousseline puis avec des feuilles de chou, versez la farce, rabattez les feuilles et la mousseline, ficelez en ballot. Traditionnellement le farci se cuit dans un pot-au-feu mais on peut aussi le faire cuire seul dans un court-bouillon (3 heures). Dans la toute proche Saintonge, on remplace les épinards par des feuilles de laitue ou des blancs de poireaux.
Le sou-fassum provençal est une antique recette venue de Grèce au temps de la fondation d’Antibes. C’est aujourd’hui une spécialité de la région de Grasse où l’on vend aussi un filet spécial pour le préparer… mais dont on peut également se dispenser ! Dans sa farce entrent du riz, du lard, des oignons, de la chair à saucisse, des blettes — comme on appelle les bettes en Provence —, des tomates, de la sauge, du persil, du thym, des œufs et l’assaisonnement. Le sou-fassum se cuit 3 h dans un bouillon riche. Le chou se découpe en côtes comme un melon et peut aussi se manger froid.
Dans l’Aveyron — mais on les retrouve du Quercy au Rouergue et jusqu’au Limousin méridional — on prépare des « porcellous » petits farcis qui ressemblent à des paupiettes où l’on mélange veau, porc et de nombreuses verdures (vert de bettes, épinards, pissenlits, cerfeuil), mie de pain, etc. On les fait cuire dans une soupe ou un bouillon, 45 minutes environ. Il est amusant de noter que le mot « porcellous » est à rapprocher du latin porcellus qui signifie cochon de lait, porcelet, marcassin.
En Provence encore, dans le Comté de Nice, on prépare « lou capoun », des petits choux farcis en feuilles avec riz, lard et viande (qui peut-être bœuf, veau ou porc), hachis relevé d’herbes, assaisonnement. On peut leur adjoindre des pruneaux et les envelopper de bacon avant de les ficeler.
Partout ailleurs, un fond d’inspiration paysanne
Les recettes sont réalisées avec des restes de bouilli. Dans le Sud-Ouest, on peut mêler du confit à la farce et les petits choux farcis mijotent volontiers dans la garbure. Dans le Sud-Est, on ajoute du petit salé et l’on met plus ou moins d’herbes selon le goût.
Quelles que soient les recettes, les restes se mangent généralement froids ou poêlés au beurre.
Déclinaisons et détournements
Devenu populaire chez les ouvriers et même chez les bourgeois — chez qui une bonne économie domestique est toujours de rigueur, par nécessité chez les premiers, par vertu chez les seconds —, le chou farci connaît de nombreuses déclinaisons qui s’inspirent parfois du terroir comme lorsque la farce s’agrémente de la chair d’un lapin ou d’une perdrix, d’une saucisse régionale (Morteau démaillotée par exemple) ou encore de châtaignes comme en Auvergne, en Limousin et en Lorraine, ou même des champignons (les cèpes s’y prêtent très bien).
Des primes à l’imagination.
Notamment grâce aux chefs qui ont l’apanage des détournements. Ainsi, les farces peuvent-elles êtres préparées avec des volailles (pintade notamment), ou encore « au maigre » avec du poisson, et c’est délicieux : poisson blanc noble (cabillaud), saumon ou haddock (dont nous vous parlerons bientôt), voire crevettes, saint-jacques ou joues de lotte, homard ou langoustines. Il vaut mieux alors des petits choux farcis qu’un gros et la cuisson peut gagner à être faite à la vapeur.
À Antibes, chez Goood, Simon Sottocorno sert le sou-fassum en entrée froide avec une farce insolite : nougat de fromage blanc, pickles d’oignons et coulis de framboises (réalisé par le chef Florent Koffi), ce qui renouvelle le genre de manière attractive.
Mais plus somptueusement encore, on peut « tout simplement » mêler à la farce du foie gras, ce qui en fait un mets royal !
Le creuset des valeurs fondamentales de la cuisine.
Bref, qu’ils soient d’inspiration paysanne ou nés s’une imagination débordante, les choux farcis sont toujours bien accueillis, sans doute parce qu’ils renvoient aux valeurs fondamentales de la cuisine. Ce n’est pas la fille de Jean Giono qui me démentira qui écrit dans son livre : « Les choux farcis étaient l’un des plats préférés de mon père. Un plat qui vous fait aimer le froid de l’hiver, les journées grises et courtes. » dans La Provence gourmande de Jean Giono, le goût du bonheur, Sylvie Giono (Belin, 2013).
Adresses et accords vins pour savourer un chou farci
En saison, beaucoup de brasseries et de bistrots ont à leur carte du chou farci, en région aussi.
Voici deux adresses provençales :
• Lou Pistou, chef Dominique Dumas.
4 rue Raoul Bosio, 06300 Nice – Tél. 0493 62…
En saison, beaucoup de brasseries et de bistrots ont à leur carte du chou farci, en région aussi.
Voici deux adresses provençales :
• Lou Pistou, chef Dominique Dumas.
4 rue Raoul Bosio, 06300 Nice – Tél. 0493 62 21 82
Ouvert du lundi au vendredi de 12 h à 14 h et de 19 h à 22 h, fermé samedi et dimanche.
• Goood, restaurant wine-bar, Simon Sottocorno, chef Florent Koffi.
45, rue Fourmilliaire, 06600 Antibes – Tél. 09 52 00 69 67
Ouvert du lundi au samedi de 12 h à minuit, fermé le dimanche.
Déguster
Avec un chou farci classique bien dans sa tradition :
• Un Côtes d’Auvergne rouge « Boudes » Météor 2018 du domaine Annie Sauvat, 100% gamay.
Avec des arômes de fruits mûrs, de sous-bois et de poivre noir, une bouche complexe et charnue aux subtiles notes de réglisse, un corps structuré et et une bonne persistance, il s’harmonisera parfaitement avec un chou farci classique, avec ou sans perdrix. Prix : 14 € départ domaine.
Domaine Annie Sauvat – Route de Dauzat, 63340 Boudes
Tél. 04 73 96 41 42
• Un saumur-champigny « Terroir de craie » 2017 du domaine de la Perruche, 100% cabernet-franc. Exprimant une palette de fruits rouges au nez, en bouche il est velouté et minéral, faisant bien face à la typicité du chou farci. Prix : 9,80 € au domaine.
Domaine de la Perruche, 29 rue de la Maumenière, 49730 Montsoreau
Tél. 02 41 51 73 36
• Un grillé d’Aunis 2017 des Vignerons du Vendômois, 100% pineau d’Aunis, subtilement puissant et épicé dont la finesse, la concentration et la bouche longue feront de jolies épousailles avec un chou farci, particulièrement au lapin. Prix : 9,80 € départ cave.
Cave coopérative du Vendômois, 60 avenue du Petit Thouars, 41100 Villiers-sur-Loir
Tél. 02 54 72 90 69
Avec un chou farci classique mais endimanché (farce au gibier) :
• Une IGP Saint-Guilhem-le-Désert rouge Mas d’Amile 2015, 100% carignan vieilles vignes. Chaleureux, fin et élégant, aux arômes de cassis et réglisse auxquels se mêlent des notes agréables de garrigue et d’épices. Prix : entre 15 et 20 € selon les cavistes.
Mas d’Amile – Amélie Dhuriaborde – Chemin de Careneuve, 34150 Montpeyroux –
Tél. 04 99 9178 07
Avec des petits choux farcis insolites :
• Un Alsace rouge Pinot noir Les Tonnelles 2011, Château de Riquewhir, de Dopff & Irion 100% pinot noir. Avec son nez complexe, ses arômes de confiture de groseille et de poivre noir et sa bouche équilibrée révélant des fruits rouges et de fins tanins, il sera épatant sur des choux farcis insolites (pruneaux, bacon, sanglier, boudin noir). Prix : 13 € départ cave.
1 cour du Château, 68340 Riquewhir
Tél. 03 89 47 92 51
Avec un chou farci au poisson, à la volaille ou au jarret de veau :
• Un côtes d’Auvergne blanc Privilège 2017 de Desprat Saint-Verny, 100% chardonnay.
Ses arômes de pamplemousse et de fruits exotiques avec un soupçon de citronnelle, sa texture équilibrée, sa fraîcheur minérale et sa pointe de grillé escorteront parfaitement les choux farcis qui s’éloignent du répertoire classique. Prix : 12,50 € départ cave.
Desprat Saint-Verny, Cave Saint-Verny-Veyre-Monton, 2 route d’Issoire, 63969 Veyre-Monton
Tél. 04 73 69 60 11
Avec un chou farci au foie gras :
• Un Alsace blanc Grand Cru Wineck-Schlossberg 2015 pinot gris de Paul Blanck. Très aromatique, sur la poire et l’abricot avec une bouche à la fine acidité, élégante et soyeuse, ce vin puissant et complexe sera un partenaire idéal avec le foie gras (chou farci au foie gras) mais aussi avec les crustacés (petits choux farcis au homard ou aux langoustines), les viandes blanches et les petits gibiers. Prix : 21 € départ domaine.
Domaine Paul Blanck, 29 Grande-Rue, 68240 Kayserberg-Vignoble
Tél. 03 89 78 23 56 –
Partager