Culture

Le Napoléon en chansons d’Arnaud Marzorati, chantre des Lunaisiens

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 30 avril
 2021

Après Brassens, Vian, Arnaud Mazorati et ses Lunaisiens ne pouvaient passer à côté de… Napoléon. Idolâtré, détesté, peu importe : il est omniprésent. Et particulièrement dans l’univers de la chanson. Accompagnés par des instruments historiques joués par Les Cuivres Romantiques, l’ensemble a puisé quelques pépites dans un immense patrimoine pour les faire revivre dans leur jus. Avec la conviction forte de commémorer sans idolâtrer. Mais de ne pas tuer les Héros de l’Histoire. Leur Napoléon assume que ces musiques populaires questionnent la grandeur d’un homme et sa légende… qui nous dépassent.

Que pensez-vous de cette réticence, voire résistance, à commémorer ce 200e anniversaire du décès de Napoléon ?

Arnaud Marzorati, chantre des Lunaisiens Photo © Jean-Baptiste Millot

Les bras m’en tombent, ma langue s’en colle à mon palais et  ma parole chantée s’atrophie sur mon larynx contrarié.
Je crois en ce devoir de mémoire et je  pense que l’Histoire a tous les droits, à partir du moment où elle est intègre.
Cette intégrité de l’Histoire, cela semble logique,  doit être définie par les Historiens eux-mêmes qui n’ont de cesse de se questionner sur leur propre discipline. Il faut beaucoup de distance avec les sujets traités et surtout pas de résistance ; une distance qui inclue cette notion de ne pas surfer sur l’émotionnel. Cependant, les débats et les contradictions sont bons pour que l’Histoire ne s’égare pas dans une impasse dogmatique. C’est à nous, femmes et hommes du 21° siècle, de nous investir dans une commémoration à tout-va, sans rentrer dans le mécanisme infantilisant de consommer et de se gaver de trop de spectacles de l’Histoire. Allons à la rencontre des gens et des évènements du passé avec humilité.
Nous tous qui semblons perdre la Mémoire, faisons appel à Mnémosyne, déesse de cette dernière.

Commémorons sans idolâtrer. Mais ne tuons pas les Héros de l’Histoire ; bons ou mauvais, c’est une autre histoire.

Faut-il y céder ou au contraire travailler/valoriser sa mémoire ?

Ne pas céder aux larmes de crocodiles, aux reniflements de bac à sable et à l’indignation de chats un peu trop échaudés.
Travailler sur Napoléon, dans un premier temps, ne veut pas dire l’aimer comme un fils doit aimer son père (ou pas !)  et accepter moralement tous les faits et gestes de ce personnage historique.
Bien au contraire. En tant qu’artiste, car je ne suis pas Historien, je suis davantage attiré par l’énigme, par tout ce qui peut me questionner et me sortir de mes croyances. En quelque sorte, j’aime me surprendre à m’acoquiner avec l’infréquentable, avec l’ennemi, avec le mauvais sujet, avec celui que nous rejetons. Cela m’ennuierait d’être catalogué dans le simple dictionnaire des « bien-pensants »
Alors, si aujourd’hui, travailler sur Napoléon semblerait être un crime de « Lèse- majesté », je fonce plutôt deux fois qu’une ; je coupe la tête à l’Ancien Régime, je redeviens « enfant de la Révolution », je tremble de tous mes membres de la « Restauration », j’invente un  jeu vidéo des « Cent Jours », je joue aux cartes avec Roustam, le Mamelouk de l’Empereur, je fais du Karaoké avec Joseph Serrant, général noir de l’Empire…
Et je chante, je chante toutes ces chansons qui ont constitué la belle et grande Légende de St Hélène. Composée dès 1816, alors qu’une nouvelle censure d’Etat, sous Louis XVIII, s’essayait à restreindre la voix des grognards, des nostalgiques, par centaines de milliers de cet Empereur déchu qui fut aussi appelé le « Dieu des petites Gens ».

A l’issue de votre plongée dans la légende, comment définiriez-vous (votre) Napoléon ?

Mon Napoléon n’est en rien un fantôme qui doit s’en retourner dans le fleuve de Léthé, fleuve de l’Oubli des Enfers Mythologiques. Il est un héros incontestablement romantique, adulé ou décrié par de si nombreux artistes du XIX° siècle. Il se retrouve chez Chateaubriand : « Vivant il a manqué le Monde, mort, il le possède. »  Chez Lamartine ou Balzac : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume ». Musset dans sa Confession d’un Enfant du Siècle, nous révèle le vide existentiel de la jeunesse qui replonge dans la mollesse d’une vie sous la Restauration, après les grandes batailles de l’Empire. Hugo, Stendhal et La Chartreuse de Parme qui commente l’effervescence des armées de la révolution et de son commandant le jeune Bonaparte,  à Milan.
Tous ces romans m’ont conduit vers la redécouverte d’un répertoire de chansons qui servit à la merveilleuse Légende de St Hélène. Elle fut dictée par des chansonniers tels que Béranger, Debraux, ou Desaugiers qui commencèrent à résister à une nouvelle censure.
On a emprisonné des chansonniers en 1821 parce qu’ils s’opposaient au retour de la Monarchie en se servant du « Mythe Napoléon ». Ils allaient à la prison de Ste Pélagie parce qu’ils construisaient une nouvelle épopée à l’égale de celle d’Homère. Bien sûr, les chantres de Bonaparte ne voulaient pas détruire Troie, à cause du rapt d’Hélène.  Ils voulaient, selon cette légende en chansons, répandre sur l’Europe et sur le Monde entier les valeurs fondamentales de 1789. Ils se disaient les « Enfants de la Révolution ».
Je n’oserai confirmer ou infirmer toutes ces paroles de chansons. Mais je puis affirmer que cela se chantait.

Vous valorisez le patrimoine de la chanson française (de Brassens à Vian), y a-t-il des thèmes/auteurs qu’il faut désormais s’interdire ? 

La censure s’appelle Madame Anastasie. Je suis d’ailleurs bien désolé que cette dernière apparaisse sous les traits d’une Dame. Me faudra-t-il me censurer moi-même et me dépêcher à trouver son pendant masculin. Sinon, ne serai-je pas accusé de misogynie ?
Alors que je m’évertue à enseigner auprès de jeunes collégiens, la tolérance et le droit des Femmes grâce à la chanson historique ?
Alors que je prêche la vertu de notre « Marseillaise » tout en déclamant les vers puissants de l’Internationale d’Eugène Pottier…alors que je fais sonner les chansons de Jean Baptiste Clément pour commémorer aussi la « Révolution de la Commune » et que je joue avec un certain « Ange Pitou », chansonnier de Marie Antoinette et trafiquant d’armes contre Bonaparte…
Alors que je puis déclamer les chansons de Céline (il y’en a deux !) et défendre la grande poésie d’Aragon et les textes de Kessel le résistant.
S’il y en a bien une que l’on ne devrait pas commémorer, c’est cette Censure !

Elle nous ferait croire qu’elle travaille à contrôler l’incontrôlable : le Verbe.

Pour aller plus loin

« Berlioz (1803-1869) et Napoléon Ier (1769-1821), rappelle Bruno Messina Directeur du Festival Berlioz, à la Cote Saint André (17 au 30 aout 2021) qui a soutenu le projet des Lunaisiens. Ces deux personnages aux destins extraordinaires partageaient également une origine provinciale, un génie hors du-commun, des passions dévorantes et des déconvenues spectaculaires succédant à des succès devenus légendaires. Si la quête fiévreuse, passionnée, le dessein à accomplir et la conviction d’un destin, comme la volonté, le rêve, la solitude souvent, mais aussi le courage, l’amour fou, le goût de l’aventure, le sacrifice, voire parfois l’égoïsme et l’aveuglement sont des caractéristiques des héros romantiques, Bonaparte et Berlioz en étaient, assurément! Et il n’est pas besoin de beaucoup chercher pour déjà les rapprocher: «Quel roman que ma vie ! » disait Napoléon, auquel Berlioz répondait par sa déclaration : « Ma vie est un roman qui m’intéresse beaucoup » ! Enfin, pour le plaisir des rapprochements musicaux, on pourrait noter qu’ils eurent tous les deux de l’admiration pour le même compositeur, Jean-François Lesueur, professeur de Berlioz et auteur de l’opéra favori de Napoléon : Ossian ou Les Bardes. (…) Ainsi, de Napoléon à Pierre-Jean de Béranger (1780-1857),  et pour l’amour de la chanson populaire, de la romance de salon et des cuivres romantiques, autant de références liées au monde de Berlioz. »

Pour suivre Napoléon dans l’Aude en Champagne

le site des Lunaisiens
Agenda

l’évenement :

  • Saint- Hélène – La légende Napoléonienne. cd Muso : Les Lunaisiens, Arnaud Marzorati, dir. artistique, baryton, Sabine Devieilhe, soprano, David Ghilardi, ténor, Igor Bouin, baryton, Geoffroy Buffière, basse, Daniel Isoir, pianoforte, Patrick Wibart, serpent, Laurent Madeuf, orgue de barbarie & Les Cuivres Romantiques sur les instruments du Musée de la musique

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